Aujourd’hui, trois titres mettant en avant des héroïnes de caractère. De celles qui doivent se battre pour exister, pour faire entendre leur voix, pour dire ce que d’autres préfèrent taire et enfouir à jamais dans le silence.
Quand Paloma arrive dans sa nouvelle famille d’accueil, elle n’est qu’un bouquet de nerfs. Ayant fait de sa colère un manteau, elle rejette toute personne cherchant à lui venir en aide. Liselotte, exemple de patience et de bienveillance, l’accompagne dans cette (re)construction douloureuse, essuyant souvent la fureur de cette demoiselle en perdition. Au collège, la solitude semble être son unique compagne de route. Comment éprouver la moindre affection pour une personne qui refuse furieusement qu’on l’aime ? Pourtant, Apolline, Céleste, Chélonia et Sierra vont tout faire pour que Paloma rejoigne leur petit clan si singulier. Si le fait d’être seules fait partie de leur quotidien, pourquoi ne pas envisager d’être soudées et unies pour affirmer leur singularité sans craindre le regard des autres ? Le projet est beau, mais semé d’embûches, d’autant plus lorsque l’on sait que Paloma ne laisse de place à personne quoi qu’il advienne.
Filles uniques marque le début d’une série chez Dargaud qui a tout pour plaire. L’immersion dans ces vies adolescentes se fait sans fioritures. Sans jamais être caricatural, le scénario se montre d’une efficacité implacable. On s’attache à une vitesse folle à cette bande de filles aussi différentes qu’attachantes et l’on s’émeut de leurs faiblesses respectives qu’elles sauront transformer en force étonnante. Sororité, entraide, amitié forte et tempérament de feu, ainsi s’écrit l’histoire d’une amitié qui sait déceler le beau malgré les aléas de cet âge si complexe… Le trait – qui rappelle les mangas – plaira assurément aux lecteurs et lectrices friand·es de cet univers-là. Une bien jolie manière d’aborder les tourments adolescents avec beaucoup de finesse et d’intelligence. Autant vous dire qu’il me tarde de découvrir la suite !
Difficile de ne pas la remarquer, et pourtant lorsqu’elle arrive dans sa nouvelle classe, Violante est assez rapidement évincée. Trop singulière, pas assez dans le moule des élèves qui la regardent avec autant de curiosité que de mépris. Sous sa chevelure brune en pagaille, une tache sur sa joue lui donne cette part de mystère qui ne fait que souligner sa différence. Est-ce pour cette raison qu’elle intrigue à ce point la narratrice ? Est-ce pour cela qu’elles formeront un binôme inattendu et pourtant si enrichissant ?
Violante est une brève histoire d’amitié. Fulgurante et forte, de celle qui exige la patience, de celle qui demande que l’une et l’autre de ces demoiselles s’apprivoisent. Le roman, poétiquement illustré par les pinceaux de Laurie Lecou, dépeint les rouages délicats qui scellent les liens indéfectibles. Il évoque avec beaucoup de sensibilité, ces événements et situations qui permettent de renforcer une belle rencontre. Frustrations, incompréhensions, pardon, tolérance : autant de piliers et d’émotions qui forgent les êtres et qui donnent furieusement envie de s’ouvrir à l’autre. Et quand le mystère a le goût des secrets bien gardés, il plane une magie que seules les grandes amitiés sont en mesure de révéler.
À l’ombre du cerisier en fleurs, on imagine toute la beauté du monde. Mais sous les pétales légers aux délicates odeurs printanières, elle a vécu le pire. Elle a subi toute la violence et l’horreur d’un après-midi qui bascule. La lourdeur écrasante d’un corps refusé, de son va-et-vient interdit, l’asphyxie de son souffle coupé, de sa vie dérobée, stoppée avec la netteté lapidaire qu’ont les points de non-retour. Face à ce chaos intérieur, elle pousse la porte du bureau d’un officier afin qu’il recueille son témoignage. S’engage alors un monologue tourbillonnant et déstabilisant. Chaque phrase expulse la peine, chaque propos décortique la colère. Les mots s’encrent sur la page, comme les douleurs se font tatouages invisibles sous la peau meurtrie. Révolte, résignation, tristesse infinie, cri de dévastation : tout est là, niché au creux des pages, sans fausse note ni maladresse.
De sa plume incisive, Nastasia Rugani griffe, écorche, écrit sans fard. Elle dit des mots pudiques de colères enfouies, d’incompréhensions à vif, de douleurs intérieures dévorantes. Il est loin d’être aisé d’écrire sur un sujet aussi intime et éprouvant que le viol. Rien que le mot, prononcé ou posé sur la page transpire le sordide et l’abject. Et pourtant, elle y parvient avec une force unique qui vous remue les tripes à travers un texte qui palpite, qui bouillonne et qui vous met KO sans autre forme de procès. Parce que dire, témoigner, parler, oser mettre des mots, c’est aussi accepter de laisser sa petite voix intérieure murmurer que l’on est en mesure de rester du côté des vivant·es. Un récit sombre, absolument audacieux et douloureusement brillant.
Filles uniques – Paloma (Tome 1) Scénario de Beka, dessins de Camille Méhu Dargaud 12 €, 227×299 mm, 56 pages, imprimé en France , 2021. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Violante Texte de Maryline Desbiolles, illustré par Laurie Lecou École des loisirs, dans la collection Médium 9,50 €, 134×204 mm, 76 pages, imprimé en France, 2021. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Je serai vivante de Nastasia Rugani Gallimard jeunesse, dans la collection Scripto 9 €, 130×200 mm, 128 pages, imprimé en Italie, 2021. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
J’aime les gens qui doutent, aller voir ailleurs si j’y suis, oublier le temps dans une librairie, boire du vin et du thé, entretenir mon goût démesuré pour les petites listes… Amoureuse du cinéma de Miyazaki, des chansons de Pierre Lapointe, des pinceaux de Mélanie Rutten, des BD de Renaud Dillies, de la poésie de Vinau, des livres illustrés et des romans qui bousculent avec de jolis mots.
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