Christophe Mauri fait partie de mes plus belles découvertes de ces derniers mois, aussi après l’avoir découvert j’ai lu plusieurs de ses ouvrages et naturellement j’ai eu envie d’en savoir plus sur lui, il a accepté de répondre à mes questions. Ensuite on a rendez-vous avec Éric Pessan, un auteur dont j’aime l’écriture et l’engagement, tout naturellement j’ai eu envie de lui proposer de partager avec nous ses coups de cœur et coup de gueule. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Christophe Mauri
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai commencé à écrire à l’adolescence, comme on découvre un jeu. Très vite, ce jeu est devenu une passion et je n’ai plus cessé d’écrire. Pendant des années, j’ai envoyé mes manuscrits à des éditeurs ; parmi eux, Gallimard Jeunesse m’a toujours répondu et encouragé. C’est mon éditeur depuis le premier tome de la série Mathieu Hidalf.
Comment est né le personnage Mathieu Hidalf ?
Mathieu Hidalf est né quand j’avais treize ou quatorze ans. Mais c’est à vingt-et-un ans que je suis revenu à ce personnage. J’étais devenu adulte, Mathieu était resté enfant. Cette distance m’a permis de regarder mon héros avec davantage de recul et d’affection, et d’introduire l’humour dans son univers. C’était beaucoup plus difficile à l’époque où je marchais dans son ombre.
En fin d’année dernière, alors que la série semblait terminée, vous avez proposé un prequel… ce héros vous manquait ?
Je voudrais dire que non, mais j’imagine que oui ! Mathieu, je le connais par cœur. Il aura toujours une place particulière. Pendant des années, au téléphone, mes proches me demandaient : « Et comment va Mathieu ? » Ça voulait dire, bien sûr : « Comment va l’écriture de ton roman ? »
D’où est venue l’idée de vous attaquer à Peter Pan ?
Un jour, je me suis demandé comment Peter Pan réagirait s’il trouvait une Belle au bois dormant au milieu de l’Île imaginaire. J’ai pensé que peut-être Peter Pan finirait alors par céder à la tentation du changement ; car pour comprendre le mystère de cette belle endormie, je suis persuadé qu’il faut grandir. C’était mon point de départ, pourtant mon récit a très vite emprunté un autre chemin. Écrire, c’est se confronter au terrain de l’imaginaire. Pour moi, c’est le terrain qui révèle une histoire.
Parler d’un héros créé par quelqu’un d’autre, ça ne doit pas être évident, comment avez-vous travaillé sur cette histoire ?
Quand on s’attaque à des héros si universels, je crois qu’on peut très vite se les approprier, avec insouciance et passion, car ces héros ont en eux le germe des préoccupations de mille lecteurs, de mille consciences. Ce que je veux dire, c’est que dès lors que j’ai été plongé dans l’univers de Peter Pan, je n’ai plus pensé à James Matthew Barrie. Et c’est sans doute parce que mes souvenirs du véritable Peter étaient flous et indistincts, que j’ai pu l’aborder avec cette insouciance. Quand vous écrivez ou que vous lisez, peu à peu, tout vous appartient, non ? Il n’y a plus d’auteurs derrière les grands héros.
On peut reprocher à l’œuvre de Barrie d’être sexiste (Wendy a pour passion le ménage et la couture, reste à la maison…), dans votre roman à vous Peter et les garçons font le ménage, Wendy est plus aventurière, c’était voulu ou c’est venu naturellement ?
Je ne sais pas si l’œuvre de Barrie est sexiste mais je n’y ai jamais pensé. J’ai toujours imaginé que Peter et Wendy, en singeant le monde des adultes, en dénonçaient les conventions plutôt qu’ils les incarnaient véritablement. Je n’ai pas eu l’intention de décrire une Wendy aventurière. Mais je crois que la Wendy de mon histoire a une conscience profonde d’elle-même et des autres, contrairement à Peter qui ne voit rien ni personne. Je pense que c’est l’humanité de Wendy qui la rend libre, plus libre que Peter et les garçons perdus.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre série La famille royale ? Est-ce différent d’écrire pour les tout·es jeunes lecteur·trice·s ?
C’est très différent, pour moi en tout cas ! Je m’attache de plus en plus à cette petite famille royale, qui rêve de vivre comme tout le monde mais qui fait tout de travers dès qu’elle sort de son château. Ce qui me plaît, c’est que le roi, la reine, Alice et Louis-Junior vont toujours de l’avant ensemble et qu’ils bouillonnent de curiosité. Ce qu’on connaît par cœur, pour eux, c’est une aventure extraordinaire. Rien de plus incroyable que de déguster des pâtes au beurre pour le dîner !
Quelques mots sur les prochaines histoires que vous nous proposerez ?
Sincèrement, je ne les connais pas encore. Je viens de finir un nouvel épisode de la Famille royale. À présent, je suis entre deux projets, dans ces moments où tout est possible mais où il peut aussi bien ne rien arriver avant longtemps.
Bibliographie :
- Série La famille royale, romans, Gallimard Jeunesse (2016 – 2018).
- Série Mathieu Hidalf, romans, Gallimard Jeunesse (2011- 2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les saisons de Peter Pan, illustré par Gwendal Le Bec, Gallimard jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le Petit Poucet c’est moi, album illustré par Marie Caudry, Casterman (2017), que nous avons chroniqué ici.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Éric Pessan
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Éric Pessan qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Préférant finir sur une note positive, je vais commencer par mon coup de gueule.
Jeudi 8 mars, un chiffre était à la une du journal Le Monde : 93 400 000 000 €. Il faut un temps d’arrêt pour le lire, ce chiffre-là, il faut réfléchir, compter les zéros, les regrouper par trois, et enfin se formuler que cela signifie 93,4 milliards d’euros. Une fois qu’on l’a apprivoisé, il paraît moins impressionnant. Quand on le regarde à nouveau, avec ses huit zéros, la tête tourne encore un peu. Mais de quoi s’agit-il ? Ce chiffre est celui du bénéfice de quarante des plus grandes entreprises. Attention, on ne parle pas de chiffre d’affaires (qui comprendrait des recettes et des dépenses) mais bien de bénéfice, de profits, d’argent gagné par des banques, des sociétés pharmaceutiques, des fournisseurs d’énergie… 93 400 000 000 d’euros de profits pour les entreprises du CAC 40. Le chiffre m’a donné une gifle. Et, plus bas, l’article précisait qu’il est en progression de 24 % par rapport à l’année dernière.
Je ne sais pas ce que l’on peut s’acheter avec 93,4 milliards d’euros. Pour 200 millions de dollars, on a un Airbus A380, le plus grand avion du monde. Si on fait la conversion dollar/ euros, c’est 576 avions d’un coup que l’on peut s’offrir. Ou 31 porte-avions à propulsion nucléaire. C’est un chiffre que l’on ne sait pas utiliser tellement il est énorme. C’est un chiffre qui me blesse. Il me fait mal parce que j’entends partout répéter que c’est la crise, que les temps sont durs, qu’il faut être réaliste, que les entreprises doivent pouvoir licencier plus facilement leurs employés, que le droit protège trop les salariés, qu’il faut travailler plus et plus longtemps, que l’on doit se déshabituer à certains acquis sociaux, qu’il est normal que certains médicaments soient moins remboursés, que ça va mal, très mal. Je relis le chiffre en une, et je vois un homme gras, couvert d’or et de diamants qui fait un bras d’honneur à un enfant affamé.
Heureusement, dans ce monde terriblement déséquilibré, il y a mille raisons d’avoir des coups de cœur. Des coups de cœurs, je pourrais en distribuer chaque jour : dans la rue, dans les écoles où je suis invité, sur les plateformes coopératives d’internet. Des coups de cœurs pour les gens qui – le soir, au retour du travail – logent un ou plusieurs réfugiés, ceux qui – une fois par semaine – préparent un repas collectif. Des coups de cœurs pour les profs ou les bibliothécaires qui glissent un livre entre les mains d’un enfant qui va rechigner un peu et se laisser emporter dans un monde dont il ignorait l’existence quelques minutes auparavant. Des coups de cœurs pour la personne qui propose de porter la trop lourde valise d’une vieille dame sur le marchepied d’un train. Des coups de cœurs pour un sourire aperçu par la vitre d’un bus. Des coups de cœurs pour une main tendue sans recherche de profit, sans calcul, sans recherche d’enrichissement, simplement parce qu’il ne tient qu’à chacun d’agir en humain. Je sais que tout ceci peut paraître très naïf, alors je donne un coup de cœur aux gens naïfs qui préfèrent aider que compter et amasser.
Bibliographie jeunesse :
- Les étrangers, roman co-écrit avec Olivier de Solminihac, L’école des loisirs (à paraître, avril 2018).
- Dans la forêt de Hokkaïdo, roman, L’école des Loisirs (2017).
- Pebbleboy, théâtre, L’école des loisirs (2017).
- La plus grande peur de ma vie, roman, L’école des loisirs (2016).
- Aussi loin que possible, roman, roman, L’école des Loisirs (2015).
- Cache-cache, théâtre, L’école des loisirs (2015).
- Et les lumières dansaient dans le ciel, roman, L’école des Loisirs (2014).
- Plus haut que les oiseaux, roman, L’école des loisirs (2012).
- Quelque chose de merveilleux et d’effrayant, album illustré par Quentin Bertoux, Thierry Magnier (2012).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !