C’est un entretien avec Ella Charbon que je vous propose aujourd’hui, c’est quelqu’un que j’aime beaucoup et je suis ravi qu’elle ait accepté de répondre à mes questions sur son travail et son parcours. Ensuite, c’est à une nouvelle question bête, notre nouvelle rubrique, que Marie-Thérèse Davidson et Mélanie Decourt (Nathan) ont bien voulu répondre : « Quelle est la différence entre une éditrice et une directrice de collection ? » Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Ella Charbon
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je me suis pas mal cherchée avant de devenir illustratrice.
J’ai coché la case étudiante en Droit, puis en Histoire de l’art à l’école du Louvre. Ensuite, je suis devenue assistante photo dans le milieu de la mode.
Puis, avec l’arrivée de mon premier fils, je me suis lancée dans l’illustration.
Ma mère était sculpteur, j’ai donc quand même pas mal baigné dans un milieu créatif, ça vous rattrape !
J’aimerais que vous nous parliez de Mes petits moments choisis qui vient de sortir à l’école des loisirs. Comment est né cet album ?
Un jour, j’ai vu un clip de Cassius, Go up, sur internet, qui m’a beaucoup amusée. À l’écran deux vidéos qui n’ont rien à voir ensemble sont associées, chacune occupe la moitié de l’écran et ça fonctionne.
Ma fille avait alors 2 ans et demi et à cet âge on veut tout faire très vite et si possible en même temps.
A germé alors l’idée d’associer sur une même double deux moments importants pour les enfants, mais qui n’ont, au premier abord, aucun rapport entre eux. On les découvre alors séparément, en ouvrant un volet après l’autre et enfin on associe les deux moments en ouvrant les deux volets en même temps.
Son concept est totalement original, sur chaque double, grâce aux flaps, on a quatre illustrations différentes, comment avez-vous travaillé sur ce projet ?
J’ai fait beaucoup d’essais, de crayonnés afin de voir si ça marchait.
Je suis partie de l’idée de Goûter/Jardiner. J’adore les cactus et je me suis dit que ça pouvait être rigolo de le retrouver dans un cône de glace. C’est parti de là. J’ai commencé le pliage, réalisé une maquette papier, fait les dessins sur les flaps, à l’intérieur, ça fonctionnait.
Une fois, le mécanisme trouvé pour une double, c’était plus évident d’imaginer les autres moments.
J’ai alors décidé de couvrir la journée d’un enfant du petit déjeuner au coucher (en passant par le jeu, le déjeuner, la sieste, le goûter, le bain, l’histoire du soir). Il y a ainsi un fil conducteur.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Je réalise d’abord un crayonné très détaillé : les expressions, les attitudes, tout est prévu à cette étape.
Ensuite, je redessine sur l’ordinateur avec illustrator.
C’est votre deuxième projet solo, je crois, vous trouvez ça plaisant de travailler seule sur un album ou ça vous manque de partager avec quelqu’un ?
J’avais déjà réalisé deux projets seule (chez Gautier-Languereau), quand j’ai commencé l’illustration, il y a quelque temps déjà.
Et puis, j’ai eu la chance de rencontrer Gwendoline [Raisson, NDLR], avec qui j’ai fait plusieurs livres, et plus récemment Jean [Leroy, NDLR].
J’adore travailler avec eux, à deux.
Le projet évolue grâce aux échanges. Chacun donne ses idées. C’est un vrai travail d’équipe. C’est très riche.
Quand on a des doutes, on peut les partager. On n’est pas seul face à soi-même.
Ces derniers temps, est revenue l’envie de développer un projet solo, ça m’a pas mal obsédée, j’avais besoin de me prouver que je pouvais le faire. J’ai eu l’idée de Caché-Trouvé, paru l’été dernier à l’école des loisirs, collection Loulou et Cie. Je revenais à ma première passion, la photo, ça m’a sûrement aidé à passer le cap. Caché-Trouvé, ce sont mes premiers mots d’auteur (c’est un livre sur les contraires), comme des premiers pas. J’ai aussi eu la chance que le projet plaise à Grégoire Solotareff [éditeur de la collection Loulou & Cie, NDLR]. Ça m’a beaucoup touchée qu’il le prenne, ce projet me tenait tellement à cœur.
J’ai l’impression que ça m’a débloquée (en tout cas pour le moment), j’ai enchaîné avec Mes petits moments choisis.
Ça m’a un peu décomplexée, je peux maintenant m’autoriser à imaginer des choses, seule.
Mais c’est très important pour moi de faire des projets en duo. Tout se complète, se nourrit.
Donc, si je peux continuer à faire les deux, ça m’ira très bien.
Pour revenir sur Gwendoline Raisson, vous avez réalisé de nombreux livres ensemble, parlez-nous de votre collaboration
Ah Gwendoline, ma très chère Gwendoline !
C’est une amie commune (Hélène pour ne pas la citer) qui nous a mises en contact. Je démarrais en tant qu’illustratrice, je me posais pas mal de questions, Gwendoline avait déjà publié de nombreux livres. Elle a été très à l’écoute, très généreuse… L’idée de travailler ensemble est venue naturellement. Et naturellement aussi, on est devenues amies.
On s’est créé un bureau dans un espace coworking… euh non, en fait, on se retrouve dans un salon de thé se situant exactement entre chez elle et chez moi (on habite à côté). C’est donc là, entourées de pâtisseries, tartes salées, sucrées que nous échangeons sur nos projets.
Le projet peut démarrer d’un texte que Gwendoline m’envoie, d’une idée que je lui propose, de dessins… tout est possible.
Et bien sûr, on part de cette idée et au fil de la discussion on en développe d’autres, c’est trop bon.
Mais toutes les bonnes choses ayant une fin, au bout d’un moment chacune rentre chez soi.
Je travaille alors les crayonnés à partir de son texte, on en discute cette fois par mail, par téléphone, on se renvoie le projet avec nos remarques, une agréable partie de ping-pong s’installe et enfin, quand on est satisfaites, on se dit que là, on peut présenter le projet.
Et voilà.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Un peu partout. Mes enfants, des expos, un film, une image, un livre, des mots…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’ado ?
Un livre qui me vient tout de suite à l’esprit, que j’ai gardé et que je lis encore à mes enfants : Drôle de zoo de Mc Hargue et Foreman. Partir d’une situation du quotidien et la transformer en quelque chose d’extraordinaire grâce à l’imaginaire enfantin. L’enfant arrive à ses fins par ses propres moyens, sa frustration l’amène à trouver une solution.
Les ombres des personnages humains deviennent des animaux aux yeux de l’enfant, j’adore ce côté « transformation ».
J’adore aussi Le grand livre vert, les illustrations de Maurice Sendak sont incroyables, à la fois drôles et élégantes.
Héloïse de Kay Thompson, le dessin est aussi étonnant, le livre impertinent.
Dans ces livres, l’enfant est plein de ressources, intelligent, vif, malin.
J’ai aussi été bercée par Roald Dahl, j’écoute d’ailleurs ses histoires audio en travaillant.
Sinon, ado, je dévorais la BD, je la dévore encore maintenant.
Y a-t-il des illustrateurs ou des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Maurice Sendak, Quentin Blake, Anthony Browne (Anna et le gorille, les cadrages sont très proches de ceux de la photo)… et beaucoup beaucoup d’autres… j’adore quand on sent un grain de folie, une malice dans les expressions.
Des auteurs de BD : Richard Thompson (Cul de sac), Emmanuel Guibert (L’enfance d’Alan…), Anouk Ricard, Jiro Taniguchi…
Je vais m’arrêter là, la liste serait trop longue…
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
À l’automne, va sortir dans la collection Loulou et Cie, éditions l’école des loisirs, Nous, on répare tout ! On y retrouvera les personnages de La soupe aux frites, avec bien évidemment Jean pour le texte. On travaille aussi sur une nouvelle histoire.
Gwendoline et moi avons quelques projets en préparation… Surprise…
Et dans le coin de ma tête et d’un carnet, des projets persos… À moi de les mettre en forme, toute seule, comme une grande.
Allez une dernière question (tirée de Mes petits moments choisis)… Faire la sieste ou s’évader ?
Haha, et pourquoi pas les deux? Faire la sieste pour mieux s’évader…
Bibliographie sélective :
- Mes petits moments choisis, texte et illustrations, l’école des loisirs (2018).
- Caché-Trouvé, texte et illustrations, l’école des loisirs (2017).
- Dodo, Super !, illustration d’un texte de Gwendoline Raisson, l’école des loisirs (2017).
- La soupe aux frites, illustration d’un texte de Jean Leroy, l’école des loisirs (2017).
- Un gâteau comment ?, illustration d’un texte de Gwendoline Raisson, l’école des loisirs (2017).
- Raspoutine se déguise, illustration d’un texte de Jean Leroy, l’école des loisirs (2016).
- La montagne, illustration d’un texte de Delphine Huguet, Milan (2016).
- D’un côté… et de l’autre, illustration d’un texte de Gwendoline Raisson, l’école des loisirs (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Félix à Paris, illustration d’un texte de Géraldine Renault, Éditions Tourbillon (2014).
- Debout, Super !, illustration d’un texte de Gwendoline Raisson, l’école des loisirs (2014).
- Vite !, illustration d’un texte de Gwendoline Raisson, l’école des loisirs (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Le grand voyage d’un petit escargot, illustration d’un texte de Gwendoline Raisson, Circonflexe (2013).
- De toutes les couleurs, illustration d’un texte de Gwendoline Raisson, Circonflexe (2012).
- Des flots de bisous, texte et illustrations, Gautier-Languereau (2009).
- Ani’gommettes, texte et illustrations, Gautier Languereau (2008).
Le site d’Ella Charbon : http://ellacharbon.ultra-book.com.
Une vidéo pour aller plus loin : https://www.youtube.com/watch?v=sFWcoWj53xM.
Ma question est peut-être bête, mais…
Régulièrement, on osera poser une question qui peut sembler un peu bête (mais l’est-elle vraiment ?) à des auteur·trice·s, illustrateur·trice·s, éditeur·trice·s… Histoire de répondre à des questions que tout le monde se pose ou de tordre le cou à des idées reçues. Cette fois-ci, j’ai demandé à Marie-Thérèse Davidson (directrice de collection chez Nathan) et à Mélanie Decourt (éditrice chez Nathan) « Quelle est la différence entre une éditrice et une directrice de collection ? ». Je vous propose de lire leurs réponses. Si vous avez des questions bêtes, n’hésitez pas à nous les proposer !
Marie-Thérèse Davidson
NOTE LIMINAIRE 1 : de même qu’autrefois, on utilisait les noms de métier au masculin même pour désigner des femmes exerçant ce métier, ici j’ai choisi de suivre l’exemple de l’auteur de la question et d’utiliser la forme féminine des noms de métier – ce qui ne signifie absolument pas que je souhaite l’exclusion des hommes encore présents dans le domaine de l’écriture et de l’édition !!
NOTE LIMINAIRE 2 : tout ce qui suit correspond à et seulement à ma propre expérience de directrice de collection (Histoires Noires de la Mythologie et Histoires de la Bible) des éditions Nathan.
La directrice de collection n’intervient que s’il y a collection (et encore, pas toujours : une éditrice peut en être chargée). Une collection, c’est un ensemble d’ouvrages reconnaissables à leur présentation identique, souvent réunis par leur genre (poésie, BD…), leur thème (souvenirs d’enfance, mythologie…), etc.
La première différence – de taille ! – entre l’éditrice et la directrice que je suis est que je ne suis pas une salariée de l’entreprise mais une contractuelle, rémunérée en droits d’auteur – droits qui ne sont pas en rapport avec le temps consacré au travail, mais avec le succès de l’œuvre. Par ailleurs, la rédaction d’une partie documentaire qui venait compléter le roman mythologique était incluse dans mon travail de directrice. Puis ce travail de rédaction, nettement plus important que ce qui avait été prévu, a été reconnu comme excédant les exigences de mon rôle, et méritant donc une rémunération supplémentaire.
Par ailleurs, j’interviens davantage comme « experte » dans les domaines couverts par mes collections, Bible ou mythologie, et moins dans le travail « littéraire » sur le manuscrit. C’est-à-dire que mon rôle principal consiste à veiller à ce que les mythes (ou la Bible) ne soient pas « trahis »*, qu’il n’y ait pas d’anachronismes, etc.
Mais en dehors de cela, j’ai les mêmes tâches que l’éditrice (choix des sujets, contact avec les auteurs, relecture et commentaire des manuscrits) et le plus souvent, c’est moi qui sers de médiateur entre l’autrice et l’éditrice (que je ne remplace donc pas). De même, je suis consultée quand il s’agit de choisir le titre ou l’illustration de couverture, mais les décisions se prennent toujours à deux, trois (en incluant l’autrice), voire davantage (d’autres employés de Nathan). Enfin, je n’interviens pas du tout dans la mise en page et les étapes finales de la publication.
Bref, je n’ai pas tant l’impression de diriger que de participer à l’élaboration de « mes » deux collections !
* Il faudrait un plus long développement pour préciser ce que peut signifier trahir un mythe (!) ou ce qu’est un anachronisme dans un récit notoirement fictif…
Marie-Thérèse Davidson est directrice de collection (Histoires noires de la mythologie) chez Nathan.
Mélanie Decourt:
L’éditrice, comme son nom l’indique, édite les livres : c’est-à-dire qu’elle permet à une œuvre d’être publiée sous forme de livre. Le travail sur le texte est le cœur de sa mission, mais elle ne se limite pas à cela.
La mission commence par le choix des manuscrits. L’équipe éditoriale choisit un projet selon de nombreux critères, à commencer par sa valeur littéraire et artistique (est-il bien écrit, bien illustré, bien raconté, bien construit ? a-t-il un style, un ton, une voix, un enjeu ? apportera-t-il quelque chose à ses lecteurs ?), l’adéquation à la ligne éditoriale de la maison d’édition ou de la collection (ce projet rentre-t-il dans la charte de la collection ? est-il en phase avec les valeurs de la maison ? fait-il doublon avec le catalogue ? ou au contraire apporte-t-il quelque chose de nouveau ? pourra-t-il être bien porté par nos équipes éditoriales et de diffusion ? sommes-nous la bonne maison pour le défendre ?), mais aussi le potentiel commercial, les risques éventuels, la notoriété de l’auteur, la qualité du sujet, etc. Dans le cas d’une collection, la directrice de collection intervient à ce stade pour donner son avis sur le texte et son potentiel.
Une fois le projet retenu, on entre dans la phase d’édition à proprement parler, à savoir la transformation du manuscrit en texte bon à publier. À cette étape, s’il y a une directrice de collection, c’est elle qui travaille avec l’auteur·trice. Plusieurs allers-retours sont nécessaires pour caler le texte : en passant du papier de verre gros grain (réécrire des chapitres entiers, revoir la structure narrative) au grain ultra fin (peaufiner le style, supprimer les répétitions).
Une fois le texte établi, l’éditrice le prépare pour la mise en page : chasse aux dernières fautes de grammaire, d’orthographe, de typographie.
Ensuite l’éditrice coordonne le travail de mise en page avec le ou la graphiste, l’illustrateur·trice, le relecteur ou la relectrice, jusqu’à ce que le texte soit bon pour l’impression.
C’est aussi elle qui s’occupe des choix de format et de papier avec l’équipe de fabrication.
Elle discute aussi des conditions de mise en vente du livre, en collaboration avec l’équipe marketing (date de sortie, prix, rayon, promotion, etc.)
C’est elle qui présente le projet à l’équipe de diffusion qui proposera l’ouvrage aux libraires.
On le voit son travail s’apparente à celui d’une chef d’orchestre : sans elle, rien ne fonctionne dans les temps (et dans le budget !).
L’éditrice est le plus souvent salariée d’une maison d’édition. (Certaines travaillent en freelance, auquel cas elles sont payées au forfait, sur facture.) Les auteur·trice·s ou directeur·trice·s de collection sont payé·e·s en droit d’auteur, proportionnel aux ventes du livre.
Mélanie Decourt est directrice éditoriale fictions découvertes chez Nathan.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !