C’est l’autrice Émilie Chazerand qui a accepté de répondre à nos questions aujourd’hui. J’adore sa série Suzon, j’avais envie d’en parler avec elle mais aussi d’en savoir plus son travail et son parcours. Ensuite, on va se glisser à nouveau dans un atelier et cette fois-ci c’est celui de Maurèen Poignonec ! Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Émilie Chazerand
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Où commence réellement un parcours, tiens… J’ai toujours aimé les livres et j’ose croire qu’ils me le rendent un peu. J’ai passé un bac littéraire puis me suis tournée vers des études d’infirmière. Je lisais moins, à cette période, ce qui participe à me faire penser que je n’étais pas très heureuse, ces années-là. À l’époque, j’avais un contact pour travailler dans un dispensaire réservé aux femmes et jeunes filles, en Inde, et, pendant que je gravitais dans différents terrains d’exercices pour asseoir mes compétences et fleurir mon CV, les bouquins ont pris de plus en plus de place. J’ai commencé à griffonner un peu, ça et là, des ébauches d’histoires, des idées marrantes, des trucs saugrenus qui me passaient par la tête. J’ai écrit la série Apocalypsis, pour Matagot/Nouvel Angle, dont le premier tome est sorti en 2011, mais je rêvais toujours de publier des livres pour enfants. Une lubie tenace de petite fille. Et c’est arrivé grâce à Rudy Martel, de chez Benjamins Média, avec Un frère en bocal. J’ai rencontré mon mari, aussi, ce qui m’a résolument ancré en France et dans l’écriture, par ricochets.
Comment vous viennent vos idées ?
Ça, c’est la question éternelle à laquelle je ne sais jamais répondre. J’ai toujours l’impression que l’idée s’invite, sans demander l’avis de celui qu’elle frappe par surprise (un peu comme ma belle-mère). Les miennes sont parfois les aboutissements d’une guirlande de réflexions bizarres. Ou tirées de remarques rigolotes de mes proches. Les gens, la vie ordinaire, sont des inspirations permanentes et hyper riches, quand on se tait deux minutes et qu’on regarde attentivement.
Comment est né le super personnage de Suzon qui donne son nom à la série parue chez Gulf Stream ?
Alors, à la base, Gulf Stream avait manifesté l’envie d’éditer une série avec un petit héros, pour les plus jeunes lecteurs. Je ne me sentais pas concernée parce que je pensais ne pas savoir écrire pour ce public-ci. Ma super copine Amandine Piu ne voyait pas les choses comme ça et m’a dit un truc comme « Hé, tu voudrais pas qu’on le tente, ensemble ? ». J’ai baragouiné une réponse geignarde et pessimiste mais une série avec Amandine ne se refuse pas, n’est-ce pas ? On a parlé toutes les deux avec Justine de Lagausie, d’Okidokid, qui est une sorte d’encyclopédie sur pattes de la littérature enfantine. Elle a mille idées à la seconde et elle est hyper enthousiaste, galvanisante. Elle nous a parlé des attentes de l’équipe de Gulf Stream, avec laquelle elle travaille, dans des détails plus techniques et, sans s’en rendre compte, elle me donne le personnage de Suzon. « Il faut que le héros ait un truc à lui, une particularité qui permette aux petits de s’émerveiller. Je sais pas moi : il vole, il respire sous l’eau, il parle aux animaux, ce que tu veux ! » Je me suis dit « Bah oui, ça, tiens. Hop ! » et j’ai tout de suite visualisé des récits courts, avec une formule redondante et identifiable. J’ai donné à la fillette un prénom désuet, genre Jocelyne ou Yvette, je ne sais plus, mais Justine n’était pas convaincue. J’ai proposé Suzon, tout de suite après, parce que je trouvais ça efficace, accrocheur et vitaminé. De son côté, Amandine a immédiatement dessiné Suzon, telle qu’on la connait désormais (même si Suzette est passée par toutes les teintes capillaires avant qu’on arrête notre choix). C’était une évidence graphique pour elle et pour moi, aussi, du coup. Son gribouillon capillaire et ses grandes lunettes rondes la rendent parfaitement unique.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Enfant, tout ce qui venait de l’École des Loisirs, qui avait réussi à se frayer un chemin jusqu’à ma petite école dans la pampa alsacienne et à atteindre ma maison, dont la majorité des livres avaient des pages brunes et rêches qui sentaient la poussière… Et puis Roald Dahl et Sempé, massivement. Des classiques de la bande dessinée, un peu, parfois. Adolescente, Kundera. Kundera, Kundera et Kundera. J’étais clairement mono-idéique… Et, puis des écrivains russes morts, des écrivains britanniques morts et quelques allemands, vivants ! Comme Isolde Heyne, qui écrit merveilleusement pour la jeunesse, par exemple.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Alors, pour ce qui est « sûr certain », là, tout de suite :
un album chez Sarbacane, avec Aurélie Guillerey aux crayons, et qui s’appellera « Les choukachic magiques ». Une histoire pleine de fantaisie, d’humour et d’optimisme, je crois !
Un album avec Amandine Piu, à l’Élan Vert, est aussi en préparation : Le Grizzli-virus. Une sorte de fable moderne, loufoque et un brin cruelle !
Et puis un album chez Gautier-Languereau, dans la collection des Grandes thématiques de l’Enfance, avec Gaëlle Souppart qui avait déjà mis son style unique au service du livre Les papas de Violette, dans la même série. Ce livre s’appellera « La sœur des vacances » et abordera le sujet (un peu délicat parfois) de la famille recomposée.
Un roman 8-12 ans, dans la collection Pépix de Sarbacane, pour la rentrée. Enfin, si j’arrive à le terminer… !
Et espérons une Suzon, voire deux pour cette année ! J’ai plusieurs propositions sous le coude mais je ne sais pas encore lesquelles seront choisies d’abord… En tout cas, Amandine et moi faisons en sorte que notre rousse impétueuse vous réserve encore de jolies surprises !
Bibliographie sélective
- La fourmi rouge, roman, Sarbacane (2017).
- L’ours qui ne rentrait plus dans son slip, livre-CD illustré par Félix Rousseau, Benjamins Médias (2017).
- Le génie de la lampe de poche, roman illustré par Joëlle Dreidemy, Sarbacane (2017).
- Série Suzon, albums illustrés par Amandine Piu, Gulf Stream éditeur (2017), que nous avons chroniqués ici et là.
- Y en a qui disent…, album illustré par Maurèen Poignonec, L’élan vert (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le bébé s’appelle Repars, album illustré par Isabelle Maroger, Gautier-Languereau (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les papas de Violette, album illustré par Gaëlle Soupard, Gautier-Languereau (2017), que nous avons chroniqué ici.
- L’horrible madame mémé, album illustré par Amandine Piu, L’élan vert (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Jean-Jean à l’envers, album illustré par Aurélie Guillerey, Sarbacane (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La petite Sirène à l’huile, album illustré par Aurélie Guillerey, Sarbacane (2015), que nous avons chroniqué ici.
Quand je crée… Maurèen Poignonec
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Maurèen Poignonec qui nous parle de quand elle crée.
Illustratrice profondément casanière, je dessine chez moi dans mon salon, assise sur mon fauteuil gris tout mou, les genoux contre le bureau, je ne m’assois jamais comme il faut, mes crayons sont éparpillés et classés par couleurs dans leurs pots face à moi, mes gouaches et encres à ma droite, et un mug de thé vert (voire infusion bizarroïde au curcuma et gingembre) à ma gauche. J’ai un besoin absolument maladif que tout soit rangé et organisé avant de travailler sinon je suis incapable d’être concentrée, si c’est le désordre sur mon bureau c’est le désordre dans ma tête.
Ma journée débute par un réveil situé entre 7 h et 9 h, ça dépendra de l’heure à laquelle je me suis couchée, je rampe mollement jusqu’à ma cuisine pour me concocter un petit déjeuner à base de porridge, des fruits, et du thé vert. Un vif coup d’œil à mon planning de la journée, je mets de la musique, et ainsi commence ma journée.
Vers 11 h je regarde des vidéos de recettes pour me donner des idées et me mettre l’eau à la bouche et hop petite pause de 11 h 30 à 12 h 30, et ensuite reprise jusqu’à 19 h et après 20 h je continue.
La musique est ma plus grande source d’inspiration et de motivation, elle vient creuser au plus profond de moi toute l’énergie nécessaire à la création de mes illustrations. En ce moment j’écoute en boucle Cascadeur, Chapelier fou, Mogwai, Agnes Obel et Camille, qui me donnent l’impression de partir en voyage, mais j’ai mes incontournables qui me suivent depuis toujours et qui me suivront encore des centaines d’années : les Beatles et David Bowie, qui procurent en moi autant de joie que de mélancolie.
La musique c’est pour les couleurs, ou quand je travaille sur l’ordinateur.
Pas de musique quand je suis à l’étape des crayonnés : c’est l’étape la plus cruciale dans la création des illustrations d’un album, j’essaie de faire au mieux et pour ça j’ai besoin de beaucoup de concentration et d’éviter toute source de distraction.
Quand je dessine dans le silence il y a des bruits qui m’empêchent d’être concentrée comme lorsque le chat des voisins miaule de désespoir au rez-de-chaussée, là j’ai qu’une envie c’est de dévaler l’escalier pour lui donner un bol de lait.
Je dois être dans l’état d’esprit le plus serein et confiant pour dessiner. Il suffit que je me pose trop de questions sur mon travail pour que je sois condamnée à regarder dans le vide, ou cas désespéré : rester au lit car je serai de toute façon incapable de poser quoique ce soit sur le papier, et quand ces périodes arrivent, j’ai juste à espérer rebondir très vite. Par exemple, ça faisait un an que je ne savais plus dessiner de personnages, j’ai eu beaucoup de projets cette année, ce qui signifie s’adapter à des demandes différentes dans un laps de temps très court, j’étais littéralement incapable de dessiner un personnage et d’en être fière, et c’est seulement il y a un mois ou deux que je pense avoir trouvé un truc qui me convient.
Mes idées et envies viennent un peu partout sans me prévenir, ça peut être quand je vais faire les courses, quand je prends le métro, quand je vois des familles qui discutent paisiblement ou qui s’enguirlandent, des pigeons, des canards, des gens amoureux, des vieux couples qui ne se regardent pas, ou ceux qui au contraire se regardent passionnément, des enfants qui courent, rigolent, gesticulent dans tous les sens… en gros tout ce qui bouillonne de vie m’encourage à dessiner.
Pour me détacher du travail, faire une petite pause, tous les jours dès que j’en ressens le besoin, je me pose sur mon canapé, et je regarde par la fenêtre, et j’arrive à ne penser à rien, ça m’apaise et après pouf petite piqûre de rappel que je dois continuer de dessiner.
Maurèen Poignonec est illustratrice.
- Chez l’orthophoniste, illustration d’un texte de Léna Ellka, Milan (2018).
- Une petite place, illustration d’un texte de Céline Claire, La Palissade (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Superfish, illustration d’un texte d’Orianne Lallemand, Kilowatt (2017).
- Le livre de mes émotions, illustration d’un texte de Stéphanie Couturier, Gründ (2017).
- Le collier de la fée Capucine, illustration d’un texte de Bernard Villiot, L’élan vert (2017).
- Y’en a qui disent, illustration d’un texte d’Émilie Chazerand, L’élan vert (2017) que nous avons chroniqué ici.
- On n’a pas allumé la télé, illustration d’un texte de Bénédicte Rivière, L’élan vert (2017).
- Série Quart de frère, quart de sœur, illustration de textes de Sophie Adriansen, Slalom (2017).
- Le Saule rieur, illustration d’un texte de Pog, Sarbacane (2017)
- Le doudou de la directrice, illustration d’un texte de Christophe Nicolas, Didier Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- La grande inconnue, illustration d’un texte de Pog, Maison Eliza (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Tout le monde sait faire du vélo, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, Kilowatt (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Les tourterelles, illustration d’un texte de Karine Guiton, La palissade (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Série La Famille Cerise, illustration de textes de Pascal Ruter, Didier Jeunesse (2016-2017), que nous avons chroniqué ici.
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Histoires pour bien dormir, Collectif, Milan éditions (2016).
- 10 petites souris cherchent une maison, illustration d’un texte de Pog, Gautier-Languereau (2015).
- Le Vilain Petit Canard, illustration d’un texte de Magdalena, Castor Poche (dans la collection Contes du CP – 2015).
Son site : http://www.maureenpoignonec.com
Son book : http://maureenpoignonec.ultra-book.com
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !