Cette semaine, c’est avec l’auteur d’un roman dont je vous ai parlé il y a peu que l’on a rendez-vous. Erik Poulet-Reney a sorti juste avant l’été Transparente, j’avais envie de lui poser quelques questions sur ce roman et sur son parcours. Exceptionnellement, cette semaine, il n’y a qu’un seul invité. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Erik Poulet-Reney
J’aimerais que vous nous parliez de votre très beau roman, Transparente et que vous nous racontiez d’où vous est venue cette histoire.
Quand j’étais en Inde, il y a sept ans, j’ai croisé à Delhi des Hijras, des créatures de troisième genre, ni homme ni femme, avec un physique à la base masculin mais offrant l’image, l’apparence d’une femme vêtue d’un sari, maquillée et coiffée… La Cour Suprême en Inde a reconnu officiellement les Hijras comme « troisième genre » en avril 2014. J’ai eu envie de m’inspirer de leur identité en l’adaptant aux transsexuels occidentaux. D’évoquer cette différence au sein de notre société actuelle, avec l’espoir de la banaliser au quotidien. C’était mon pari en créant le personnage de Lucia dans mon roman Transparente. L’idée étant de confronter une adolescente à une personne transsexuelle grand-parent… Amener à la réflexion avec infiniment de délicatesse et à l’encontre de tout cliché. J’ai voulu faire battre des cœurs avant que l’on s’arrête sur l’image. Tout humain a droit à sa part, son lieu, ses droits, son cheminement… J’aimerais que ce petit roman permette d’ouvrir des portes, des esprits, une forme d’intelligence, d’empathie, de reconnaissance pour celles et ceux qui font le choix de leur identité quand scientifiquement il y a eu maldonne, sans qu’aucun ne puisse juger.
Vous abordez régulièrement les sujets LGBTQA+ dans vos romans jeunesse. Depuis quelque temps, les livres sur le sujet sont de plus en plus nombreux. Comme vous êtes chroniqueur (sur Triage FM), vous avez dû en lire certains, que pensez-vous de ces nouveaux romans ? Il y en a qui vous ont plu particulièrement ?
Je pense être le premier auteur de littérature jeunesse à avoir osé aborder, consacrer une fiction pour ados « Les roses de cendre », aux Triangles roses, les déportés homosexuels de la Seconde Guerre mondiale. Les manuels scolaires faisant souvent l’impasse sur ce tabou qui entache l’Histoire de France. À l’époque, ma courageuse éditrice de chez Syros, Françoise Mateu, d’ailleurs décédée cet été, m’avait vivement encouragé. Puis ensuite quelques auteurs ont repris chez d’autres le thème. Mon amie Claire Mazard a abordé quant à elle avec délicatesse l’homosexualité féminine dans ses premiers romans de la collection Confessions. On doit aussi à Christophe Honoré des textes forts sur le sujet. Certains auteurs que je ne nommerai pas ont tenté des textes trop clichés que je n’ai pas aimés…
Je reçois de nombreux services de presse pour ma chronique littéraire radiophonique, mais je lis moins de livres jeunesse pour justement ne pas être influencé, et je souhaite que nombreux romans continuent à aborder directement ou en filigrane à travers des personnages même secondaires, la différence, l’homosexualité, avec intelligence, sensibilité et adresse, ne serait-ce que pour contrer les aberrations et l’hérésie d’un pape qui invite sans aucun scrupule les parents à présenter leurs enfants à sensibilité différente chez un psychiatre pour « régler ça »…
On en parlait, vous êtes chroniqueur, n’est-ce pas difficile de lire autant de romans jeunesse sans que ça n’influence votre écriture ?
Je lis et je défends en priorité dans ma chronique « Couleur Papier », les premiers romans des jeunes auteurs. Pour me préserver et ne pas être influencé donc, je ne lis que l’essentiel en littérature jeunesse, ce qui me nourrit encore, apporte quelque chose sorti des sentiers battus, ce qui peut surtout amorcer l’espérance. Je refuse en revanche toute violence gratuite et la vulgarité. Je laisse la médiocrité aux faits d’actualité qui nous inondent chaque jour sur les ondes avec leur batterie d’horreurs !
Mon écriture a toujours eu son identité, qu’on l’aime ou pas, elle possède toujours les mêmes ingrédients. Elle est ce que je suis depuis l’enfance, avec cette dose d’hypersensibilité qui me permet de traiter des sujets graves avec une approche maîtrisée et délicate, pour que chaque élément, chaque mot se coule naturellement dans l’histoire, sans aspérité mais avec une palette de couleurs qui tente d’envelopper le lecteur, un peu comme dans les illustrations de mon amie Nathalie Novi.
Parlez-nous de votre processus d’écriture. Comment naissent vos histoires ?
Depuis toujours, et les professionnels du livre le savent, mon bâton de pèlerin est de défendre la ou les différences chez les êtres souvent mis à l’index, afin de trouver les mots pour les banaliser dans le regard des autres. Je sème des petites graines de tolérance et les arrose d’une extrême sensibilité à fleur de vécu, pour que le Vivant, l’Humain se reconnaisse en chacune et chacun de mes personnages. Dans l’écriture, dans mes thèmes de prédilection, j’aime être et rester le témoin d’une époque. Je rebondis sur les choses qui me dérangent, que j’entends. J’aime transgresser les tabous, aider celles et ceux à ne plus rester sur la berge, mais à oser s’imposer, mettre en avant la richesse justement de leur différence face à leurs contemporains qui les jugent parce qu’ils ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. On ne leur a pas appris. Alors je tends l’oreille, je scrute, je vole aux inconnus des paroles, des gestes… J’isole ensuite mon sujet, je l’encage en moi des mois avant de le transcender dans l’écriture.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Mon parcours ? Il est si atypique ! J’ai toujours préféré la formation des nuages et la liberté des oiseaux derrière les fenêtres de l’école, du collège puis du lycée. Je suis un rêveur invétéré, alors j’ai dû imposer mon handicap dans ma vie d’adulte partout où j’ai marché, respiré, aimé, travaillé. Je suis entré dans la fameuse vie active à 19 ans pour mettre en scène au cœur d’une société, ce que je suis encore, un homme-enfant ! J’ai été fleuriste, libraire, figurant dans une série télé pour ados chez AB Productions, aide aux personnes âgées, et aujourd’hui bibliothécaire ! J’ai eu le privilège d’avoir sur mon chemin Andrée Chedid, poète et romancière qu’on ne présente plus, et qui fut pour moi une grand-mère, et ma marraine d’écriture jusqu’à sa mort. Et en 1999, l’illustre Thierry Magnier m’a donné ma chance à la création de sa maison d’Édition, en publiant mon premier roman « Jusqu’au Tibet », et un second « Comme un gitan ». Puis à mon grand regret ensuite, il n’était plus en osmose avec mon écriture. Je suis passé chez Syros, L’école des Loisirs, Magnard, Nathan, Seuil, Oskar…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
J’habitais un petit village de campagne dans l’Yonne, à quinze kilomètres d’Auxerre. Dans mon école il n’y avait aucun budget ni aucune initiative pour développer une bibliothèque. À la maison, milieu ouvrier, la priorité n’était pas dans l’achat de livres, au profit en revanche de tout ce dont on avait besoin. Je dois beaucoup à mes parents partis trop tôt. Surtout le sens des valeurs et le respect. J’ai donc vécu mes premiers âges sans livres ! J’écrivais déjà dans ma tête. Je m’inventais des histoires, des horizons où je rêvais de mer, de montagnes. J’apprenais à vivre avec les éléments, les parfums du dehors et des saisons. Je regardais du haut du jardin en pente passer les trains au loin en me projetant dans des voyages, m’identifiant aux voyageurs qui bientôt allaient pouvoir s’adonner aux vagues. Déjà des livres étaient en gestation en moi et sans titre ! J’ai découvert la littérature vers seize ans environ sur les conseils d’une prof de lettres épatante. J’ai commencé par le journal d’Anne Franck, puis « l’Herbe bleue », avant de tomber amoureux des œuvres de Stefán Zweig, Hermann Hesse et Thomas Mann… Et aujourd’hui je ne voyage plus uniquement dans ma tête mais en avion, je passe ma vie entre ma Bourgogne et le Maroc. Un mur dans chaque pièce de ma maison est tapissé de livres, des centaines, partout, toujours !
Sur quelle nouvelle histoire travaillez-vous actuellement ?
Comme disait Marguerite Duras, cette petite bonne femme énigmatique des Roches Noires que j’ai photographiée, (voir la couverture du Folio Gallimard n° 3503 Yann Andréa Steiner) dérangeante pour certains, mais qui a, quant à elle, OSÉ inventer un style et que j’admire justement pour cette audace (alors qu’elle avait écrit « la Douleur » dans une forme académique, classique) elle répondait souvent aux journalistes qui lui demandaient : « Il ne faut jamais parler d’un projet d’écriture, ça porte la poisse ! » (et je l’ai moi-même vérifié avec le temps)
Je viens en revanche de terminer l’écriture d’un petit ouvrage poétique en hommage à Andrée Chedid et j’ai totalement repris et revisité cet été un petit roman pour adultes qui se passe à Delhi. Un recueil de poésie contemporaine « Feuilles de thé » préfacé par Sylvie Germain et illustré par Judith Wolfe doit sortir prochainement. Côté jeunesse, depuis six mois j’engrange sans vraiment savoir si mon nouveau thème choisi aboutira ou non. Chaque livre à écrire est une aventure nouvelle et surtout une remise en question !
Bibliographie jeunesse sélective :
- Transparente, roman, Oskar (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Cœur d’ortie, roman, Passage(s) (2016).
- L’arabesque, roman, Oskar (2013).
- Le visage retrouvé, roman, Seuil jeunesse (2008).
- Ned a des tics, roman illustré par Magali Le Huche, Magnard Jeunesse (2006).
- Le rose de cendre, roman, Syros (2005).
- Egoïste !, roman illustré par Éric Gasté, Nathan (2005).
- L’été d’Anouk, roman, Syros (2003).
- Le gang des râteliers, roman, l’école des loisirs (2002).
- Comme un gitan, roman, Thierry Magnier (2001).
- Jusqu’au Tibet, roman, Thierry Magnier (1999).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !