Dernier rendez-vous des invité·e·s du mercredi de la saison 2017-2018 (la semaine prochaine, vous retrouverez comme les étés précédents la rubrique Du berger à la bergère) et l’on termine l’année en Belgique ! On commence avec l’éditrice des éditions Versant Sud Jeunesse, puis on part en vacances avec Anne Herbauts (qui vient de sortir un double album magnifique chez Esperluète, mais nous en reparleront bientôt). Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Fanny Deschamps
Pouvez-vous nous raconter votre parcours personnel ?
Les livres ont toujours fait partie de ma vie. Aussi, au moment de choisir mes études, c’est assez naturellement que je me suis dirigée vers les lettres. Diplômée par l’Université Libre de Bruxelles, j’ai ensuite suivi un DES en Gestion Culturelle, dans le cadre duquel j’ai fait un stage au Prix Bernard Versele. Il s’agit d’un prix littéraire pour enfants très connu en Belgique : 50 000 enfants y participent chaque année. Cette expérience a conforté une certitude : je voulais travailler dans le secteur de la littérature de jeunesse. C’est dans ce but que j’ai commencé à travailler en librairie. Pendant pas mal d’années, j’ai été responsable des rayons jeunesse et BD d’une grande librairie bruxelloise. Cette expérience professionnelle s’est révélée très formatrice : j’y ai acquis des connaissances sur les auteur·trice·s, les illustrateur·trice·s, mais aussi sur la chaîne du livre et tous ses acteurs. Savoir défendre un livre, trouver le bon ouvrage pour chaque client, tout cela est passionnant. Mais la crise est passée et la librairie a fermé. C’était le moment pour moi de bifurquer vers une autre voie. J’ai commencé à rédiger des articles pour Le Carnet et les Instants, une revue consacrée à la littérature belge. Puis, j’ai fait la rencontre fortuite Élisabeth Jongen, éditrice et directrice des éditions Versant Sud… et une nouvelle page s’est ouverte !
Parlez-nous des éditions Versant Sud et de votre rôle au sein de la maison.
Les éditions Versant Sud ont été fondées en 2001 par Élisabeth Jongen. Elle y publie alors des livres de voyage, d’histoire, de musique. En 2015, Élisabeth me propose de la rejoindre pour créer une branche jeunesse. Un projet passionnant, puisque tout est à imaginer de A à Z. Nous commençons en nous entourant de trois jeunes illustratrices, Noémie Favart, Paola De Narvaez et Camille Van Hoof qui réalisent chacune un livre et nous accompagnent dans cette démarche créative. Les premiers albums sortent au printemps 2016.
Mon rôle dans la maison est multiple : nous sommes si peu nombreux que, par la force des choses, je touche à tout. Disons que mes principales missions sont d’une part éditoriale et artistique (accompagnement des auteurs sur les livres), d’autre part de communication (faire vivre les livres après leur sortie : contacts avec les commerciaux, avec la presse, réalisation de catalogues, community management, etc.). Cela fait beaucoup, mais c’est absolument passionnant. Je me régale chaque jour !
Pouvez-vous nous parler du reste de l’équipe ?
Élisabeth Jongen dirige Versant Sud. Elle a une grande expérience de l’édition : elle a auparavant travaillé chez Jacques Antoine (littérature belge) et aux éditions De Boeck. C’est quelqu’un d’entreprenant et qui a le sens des affaires. Elle a une grande sensibilité à l’art. Nos regards sur les livres sont complémentaires, ce qui est plutôt enrichissant. Nous prenons toutes les décisions éditoriales ensemble.
Notre graphiste, Sébastien Vellut, travaille en freelance. Il est perfectionniste et a toujours un avis très pertinent, qui permet aussi d’améliorer ou d’affiner les projets de nos auteurs. Son travail est très qualitatif et cela nous tient à cœur : c’est grâce à lui si nos livres sont si soignés sur le plan formel.
Quelle est votre ligne éditoriale, comment choisissez-vous les projets que vous éditez ?
Au départ, cela s’est fait de façon intuitive, et puis, en prenant du recul, on a vu une ligne se créer, une identité se marquer. C’est difficile d’expliquer des choix qui se font en partie à l’instinct. Disons que nous cherchons à proposer des illustrations de qualité et qui offrent une certaine originalité. Nous évitons le lisse, le classique, mais sans chercher à tout prix l’audace graphique. Et puis les livres sont avant tout là pour s’adresser aux enfants : nous cherchons des histoires qui sortent des sentiers battus et/ou qui parlent aux lecteurs de ce qu’ils peuvent vivre au quotidien par le biais de récits sincères. L’intention de l’auteur est importante : il faut que l’histoire vienne d’un réel désir de raconter quelque chose. Nous évitons les livres intentionnels et les livres « médicaments », qui seraient conçus non pas comme œuvres littéraires, mais pour répondre à une demande du marché.
Par ailleurs, nous publions pas mal d’illustrateurs débutants. Il y a beaucoup de jeunes talents à Bruxelles grâce aux excellentes et très dynamiques écoles d’art qu’on y trouve. C’est très gai de publier le premier livre d’un auteur. L’expédition du Mokélé-Mbembé est un très bon exemple : c’est la première parution de Yannick NorY, et déjà, quelle maitrise dans la construction de l’image !
Pour vous, qu’est-ce que c’est un bon livre pour enfants ?
Cela rejoint en partie la réponse précédente, puisque mes choix se font en fonction de ce que j’estime être un bon livre. Disons qu’un bon livre est d’abord un livre dans lequel on entre, puis par lequel on est happé. C’est un livre singulier, qui surprend, emporte, et qui se lit avec plaisir.
Il y a différentes collections dans la maison, pouvez-vous nous les présenter ?
La collection les Pétoches traite de la peur. Il s’agit d’un cadre, dans lequel nous laissons nos auteurs libres d’aborder le thème comme ils l’entendent. C’est pourquoi il y a une telle diversité dans la collection : des livres oniriques (L’appel de la lune), d’autres franchement drôles (L’épouvantable histoire de Valentine et ses 118 poux ou Clac, la trappe ! de Loïc Gaume), des livres qui font un peu peur (Bien fait !), d’autres qui parlent de la peur (De l’autre côté du carrousel).
Nous publions aussi des livres axés sur l’art. C’est notre première parution, L’oiseau en cage, qui nous a lancé sur cette piste. Javier Zabala y met en images l’extrait d’une lettre de Vincent Van Gogh à son frère. Par la suite, nous avons publié d’autres albums qui tournent autour de peintres, ou même d’un couturier (Hubert de Givenchy par Philip Hopman). Nous avons d’autres beaux projets prévus pour 2019 en peinture et en musique.
Je sais que la question n’est pas facile, mais si vous deviez me citer quelques albums qui ont marqué la maison…
C’est vrai que c’est difficile, nous tenons à tous nos livres ! L’oiseau en cage, c’est sûr. Il a « donné le ton » au catalogue. Je citerais aussi Jan Toorop – Le chant du temps de Kitty Crowther, un magnifique album consacré à ce peintre symboliste hollandais. C’est aussi notre premier prix littéraire puisque Kitty a reçu le prix Libbylit pour cet album et qu’il a participé à la Petite Fureur de lire. L’expédition du Mokélé-Mbembé a retenu l’attention de la presse et a été nominé au prix d’illustration de la Foire de Francfort. Dernièrement, Les lunettes de Margarita del Mazo et Guridi semble mettre tout le monde d’accord : c’est un livre délicieux, intelligent, beau et drôle. Un délice.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Toute petite, j’adorais les albums d’Ernest et Célestine de l’artiste belge Gabrielle Vincent. Quelle finesse, quelle justesse d’observation ! Ensuite, j’ai lu beaucoup de romans de L’école des loisirs, mais aussi tous les Roald Dahl (relus plusieurs fois !). La bande dessinée fait aussi pleinement partie de ma culture littéraire : la bibliothèque familiale était généreusement fournie et j’adorais des classiques comme Gaston Lagaffe et Lucky Luke, avant de découvrir la bande dessinée adulte puis indépendante. Adolescente, j’aimais des auteurs comme Buzzati, Kundera puis Romain Gary (ce dernier fait toujours partie de mon panthéon personnel).
Quand on est éditeur·trice on doit passer son temps à lire des manuscrits, avez-vous encore le temps de lire d’autres livres ?
Je lis plein d’autres choses, heureusement. Je ne suis pas éditrice de romans, mais d’albums jeunesse, qui ont l’avantage de se lire bien plus rapidement.
Je lis beaucoup de bandes dessinées (j’écris toujours des articles dans ce domaine, d’ailleurs) européennes, japonaises ou américaines comme Goggles de Testuya Toyoda, Seconds de Bryan Lee O’Malley ou les réjouissantes Culottées de Pénélope Bagieu. Mes enfants me laissent parfois le temps de lire quelques romans, aussi. Mes derniers coups de cœur : L’homme qui savait la langue des serpents d’Andrus Kivirähk, En route pour la gloire de Woody Guthrie et Personne ne gagne de Jack Black. Et puis ma soif de fiction ne se limite pas à l’écrit : je regarde beaucoup de films et de séries. Toutes ces histoires me nourrissent.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les prochains ouvrages à sortir chez Versant Sud ?
Avec plaisir ! En octobre nous publierons deux nouveaux Pétoches : Tibor et le monstre du désordre, de Noémie Favart, un livre désopilant sur l’envahissement des jouets et le désordre dans les chambres des enfants, et Hiro, hiver et marshmallows de Marine Schneider, une autrice bruxelloise déjà publiée en Norvège et qui fait un travail magnifique. En novembre, Saint Nicolas VS Père Noël, écrit par Jane Oshka et illustré par Noémie Favart, mettra en scène une hilarante joute verbale entre deux personnages que nous découvrirons en concurrence (le mystère entourant ces grands hommes sera 100 % préservé, bien sûr !), et La tailleuse de nuages, un récit très sensible d’Emma Anticoli Borza sur une vieille dame qui voit sereinement son heure venue et sur son rapport à ses souvenirs, qui constituent tout ce qui a fait sa vie. C’est Daniela Tieni, récemment publiée au Rouergue, qui illustre ce livre très touchant et allégorique.
J’en profite pour remercier tous nos auteur·trice·s : c’est très enthousiasmant de travailler avec eux, de côtoyer de tels talents et une telle effervescence créative.
Bibliographie jeunesse (sélective) de Versant Sud :
- L’appel de la lune, d’Elis Wilk (2018).
- Je te vois, et toi ?, de Siska Goeminne et Alain Verster (2018).
- Les lunettes, de Margarita Del Mazo et Guridi (2018), que nous avons chroniqué ici.
- L’expédition du mokélé mbembé, de Yannick NorY, dans la collection Les Pétoches (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les animaux de l’herbier, d’Yvonne Lacet (2017), que nous avons chroniqué ici.
- De l’autre côté du carrousel, de Teresa Arroyo Corcobado (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Bien fait !, de Jane Oshka et Paola De Narváez, dans la collection Les pétoches (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Petite peur bleue, de Valentine Laffitte (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Bleu de Delft, d’Ingrid Schubert et Dieter Schubert (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Hubert de Givenchy, pour Audrey avec tout mon amour de Philip Hopman (traduit par Aline Gustot) (2017), que nous avons chroniqué ici.
- La valise d’Osvaldo, d’Emma Anticoli Borza et Alessandra Vitelli, dans la collection Les pétoches (2017), que nous avons chroniqué ici.
Le site de Versant Sud Jeunesse : https://www.versant-sud.com/jeunesse.
En vacances avec… Anne Herbauts
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte ce qu’elle·il veut me faire découvrir. On ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’il·elle veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Anne Herbauts que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse :
- Voyage d’hiver, Anne Brouillard
- L’étranger mystérieux, Atak
- Romance, Blexbolex
- Ce jour-là, Mitsumasa Ano
- Jojo la mâche, Douzou
- Et j’ajoute, Koi ke bzzz ? de Carson Ellis, car en jeunesse, c’est impossible de faire des choix !
- Jacques Chessex, Le vampire de Ropaz
- John le Carré (tout)
- Per Olov Enquist, L’extradition des Baltes, ou encore, Blanche et Marie
- Russel Banks, Continents à la dérive
- Chamoiseau, Texaco
5 DVD :
- Le vent se lève de Myazaki
- Où est la maison de mon ami de Kiarostami
- Panique au village de Pic Pic André
- Playtime de Tati
- Le joli mai de Chris Marker
5 CD :
- Bach, tout Bach, c’est bien !
- Venise n’est pas en Italie de Reggiani
- El Gusto
- Un peu beaucoup de titres de Bob Dylan
- Fall of the Moon de Marcel Khalifé et Mahmoud Darwish
5 artistes :
- Le Photographe Walker Evans, ses portraits familiaux
- Bruno Munari, From afar it was an island
- Tout Caravaggio
- Une plongée dans Fra Angelico, Giotto, Ucello
- Les hommes-loups de Dominique Goblet
5 lieux :
- Voyage dans les vieux livres Univers des Formes (nrf), notamment celui de « Perse, proto-Iraniens, Mèdes, Achéménides ».
- Sous un vieil arbre, à l’ombre de l’été, avec un pique-nique simple et de l’eau fraîche, – des choses que l’on aime manger-, après avoir ratissé, pour faire des andains, l’herbe fauchée d’un verger en pente.
- Assise devant un paysage de vallée glacière, sur une moraine après une marche respectable, mais pas trop ardue. Juste ce qu’il faut de fatigue.
- Le matin tôt, debout devant un jardin d’été.
- Traverser les salles d’un grand ancien musée presque vide, salles à hauts plafonds, un peu sombres et lumières venues de verrières lointaines, avec une odeur de Brueghel et de Bosch…
Et aussi,
- De bons abricots, des cerises, de la purée d’amandes pure, du pain grillé, une citronnade de sureau.
- Des nuages-paquebots qui passent lentement dans le ciel.
- Des oiseaux dans les haies.
Anne Herbauts est autrice et illustratrice
Bibliographie sélective :
- Les koalas ne lisent pas de livres, texte et illustration, Esperluète (2018).
- Une histoire grande comme la main, texte et illustration, Casterman (2017).
- Broutille, texte et illustration, Casterman (2016), que nous avons chroniqué ici.
- L’Arbre Merveilleux, texte et illustration, Casterman (2016).
- Sous la montagne, texte et illustration, Casterman (2015).
- un jour Moineau, texte et illustration, Casterman (2014), que nous avons chroniqué ici.
- je t’aime tellement que, texte et illustration, Casterman (2013), que nous avons chroniqué ici.
- de quelle couleur est le vent ?, texte et illustration, Casterman (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Theferless, texte et illustration, Casterman (2012).
- les moindres petites choses, texte et illustration, Casterman (2012).
- La Galette et la Grande Ourse, texte et illustration, Casterman (2009).
- Lundi, texte et illustration, Casterman (2004).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !