Vous le savez si vous suivez La mare aux mots, j’adore les éditions de La Pastèque. C’est, pour moi, l’une des maisons d’édition les plus intéressantes. La plupart de leurs ouvrages sont des bijoux. J’ai eu donc envie de poser quelques questions à l’un des éditeurs, Frédéric Gauthier. Ensuite, c’est l’autrice Yaël Hassan qui a accepté de venir nous livrer ses coup de cœur et coup de gueule ! Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Frédéric Gauthier (La Pastèque)
Comment sont nées les éditions de La Pastèque ?
La Pastèque a reçu ses lettres patentes en juillet 1998 et sa première publication, Spoutnik 1, a été publiée en décembre de la même année. Mise sur pied par Martin Brault et moi-même, la maison d’édition compte à ce jour, plus de 275 titres. C’est en écoutant une table ronde sur la bande dessinée québécoise au Salon du livre de Montréal en novembre 1997 que l’idée de fonder une maison d’édition nous est venue. Ce jour-là, nous avions eu droit au sempiternel constat pessimiste sur la BD québécoise. Nous avons eu alors envie de brasser la cage et d’insuffler un peu d’optimisme à cette morosité ambiante. Nous voulions prendre le pari que les Québécois, comme les francophones d’Europe, apprécieraient une bande dessinée plus personnelle, plus intimiste.
Le volet jeunesse est venu presque 15 ans plus tard, étant une évolution naturelle de travailler avec nos créateurs sur des projets jeunesse. Nous avons abordé cette évolution avec une approche libre et novatrice qui ne s’ancre pas dans des formats établis.
Quelle est la ligne éditoriale ?
Il est toujours complexe de définir une ligne éditoriale, mais il y a un choix esthétique fort qui met de l’avant des talents graphiques possédants des styles authentiques et variés qui possèdent une filiation stylistique. La force de notre ligne éditoriale se base avant tout sur la liberté créative qu’on laisse à nos auteurs et illustrateurs. Nous laissons les récits se déployer dans leur forme idéale sans contrainte de format, pagination ou autre nécessité technique. Ce qui permet aux auteurs d’aller très loin dans leur création et ça libère grandement les illustrateurs. Nous concevons aussi le livre, l’objet en collaboration avec les créateurs donnant au final un produit conceptuel qui transpose entièrement la vision de ceux-ci. Au niveau des récits, dans la fiction nous cherchons des voix fortes, uniques qui témoignent du monde dans lequel on vit et qui s’éloigne des formules préconçues. La Pastèque mise aussi beaucoup sur la prise de risque pour faire évoluer sa ligne éditoriale. Nous n’avons pas peur de nous aventurer dans des projets hors norme, ce qui aide à pousser la recherche et développer son lectorat.
Aussi comme nous venons de l’école du roman graphique, notre approche à l’album est totalement décomplexée au niveau de la forme, de la longueur. On préfère que le lecteur puisse entrer dans l’univers visuel et narratif, ce qui implique une plus longue forme. Ce qui est naturel chez nous.
Vous êtes québécois, mais très présents en France. Que représente la France pour vous ?
La France a toujours été pour nous un marché aussi important que le Québec. Vital à nos débuts, ce marché reste encore à développer et nous pensons que la qualité de nos titres peut encore rejoindre un plus grand lectorat en France. Depuis 2-3 ans, nos titres sont sélectionnés pour des prix et des sélections prestigieuses ce qui nous aide à mieux faire voir ces livres et ces auteurs talentueux. De plus, nous travaillons avec plusieurs auteurs et illustrateurs français ce qui donne à notre catalogue une perception francophone forte et encore ici permet de solidifier les bases en France et partout en Europe.
Vos livres sortent ici exactement de la même façon qu’au Québec ou y a-t-il une adaptation ?
Il n’y a aucune adaptation, ce sont les mêmes livres. Disons qu’on pense à un marché global francophone quand on travaille aux livres, mais on laisse les auteurs et leurs styles personnels s’exprimer librement.
Combien de personnes travaillent pour les éditions de La Pastèque et quels sont leurs postes ?
Nous sommes une équipe de 6 personnes :
- Frédéric Gauthier, moi-même, – co-fondateur, éditeur, responsable des droits, des relations de presse et de l’administration
- Martin Brault – co-fondateur, éditeur et responsable de la production
- Marie-Soleil Granger – directrice commerciale
- Séraphine Manu – éditrice jeunesse
- Fabien Longval – coordination et administration
- Élisabeth Tielemans – responsable de la France, Belgique et Suisse
Dites-nous quelques mots sur le projet Tout garni
Avec le projet Tout garni nous voulions expérimenter les formes narratives natives numériques. Sans avoir rayé totalement le développement numérique de nos livres, la faiblesse du marché nous force à revoir nos stratégies numériques. On a eu l’opportunité de présenter ce projet pour obtenir des fonds de recherche et développement et on a donc imaginé un projet qui se déploie un peu à l’image des calendriers de l’avent, soit un projet par mois sur une année complète. Ces 12 projets sont liés par une trame narrative créée par André Marois et sont imaginés visuellement et technologiquement par 12 illustrateurs/trices différents. Ils ont donc le loisir d’imaginer l’axe numérique de leur choix sans restrictions et sont jumelés à une entreprise spécialisée qui a les compétences technologiques et créatives de les accompagner. On a donc eu des projets en « scroll », un jeu en ligne, un projet en réalité virtuelle, un jeu interactif avec téléphone intelligent, bref on n’est aucunement limité. Au final, le récit rocambolesque de ce livreur de pizza se terminera en décembre. Nous avons pu expérimenter durant toute l’année et mieux définir les possibilités pour la suite de ce développement, la mise en marché de telles idées et la mise en réseau de divers partenariats.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel ?
Suite à des études en cinéma, outre le travail en librairie, j’ai aussi travaillé dans le monde du multimédia et de la publicité, travaillant pour Sid Lee dirigeant un projet de création pendant 3 années. J’ai ensuite été développer le projet Foodlab à la Société des arts technologiques de Montréal pendant 3 années avant de finalement être à temps plein sur La Pastèque.
Quelles étaient vos lectures d’enfant/d’adolescent ?
Mes lectures de jeunesse étaient les classiques franco-belges de dessinée et plus tard une grande partie de l’héritage du magazine À suivre avec une affection particulière pour Alberto Breccia. J’ai également lu beaucoup de littérature jeunesse québécoise comme la série classique des Raisins de Raymond Plante.
Parlez-nous des prochaines sorties.
Cet automne sera riche et varié ! Nous sommes heureux de publier un album jeunesse de Kerascoët, Paul et Antoinette, qui sera mis à l’honneur au SLPJ [NDLR : Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil] cette année. C’est un album simple et rigolo sur un frère et une sœur que tout oppose ou presque…
Nous avons aussi un album fort d’India Desjardins, Une histoire de cancer qui finit bien : ce livre est particulièrement touchant, car c’est une jeune fille atteinte de cette maladie qui lui a demandé d’écrire une histoire positive à ce sujet.
Nous publions aussi, dans le cadre de notre nouvelle collection de documentaire graphique, un album époustouflant : Les poissons électriques ! Dans la lignée d’En voiture ! de Pascal Blanchet.
Enfin un autre de nos albums chouchous est Le brouillard de Kenard pak et Kyo Maclear, une fable sur l’écologie et les changements climatiques mais aussi sur l’importance de regarder l’autre, illustrée avec une grande délicatesse.
Parmi les titres sortis chez La Pastèque :
- L’oiseau de Colette, d’Isabelle Arsenault (2017).
- La milléclat dorée, de Benjamin Flouw (2017).
- Mon cœur pédale, Simon Boulerice et Émilie Leduc (2017), que nous avons chroniqué ici.
- En voiture, de Pascal Blanchet (2017).
- Les Liszt, de Kyo Maclear et Júlia Sardà (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Écrit et dessiné par Enriqueta, de Liniers (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Azadah, de Jacques Goldstyn (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Louis parmi les spectres, de Fanny Britt et Isabelle Arsenault (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Une berceuse de chiffons, d’Amy Novesky et Isabelle Arsenault (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La petite patrie, de Julie Rocheteau et Normand Grégoire (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Le facteur de l’espace, de Guillaume Perreault (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Série Paul, de Michel Rabagliati (2000-2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les affreux chandails de Lester, de K.G. Campbell (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Série Macanudo, de Liniers (traduit par Jean-Paul Partensky) (2008-2016), que nous avons chroniqué ici.
- Fourchon, de Kyo Maclear et Isabelle Arsenault (2011), que nous avons chroniqué ici.
Le site des éditions de La Pastèque : http://www.lapasteque.com.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Yaël Hassan
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur.trice, illustrateur.trice, éditeur.trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché.e, ému.e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il.elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé.e. Cette semaine, c’est Yaël Hassan qui nous livre son coup de cœur et son coup de gueule.
Coup de gueule…
Pendant toute une période de ma vie, l’été était synonyme de soleil, plage, baignades, bronzage, chaleur, torpeur, farniente, coquillages et crustacés, d’itsi bitsi petits bikinis, robes minis et fleuries, paysages, voyages, douceur de vivre… Un chapelet de mots aussi prometteurs qu’anodins qui vous parlaient de vacances, de détente les doigts de pieds en éventail et un bon livre dans les mains !
Mais ça, c’était avant…
Il est fini le temps où, sur la plage, on ne portait plus rien ou pas grand-chose. Couvrez-moi ce nombril que je ne saurais voir ! La tendance serait de renvoyer les femmes à leurs étoffes et autres voiles dont elles ont mis tant de temps à se dépêtrer et, nos étés, sont devenus meurtriers.
Nice, Barcelone, attentats, insécurité, danger, policiers, militaires, état d’urgence, terrorisme, islamisme, djihadisme, obscurantisme, barbarisme, ces mots-là, ceux en isme, sont bien moins chaleureux, bien moins sympathiques. Dorénavant nos étés sont jalonnés de commémorations, de larmes, de drames, de concerts en hommage aux victimes…
Alors, mieux qu’un coup de gueule, c’est un coup de poing dans la gueule qu’on aimerait assener à tous ces fanatiques qui nous empêchent de bronzer en paix ! Non, mais !
Coup de cœur…
J’aime le mois de septembre.
Non, pas parce qu’il est celui de la rentrée des classes, pour moi, ce temps-là, est si loin déjà… Mais parce qu’il est prometteur. Il est celui du livre que je suis en train d’écrire, de celui qui est sur le point de sortir, de ceux, nombreux, que je vais découvrir sur les étals des librairies, des auteurs aimés que je vais retrouver, de ceux dont je ferai la connaissance, des livres que j’adorerai et ceux que je délaisserai.
La rentrée littéraire en sonnant certes le glas des vacances estivales n’en est pas moins annonciatrice de délices futurs que je dégusterai sans modération lors des soirées pluvieuses d’automne et celles glacées de l’hiver.
Contre le fanatisme, contre les extrémismes, il n’existe pas de meilleure arme que les livres, le savoir, l’éducation. Et c’est en cela que les Littératures (jeunesse et vieillesse) sont si grandes !
Bibliographie sélective :
- Un roman d’aventures (ou presque), Syros (2017).
- La révolte des moins-que-rien, Les éditions du mercredi (2017).
- Achille, fils unique, Nathan (2016).
- C’est l’histoire d’un grain de sable, illustré par Manuela Ferry, éditions du pourquoi pas ? (2016).
- Quatre de cœur, co-écrit avec Matt7ieu Radenac, Syros (2016).
- Perdus de vue, co-écrit avec Rachel Hausfater, Flammarion Jeunesse (2016).
- L’usine, Syros (2015).
- J’ai fui l’Allemagne nazie, Gallimard Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les demoiselles des Hauts-Vents, Magnard Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- L’heure des mamans, illustré par Sophie Rastégar, Utopique (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La fille qui n’aimait pas les fins, coécrit avec Matt7ieu Radenac, Syros (2013).
- Défi d’enfer, roman illustré par Colonel Moutarde (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Rue Stendhal, Casterman (2011).
- Momo, petit prince des Bleuets, Syros (1998).
- Un Grand-père tombé du ciel, Casterman (1997).
Le site de Yaël Hassan : http://minisites-charte.fr/yael-hassan.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !