Il y a quelques semaines, j’ai découvert la série Dou de Johan Leynaud, et j’ai trouvé ce nouveau personnage pour tout-petits vraiment réussi. J’avais envie d’en savoir plus sur son auteur, il a accepté de répondre à mes questions. Ensuite, c’est avec Élise Thiébaut, Mirion Malle et Marianne Zuzula que nous avons rendez-vous pour la rubrique Parlez-moi de… Ensemble, elles reviennent sur leur album, Les règles… quelle aventure ! Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Johan Leynaud
Pouvez-vous nous parler de Dou, votre série sortie chez Sarbacane ? Comment est-il est né ? D’où est venu ce héros ?
Dou est un petit ornithorynque qui vit avec tendresse et humour les aventures quotidiennes d’un enfant de 2 ans, environ. L’idée est apparue lors de mon premier rendez-vous chez Sarbacane. J’y allais pour parler du projet de mon premier album, et j’avais pris avec moi quelques dessins. Parmi ces dessins, il y avait un ornithorynque assez malicieux. Un corps de loutre, un bec et des pattes de canard, une queue de castor, je trouvais que ce drôle d’animal en construction résonnait particulièrement avec les enfants qui grandissent, petit bout par petit bout. Ce n’était pas encore Dou, mais j’ai vu que mes éditeurs l’aimaient bien. Ça m’a donné envie de le retravailler et de leur proposer ce petit héros. Ça m’a pris plus d’un an et demi pour les convaincre. Ils étaient intéressés, mais aussi réticents, car ce n’est pas facile de lancer une série pour les tout-petits. Après de nombreux allers-retours, tout s’est concrétisé quand ils ont été touchés par le design presque définitif de Dou. Je pense que ça a été l’élément déclencheur pour qu’on se lance tous ensemble dans l’aventure.
En plus d’être auteur/illustrateur, vous êtes aussi graphiste et réalisateur, parlez-nous de votre parcours.
J’ai fait mes études aux Beaux-arts de Marseille. Bien que j’y ai dessiné, j’y ai aussi découvert, avec passion, la vidéo. Après ma formation, j’ai travaillé dans l’audiovisuel à Paris, en tant qu’assistant monteur, puis monteur et graphiste vidéo, principalement dans le milieu de la publicité. Puis j’ai commencé à réaliser des petits films graphiques, avant de me lancer dans des projets d’animation. De mon métier de graphiste j’ai appris à être efficace. Et le montage et la réalisation m’ont permis d’exercer mon sens de la narration et du rythme. J’essaie de mettre toutes ces choses dans mes albums.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
Je travaille en équilibre entre le papier et la tablette graphique. Mes premières recherches et mes crayonnés se font toujours sur papier, puis mes couleurs finales et mon encrage se font sur tablette. Ça me permet de marier le plaisir des feutres et du crayon avec le contrôle très précis des lignes et des couleurs. Je ne cherche pas à avoir quelque chose de parfait, et je ne veux pas non plus quelque chose de maladroit. À ma manière j’essaie de trouver quelque chose de parfaitement imparfait.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Mes premières amours furent pour la BD. Beaucoup de comics, mais aussi Rahan, Gaston Lagaffe, Achille Talon. Puis j’ai grandi avec des auteurs comme Loisel, Comès, Moëbius, Bilal.
Du côté album jeunesse, mon premier souvenir de lecture seul est : Le dictionnaire des mots tordus. Ça a été un ravissement ! J’ai aussi été très marqué par un recueil des contes de Ceylan publié chez Gründ, qui était totalement envoûtant et magnifiquement illustré par Marian Capka.
Il y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Il y en a plein ! Venant plutôt de la BD et de l’animation, beaucoup de ma culture de l’illustration est à faire et reste à faire. Grâce au Prince des mots tordus, j’ai un attachement particulier pour le travail de Pef. Puis, au-delà des classiques que j’adore comme Sempé et Tomi Ungerer, j’aime aussi beaucoup la générosité émotionnelle de Benoît Charlat, l’intelligence de Yusuke Yonezu et le sens de la forme de Janik Coat. J’ai aussi été très impressionné par l’élégance du travail d’Alexandra Pichard sur l’album Puisque c’est comme ça je m’en vais ! (écrit par Mim). Récemment j’ai eu deux coups de cœur pour le travail de Laurent Simon et d’Audrey Spiry. Le travail de Laurent Simon est plein d’énergie et de fraîcheur, et celui d’Audrey Spiry est un véritable tourbillon !
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Mes prochains albums seront de nouveaux épisodes de Dou. D’ailleurs en juin de cette année, on le retrouvera à la crèche ! En parallèle je pense aussi à d’autres projets pour les tout-petits mais aussi pour les plus grands ! Ce n’est pas les idées qui manquent, c’est le temps !
Bibliographie :
- Dou s’habille, texte et illustration, Sarbacane (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Dou et son doudou, texte et illustration, Sarbacane (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Ma maman arc-en-ciel, texte et illustration, Sarbacane (2017).
- Mon papa est un soleil, texte et illustration, Sarbacane (2015).
Parlez-moi de… Les règles… quelle aventure !
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et/ou son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellés. Cette fois-ci, c’est sur Les règles… quelle aventure !, que nous revenons avec son éditrice (Marianne Zuzula), son autrice (Élise Thiébaut) et son illustratrice (Mirion Malle).
Marianne Zuzula, éditrice :
J’ai lu et adoré Ceci est mon sang, le livre d’Élise Thiébaut paru à la Découverte en début d’année 2017, et j’étais vraiment super enthousiaste à l’issue de cette lecture, avec tout de suite l’envie de faire un livre de ce style pour les préados. En effet parler des règles, c’est parler de féminisme, c’est parler du corps des femmes, c’est parler du patriarcat, c’est parler de sexualité, c’est parler de politique, bref, il me semblait indispensable de sensibiliser les ados à cette question, de leur montrer que les règles ce n’est pas juste un truc pénible qui arrive une fois par mois, mais que c’est un VRAI sujet dont il faut se saisir. J’ai regardé ce qui existait sur le sujet en jeunesse et là c’était vite vu : rien !!! Tous les livres sur la puberté, les bons comme les mauvais, traitent des règles, et consacrent une ou deux pages, voire même un petit chapitre, à ce sujet, mais c’est tout. Je me suis dit qu’il fallait y remédier immédiatement, et proposer un livre qui ne soit pas un documentaire, mais un essai, un livre qui prend parti, qui donne son avis et qui questionne. Donc j’ai contacté Élise, qui était partante (ouf !). Sur un tel sujet, où la question de la représentation est centrale, il ne fallait pas se louper dans le choix de l’illustratrice (je dis illustratrice car honnêtement ça ne nous est jamais venu à l’idée de proposer à un homme de faire les dessins !), c’est pourquoi j’ai proposé à Mirion Malle, la meilleure du monde si vous voulez mon humble avis, d’illustrer ce livre, et elle a accepté (ouf !). À l’arrivée, le livre est juste parfait, il est vraiment utile, il fonctionne bien et il fait son chemin… et ce n’est pas fini !
Élise Thiébaut, autrice :
Quand j’ai publié Ceci est mon sang, de nombreuses personnes me disaient « Ah si j’avais su ça quand j’étais ado, j’aurais bien mieux vécu mes règles ! » Pourtant, je n’envisageais pas d’écrire de nouveau sur le sujet, alors que j’avais déjà publié trois livres documentaires pour ados chez Syros. C’est uniquement parce que Marianne Zuzula m’a contactée avec ce projet que j’ai commencé à me dire que c’était une bonne idée, surtout quand j’ai vu les précédents livres de la collection Jamais trop tôt, écrits par les Pinçon-Charlot ou Caroline de Haas, qui sont géniaux… Mais ce qui m’a vraiment enthousiasmé dans cette aventure (ah ah), c’est de savoir que Mirion Malle allait illustrer le livre. J’aime beaucoup ses dessins et sa façon d’aborder les choses, avec une puissance et une originalité totalement bluffantes. Je pensais au départ adapter Ceci est mon sang pour un public jeune, mais très vite, j’ai compris qu’on était en train de faire quelque chose de plus audacieux, presqu’un manuel de féminisme : on a essayé de s’adresser à tout le monde, sans stéréotype et sans faux semblant, avec humour, pour que chacune, chacun soit à l’aise avec cette histoire qui produit encore aujourd’hui trop de honte. Ce n’est pas sain d’avoir honte de soi parce qu’on a ses règles, ça empêche d’avoir confiance en soi, de se respecter, de prendre soin de soi. Parler des règles de façon positive, c’est créer les conditions pour qu’elles se vivent mieux, et pour qu’on aborde ensuite la sexualité et la vie en général avec plus de confiance… Sang peur et sang reproche !
Mirion Malle, illustratrice :
Quand Marianne m’a contactée pour me demander si, éventuellement, si jamais l’autrice était d’accord, si le sujet m’intéressait, je voudrais bien illustrer un livre jeunesse sur les menstruations, je me suis dit que c’était trop beau : je voulais travailler avec La ville brûle depuis un bout, j’avais entendu parler du livre d’Élise, Ceci est mon sang, et faire de l’illustration jeunesse était pour moi un joli nouveau défi. Et en plus sur, tout simplement, le meilleur sujet !!! Ça me semble tellement incongru que ce soit le premier livre jeunesse entièrement consacré aux règles, alors que c’est quelque chose qu’il est nécessaire d’aborder le plus tôt possible, de façon claire, précise, sans mystère ou menace qui planent autour. Je repense toujours à ma grand-mère, à qui on n’avait jamais parlé des règles, qui en rentrant des courses quand elle était une toute jeune fille s’est rendu compte qu’elle saignait du sexe. Ses parents étaient absents, alors elle s’est ruée chez la voisine en hurlant qu’elle allait mourir, qu’elle perdait son sang, qu’elle était blessée ; elle était perdue et paniquée. Je ne sais pas ce que la voisine lui a dit exactement, je sais qu’elle l’a rassurée, mais des fois je me demande comment cette dame a réagi… J’imagine qu’elle n’avait pas plus envie de parler de ça à ma mamie que mes arrières-grands-parents, et qu’elle a dû se dépatouiller maladroitement avec cette tâche ingrate. Je pense à ma mamie qui devait ne rien comprendre et sur qui cette nouvelle assommante (tu vas saigner tous les mois pendant environ 40 ans) est tombée d’un coup. C’est crucial de parler de ça à celles et ceux qui sont concerné.e.s, aux jeunes filles, aux jeunes garçons, pour que les tabous et le dégoût qui les entourent disparaissent, que ce soit plus facile. Quand j’ai lu les textes d’Élise, j’ai été tellement heureuse que ça marche et qu’on puisse faire ce livre. C’est celui que j’aurais aimé avoir à 10, 11,12, 13 ans et même après !
![]() Les règles… quelle aventure ! Texte d’Élise Thiébaut, illustré par Mirion Malle. Sorti chez La ville brûle (2017). |

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !