Aujourd’hui, on reçoit la très talentueuse Liuna Virardi qui vient de sortir deux très beaux livres musicaux chez Didier Jeunesse et un album très ingénieux chez L’agrume. Ensuite, c’est quelqu’un qu’on aime beaucoup qui est l’invitée de la rubrique Ce livre-là, Joëlle Turin. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Liuna Virardi
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Même si mes études se sont toujours tournées vers l’art, mon parcours professionnel a été un peu long et tortueux.
Pendant cinq ans j’ai étudié les techniques picturales à l’école d’art de Bologne (ma ville natale), puis j’ai fait une parenthèse d’un an en Irlande pour apprendre l’anglais et me déconnecter un peu des études. Ensuite je suis rentrée en Italie et pendant trois ans j’ai étudié le dessin graphique et la communication visuelle à l’ISIA d’Urbin. Enfin je suis partie à Barcelone, où j’ai étudié l’illustration à l’École Massana.
Après ces études j’ai ressenti le besoin de m’éloigner du monde de l’art. J’ai bien sûr continué à dessiner pour moi-même, mais j’étais bien loin de penser à pouvoir faire de l’illustration mon métier. Pendant plusieurs années j’ai alors travaillé dans des métiers les plus variés, mais en tout cas pas du tout liés à l’illustration.
Puis, petit à petit, des projets personnels que j’avais commencés juste pour le plaisir de rechercher ou de jouer, se sont transformés en projets de livres et j’ai alors décidé de les montrer à des éditeurs. C’est comme ça que mes deux premiers livres sont arrivés : un livre illustré de recettes de ma grand-mère (Le chicche della nonna Ida, Sd·edicions Mudito, Espagne, 2013) et l’ABC des peuples (sorti d’abord au Chili chez l’Editorial Amanuta en 2015, puis en France chez les Éditions MeMo en 2015 et en Italie chez la maison d’édition Terre di Mezzo en 2016). Ces deux livres ont été rapidement bien accueillis recevant aussi des prix importants et cela m’a poussée à continuer mes pas sur ce chemin.
J’aimerais que vous nous parliez du très beau Dans la boîte, sorti chez L’Agrume.
L’idée du livre Dans la boîte est née de ma passion pour les boîtes et de ma curiosité de savoir ce qu’elles contiennent.
Dans la boîte est un imagier pour apprendre des nouveaux mots et contextualiser les objets.
Le fait d’« ouvrir » les différentes boîtes en soulevant les pages pour ainsi découvrir ce qu’il y a dedans, crée un effet surprise qui, accompagné par des couleurs vives, rend l’imagier, à mon avis, ludique et amusant.
Dans ma tête il existe l’idée de créer une petite collection d’imagiers basés sur le même principe d’« ouverture » … allez savoir si un jour ils prendront forme 🙂
J’ai aussi particulièrement aimé votre travail sur Je découvre le Jazz et, surtout, sur Je découvre les comédies musicales (sortis chez Didier Jeunesse), pouvez-vous nous dire comment vous avez travaillé sur ce dernier ?
Illustrer ces deux titres a été un drôle de défi car je n’avais jamais associé le dessin à la musique, mais l’expérience m’a beaucoup plu.
D’abord j’avais pensé aborder les sujets en partant de la couleur et de formes abstraites, mais une des contraintes éditoriales était de créer, notamment pour Je découvre les comédies musicales, des images emblématiques.
J’ai alors fait beaucoup de recherches autour de chaque morceau à illustrer pour me familiariser avec le sujet et les personnages puis, les yeux fermés, j’ai juste écouté les chansons des milliers des fois et je me suis laissée emporter par la musique.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
La technique que j’utilise dépend des besoins de chaque projet et du temps dont je dispose pour le travailler.
Un exemple d’adaptation de technique selon les besoins du projet c’est l’ABC des peuples. En effet, pour ce livre j’avais choisi la technique des tampons, car cela me permettait de créer des formes modulaires que je pouvais reproduire autant de fois que je voulais et avec lesquelles j’ai pu composer chacun des portraits. Dans ce sens, les tampons m’ont permis de travailler la thématique de la diversité et de l’égalité entre les êtres humains.
Ces derniers temps, cependant, c’est vrai que je travaille surtout en numérique, avec ma petite tablette graphique que j’utilise comme un crayon ou alors en utilisant des textures créées à la main et puis scannées pour assembler des collages numériques. Je trouve cette technique très intuitive et ludique. En plus, elle me permet aussi de travailler de façon plus rapide.
Cela dit, parfois j’ai la nécessité de me salir un peu les mains et de créer de façon plus lente … Ainsi, pour un de mes prochains projets, j’ai décidé d’utiliser que des techniques analogiques.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Je pense tout simplement de la vie elle-même et de la nature, bien sûr.
C’est vraiment dans les petites choses du quotidien que je trouve l’inspiration : une feuille tombant d’un arbre, une mélodie, les nuages qui courent dans le ciel, une phrase lue ou écoutée, la mer, les gens, les animaux, une fleur qui s’ouvre, une couleur, etc.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche tout particulièrement ?
Oui, bien sûr j’apprécie beaucoup le travail de nombreux illustrateurs ainsi que d’artistes en général qui influencent inévitablement mon travail, comme par exemple : Bruno Munari, Leo Lionni, Iela et Enzo Mari, Katsumi Komagata, Fredun Shapur, Nathalie Parin, Olle Eksell, Paul Rand, Beatrice Alemagna, Junko Nakamura, Katrin Stangl, Remi Charlip, Laurent Moreau, Tomi Ungerer, Wolf Erlbruch, Lucie Félix, BlexBolex, Milimbo, Valerio Vidali, Violeta Lopíz, Rotraut Susanne Berner, William Wondriska, Bastien Contraire, Madalena Matoso, Dahlov Ipcar, pour ne citer que quelques-uns.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Enfant je n’avais pas une grande passion pour la lecture car malheureusement je l’associais à l’école et donc je n’arrivais pas à y prendre vraiment plaisir. Par contre j’ai des beaux souvenirs des contes que ma mère ou ma grand-mère me lisaient avant de dormir. Il s’agissait de classiques comme les contes des frères Grimm, d’Hans Christian Andersen ou de Charles Perrault.
À 12 ans j’ai lu par la première fois Le journal d’Anne Frank, ce qui a réveillé en moi un grand intérêt pour le thème de l’holocauste et de la discrimination raciale. J’ai donc commencé à lire beaucoup de livres sur ce sujet si terrible et en même temps si touchant pour moi.
Puis, adolescente, j’ai eu une grande passion pour les romans classiques, alors je me suis plongée dans la lecture d’auteurs comme : Luigi Pirandello, Italo Svevo, James Joyce, Ernest Hemingway, Jack Kerouac, Hermann Hesse, George Orwell, Oscar Wilde, etc.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Il y a plusieurs projets en préparation dont des commandes et des projets personnels.
En effet, je travaille actuellement sur trois livres pour les plus petits, un avec des jeux de pliage et des trous, un avec une lecture circulaire, l’autre sur les émotions ; deux albums, un sur la lenteur l’autre sur la dualité ; un livre destiné à des enfants plus grands ou alors à des ados ou à des adultes sur les proverbes anglais ; et plus encore …
Une chose est sûre, indépendamment du projet, j’essayerai toujours de créer avec beaucoup de passion, d’attention et de bienveillance 🙂
Bibliographie française :
- Je découvre les Comédies Musicales, illustrations de chansons, Didier Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Je découvre le Jazz, illustrations de chansons, Didier Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Dans la boîte, texte et illustrations, L’agrume (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Imagine, texte et illustrations, L’agrume (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Comment tout a commencé, texte et illustrations, MeMo (2017).
- ABC des peuples, texte et illustrations, MeMo (2015).
Ce livre-là… Joëlle Turin
Ce livre-là… Un livre qui touche particulièrement, qui marque, qu’on conseille souvent ou tout simplement le premier qui nous vient à l’esprit quand on pense « un livre jeunesse ». Voilà la question qu’on avait envie de poser à des personnes qui ne sont pas auteur·trice, éditeur·trice… mais des libraires, des bibliothécaires, des enseignant·e·s ou tout simplement des gens que l’on aime mais qui sont sans lien avec la littérature jeunesse. L’invitée de ce nouveau Ce livre là, c’est Joëlle Turin. Elle nous parle de l’album de Beatrice Alemagna, Un grand jour de rien, sorti chez Albin Michel en 2016.
Il entre dans les pouvoirs de l’album de faire écouter les pensées de l’eau, de faire humer les parfums des feuilles, des arbres, des champignons, de faire toucher le « fourmillement » des racines, des baies, des granules souterraines, ou encore de livrer au regard le chatoiement des couleurs du ciel et les éclats des rayons du soleil. C’est tout à fait ce que le lecteur peut vivre en lisant l’aventure du petit personnage de ce magnifique album de Beatrice Alemagna. Si l’histoire commence dans l’excès contraire quand les jeux sur sa tablette font office d’unique présence et occupation pour le garçon qui s’ennuie, la magie de l’album opère un retournement complet dès que l’objet de la modernité qui émousse toutes les sensations tombe à l’eau. Alors commence une véritable ode à la nature où lecteur et personnage deviennent sensibles à la beauté des paysages, élargissent leurs perceptions et réveillent leur capacité d’émerveillement. Quand le jeune garçon, « arbre perdu dans la tempête » sous les gouttes de pluie qui cognent « comme des pierres » sur son dos, prête attention à ce qui l’environne, le sentier qu’il emprunte, bordé de champignons, lui rappelle des moments passés et heureux avec son grand-père. Il ouvre alors les yeux sur ce qui l’entoure et se laisse envahir par les paysages qui réveillent tous ses sens. Ivre de bonheur, il plonge ses mains dans la terre, dialogue avec les insectes, grimpe aux arbres, s’éclabousse dans les flaques d’eau et, découvrant pour finir le ciel immense percé de rayons de soleil, il en tombe à la renverse. Les images éblouissantes de couleurs et de beauté mettent le lecteur au diapason du personnage. Chacun désormais peut se tenir à l’écoute des choses qui ne parlent pas, être attentif à ce qu’il ne voyait pas jusque-là et habiter le monde autrement. Le jeune garçon en témoigne quand, transfiguré, il rentre à la maison, apaisé, riche d’une expérience nouvelle qui l’ancre dans une tradition familiale où, se souvient-il soudain, la nature avait toute sa place.
Joëlle Turin est autrice de Ces livres qui font grandir les enfants sorti chez Didier jeunesse en 2012. Elle est également formatrice spécialisée dans les livres et la lecture avec la petite enfance.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !