J’avais eu un coup de cœur pour Le pèse-claques, aussi j’ai eu envie d’en savoir plus sur son autrice, Mathilde Lossel, elle a accepté de répondre à mes questions. Ensuite, on retrouve une conteuse que j’apprécie beaucoup, France Quatromme, elle nous livre ses coups de cœur et coups de gueule. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Mathilde Lossel
Parlez-nous de votre parcours
J’écris pour la presse jeunesse depuis 2007. J’ai publié chez Milan presse des poèmes, puis des récits, et depuis 2012 je partage avec Léna Elka l’écriture de la BD Éliot et Zoé, illustrée par Yves Calarnou, qui paraît chaque mois dans le magazine Toupie.
Mon expérience dans l’édition a débuté avec Le cirque des pattapoils. Parue initialement dans le magazine J’apprends à lire, cette histoire de peluches qui s’animent avant de retourner à la vie sauvage, est devenue en 2016 un ouvrage des éditions Milan.
Le Pèse-claques, paru en 2018 chez Didier Jeunesse, est né en marge de cette collaboration avec la presse. C’est un travail d’écriture complètement différent, et mon premier roman.
Dans un autre registre encore, une rencontre insolite avec les éditeurs de la maison PPAF a fait éclore, en 2018 également, Mes états morphes, un livre qui invite à une expérience typographique et poétique sur le thème de la métamorphose.
Vous en parliez, Le Pèse-claques, pouvez-vous nous présenter ce super roman ?
Dans le quartier de Malappris, M. Kam’lott a créé une machine capable de peser les bêtises des enfants. En fonction du poids des bêtises, la machine distribue un certain nombre de claques et de fessées. L’homme fait fonctionner son invention à l’occasion de spectacles auxquels sont conviés les parents du quartier et leurs enfants turbulents.
Parmi les enfants, Tabatha, experte en bêtises, se rebelle. Sa spontanéité et son bon sens, associés à une imagination débordante, viendront à bout de la violence imposée aux enfants du quartier.
Comment est née cette histoire, où avez-vous trouvé l’inspiration ?
L’idée de départ était de réfléchir au moyen de vivre avec la violence qui nous entoure. Elle nous concerne tous, mais celle qui touche les enfants m’émeut particulièrement. J’ai beaucoup d’empathie pour les enfants qui se font hurler dessus pour trois fois rien, ou qui se font malmener physiquement. Ça m’attriste énormément.
Il y a maintenant une loi qui interdit les fessées, mais elle arrive bien en avance sur les mentalités.
Heureusement, mon héroïne est pleine de ressources. Face à la machine, elle apporte des solutions très intéressantes, parmi lesquelles l’humour, la désobéissance, l’imagination et surtout, elle a l’idée de faire intervenir l’intelligence collective.
C’est une enfant capable de se faire sa propre opinion des choses et de dire non. Elle comprend aussi intuitivement que même si elle parvient à ne plus subir les punitions, elle ne peut pas être heureuse tant que les autres enfants en sont encore victimes. Elle a besoin d’eux pour se sentir libre.
Unis, les enfants de Malappris transforment un instrument de violence en une création ludique récompensant l’imagination et laissant souffler la joie de vivre.
Quelle est la part de vous dans le personnage de Tabatha ?
Je crois que ce que nous avons en commun, c’est une grande imagination. C’est une force, qui permet notamment de trouver des solutions pour résoudre un problème.
Cela dit, il y a inévitablement une part de moi dans chaque personnage du roman. Un ami a ajouté un jour que dans ce cas, il y a aussi une part de moi… dans la machine.
Bien sûr ! Il y a de la violence en chacun de nous, qu’on le veuille ou non. C’est humain.
Le livre a déclenché quelques polémiques infondées, pouvez-vous nous en parler ?
Le Pèse-claques a suscité des réactions que je n’avais pas envisagées. Je voulais raconter à quel point les claques et les fessées me sont insupportables et pour condamner cette violence, je suis amenée à l’évoquer. Ça, pour certains lecteurs, c’est choquant.
Pourtant mon récit n’est pas une apologie de la violence, c’est tout le contraire ! Et je ne pense pas que mon livre soit si sombre. Au contraire. Les enfants rient beaucoup en le lisant. Les personnages sont pleins d’humour, créatifs, généreux et solidaires. Il me semble avoir mis une bonne dose d’amour dans cette histoire.
Je relisais récemment le livre Matilda de Roald Dahl. Il y a une scène dans laquelle la directrice de l’école jette un enfant par la fenêtre. En tant qu’adulte, j’ai été étonnée de cette violence dont je ne me souvenais pas. Et j’avais adoré ce livre, enfant. L’héroïne est très intelligente, et au fil du récit, elle apprend à se défendre. C’est ça que j’avais retenu.
Le Pèse-claques suscite un autre type de réaction. C’est celle des parents ou enseignants qui pensent que ce livre serait un pousse-au-crime. Le Pèse-claques encenserait les mauvaises actions des plus jeunes.
Mon intention n’est pas là. Je ne souhaite pas créer du désordre dans les familles ou les écoles, et je ne pense pas du tout qu’il faille laisser les enfants faire tout et n’importe quoi.
Je suis romancière, j’écris des histoires. Évidemment, on doit protéger ses enfants et les aider à devenir des êtres responsables. Les empêcher autant que possible de se mettre en danger, faire en sorte qu’ils ne tombent pas malade, leur apprendre à vivre en société en bonne intelligence avec leurs semblables. Tout cela implique des règles.
Mais les enfants font tout un tas de choses qui agacent les parents (ou les font rire, c’est selon), dont un bon nombre qui ne sont pas dangereuses et ne les empêchent pas de vivre en harmonie avec les autres. Parfois nous, les adultes, avons des réactions disproportionnées. Parce que nous sommes fatigués, ou pressés. Ou parce que nous oublions que nous aussi nous avons été des enfants.
Qu’est-ce que c’est qu’une bêtise ? La plupart du temps, c’est lorsqu’un enfant désobéit. Mais il ne faut pas confondre obéissance et intelligence, ni obéissance et amour.
Je voudrais tout de même préciser que la majorité des gens qui ont lu mon livre l’ont beaucoup apprécié et ont très bien compris mes intentions d’écriture. J’ai eu d’excellents retours de mes jeunes lecteurs, ça m’a touché.
Vous venez d’évoquer Roald Dahl, l’univers du Pèse-claques m’y a fait penser, c’est une référence pour vous ?
Je lisais plein de livres, enfant. Dont Roald Dahl, c’est vrai. Il avait un talent incroyable pour créer des personnages.
Ses personnages sont très réalistes. Leurs traits de caractère sont tellement appuyés qu’ils deviennent des hyperboles. Ça les rend particulièrement intéressants, et paradoxalement, d’autant plus crédibles. Ça permet aussi à Roald Dahl de glisser vers un univers trouble, un peu louche, un monde fantastique avec une pointe de noirceur. Il met, dans la description des personnages qu’il souhaite rendre antipathiques, une bonne couche de sarcasme.
Le sarcasme, ou l’ironie, est une façon de créer un léger décalage dans lequel le lecteur peut se faufiler et adopter un point de vue personnel sur une situation donnée.
Donc oui Roald Dahl est une référence. Je ne pensais pas particulièrement à cet auteur lorsque j’ai écrit le Pèse-claques, mais cela me fait plaisir qu’on y fasse allusion en parlant de mon roman.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages
Mon prochain livre sera assez différent du Pèse-claques. Il y sera question de nature, de passage secret, de magie.
Ce sera l’histoire d’un frère et d’une sœur qui s’échappent d’un orphelinat. Mais je ne veux rien dévoiler pour l’instant. Ça crépite encore dans ma tête.
Bibliographie sélective :
- Le Pèse-claques, roman illustré par Guillaume Plantevin, Didier Jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Mes états morphes, création graphique imaginée par ad/ch, Première Pression à Froid (2018).
- Le cirque des Pattapoils, roman illustré par Hélène Convert, Milan Benjamin (2016).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… France Quatromme
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est France Quatromme qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
J’ai grandi au cœur de la nature, sculpté la terre recueillie au fond des étangs, côtoyé les êtres invisibles des bois, dialogué avec les animaux. Puis je suis allée à l’école, je m’y suis sentie si à l’étroit que je m’y échappais le plus souvent possible par la fenêtre de mon imagination. J’y suis restée longtemps pourtant comme pour éviter de me frotter au monde, à ce monde dans lequel je ne me reconnaissais pas. Quelle est ma place ? Quel est le sens de l’existence ? J’avais beau chercher, je ne trouvais pas.
Animatrice puis éducatrice de jeunes enfants, j’ai côtoyé des enfants dès mon plus jeune âge, peut-être parce qu’ils ont de façon si naturelle ce sens de l’absolu que je voulais garder vivant. L’écriture et le conte ont été une manière pour moi de rester connectée à cette part d’absolu, cette part d’enfance, d’habiter mes rêves d’un monde différent.
Nourrie par les contes, les mythes, j’ai pu retrouver de la force pour regarder l’aspect plus sombre du monde. Mes livres se heurtent parfois à la réalité, la pauvreté, la guerre, la maladie, la mort, une manière de donner aux enfants à entendre l’indicible. Je suis un passeur de contes, un passeur de paroles, un passeur de regard dont l’autre peut se nourrir et peut-être faire quelque chose. Ce tissage d’histoires me relie à l’humanité.
(Le temps des cerises aux éditions Utopique, On ira voir la mer aux éditions Lirabelle, L’orchestre de la Favela aux éditions Graines d’orties)
Mes livres et mes contes donnent à voir les valeurs qui m’habitent, rient de mes limites humaines. Pie, chat et hibou évoque cette tentation d’avancer seul pour avoir plus et plus vite mais au final ce besoin irrépressible d’être ensemble. Cette part aussi portée par la lumière des yeux du hibou d’accès à ce qui ne se voit pas ou peu dans nos sociétés occidentales, cette part de sacré mystérieuse et pourtant fondamentale.
Les contes me font sentir comme tout est fluide, l’homme, la terre, les arbres, les plantes communiquent. Il n’y a pas de hiérarchie, chacun y est à sa place. Je revisite aussi cela dans mes livres. Et puis j’écris pour jouer simplement et garder vivant mon cœur d’enfant.
(Une planète aux éditions Dyozol)
Il y a peu les incendies au Brésil ont réveillé en moi une peur profonde. Qu’allons-nous laisser à nos enfants ? Écrire et dire des histoires a-t-il encore un sens dans le monde actuel ? Où retrouver l’espérance, une vision à donner aux nouvelles générations ? J’ai écouté l’appel au secours des peuples autochtones. Je suis revenue à la source de leurs messages fondamentaux, la connexion à la terre, au vivant, au sacré. Dans l’ombre de ma chambre, je chante, je joue du tambour, j’écris pour rien ou si pour ne pas oublier que je ne suis qu’un maillon dans l’échelle du vivant et que ce maillon peut faire sa part.
En Bretagne où je vis aujourd’hui et partout dans le monde, il y a des femmes et des hommes qui œuvrent à la transmission de la connaissance des plantes et des arbres, de leur rapport au sacré. C’est à ces hommes et ces femmes herboristes, jardiniers, chamanes, conteurs, artistes que je veux rendre hommage aujourd’hui. C’est aussi à cette part d’absolu en chacun de nous à laquelle nous pouvons nous connecter pour retrouver du sens dans nos existences qui en sont parfois si dépourvues.
France Quatromme est autrice et conteuse.
Bibliographie sélective :
- Pour être un bon gros méchant loup, album illustré par Margaux Grappe, Voce Verso (2019).
- Pie Chat Hibou, album illustré par Anne Crahay, L’Élan vertOctobre (2018).
- Une planète, album illustré par Baptistine Mésange, Éditions Dyozol (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Mon enfant de la terre, album illustré par Sandrine Bonini, Les Éditions des Éléphants (2017).
- Princesse Souris, album illustré par Violaine Costa, Circonflexe (2017), que nous avons chroniqué ici.
- On ira voir la mer, album illustré par Évelyne Mary, Lirabelle (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Série Fine & Waf, albums illustrés par Rozenn Bothuon, Fleur de ville (2016-2019), que nous avons chroniqué ici.
- Dans les draps de la nuit, album illustré par Hitomi Murakami, Lirabelle (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Ma vie de chien, album illustré par Daphné Collignon, Fleur de Ville (2014), que nous avons chroniqué ici.
- L’Ours Masqué, album illustré par Mélanie Desplanches, Les minots (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Mon alphabet zinzin des animaux du zoo, album illustré par Arianna Tamburini, De la Martinière Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Série Zaza, albums illustrés par Coralie Saudo, L’élan vert (2013), que nous avons chroniqué ici et là.
- Les monstres de la nuit, album illustré par Eve Chatelain, Editions Petit Roland (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Derrière chez moi, illustré par Hyuna Shin, éditions Lirabelle (2012)
- L’invité de Noël, illustré par Mélanie Allag, L’élan Vert (2011)
- Le géant de la grande forêt, illustré par Auriane Kida, Éditions d’Orbestier (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Le nez rouge, illustré par Fabienne Pierron, éditions Henry (2011)
- La poulette et le chat, illustré par Raphaëlle Albert, éditions Volpilière (2011)
- Le poussin gourmand et le chat, illustré par Raphaëlle Albert, éditions Volpilière (2010)
Retrouvez France Quatromme sur son site : http://www.francequatrommeconteuse.fr.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !