Après avoir découvert ces derniers jours Perdus dans la jungle (et l’avoir beaucoup aimé), j’ai eu envie d’en savoir plus sur son auteur : Romain Taszek. Il a accepté de me parler de son parcours, de ses influences et d’autre chose encore. Ensuite, pour la rubrique Parlez-moi de…, je vous propose de revenir sur le génial Les Filles et les Garçons peuvent le faire aussi avec son autrice (Sophie Gourion), son illustratrice (Isabelle Maroger) et son éditrice (Coralie Delécluse). Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Romain Taszek
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
D’aussi loin que je me souvienne j’ai toujours su que je voulais raconter des histoires, et je me suis très vite aperçu que le moyen qui me plaisait le plus pour raconter ces histoires était le dessin. Du coup dès le lycée je me suis orienté vers une section STI Arts Appliqués. Après le BAC j’ai été un an à Corvisart dans une section illustration, puis ensuite les Arts Décoratifs de Paris dont je suis diplômé depuis bientôt 2 ans.
Présentez-nous le très beau Perdus dans la jungle
Perdus dans la jungle a d’abord commencé comme un projet d’école que j’ai réalisé durant mon cursus aux Arts Décoratifs. À la recherche d’une narration un peu singulière j’ai imaginé ce système d’images et de textes en décalage. Pour ce qui est de l’univers visuel j’ai beaucoup été inspiré par un voyage au Guatemala que j’avais fait quelques années auparavant. Grâce aux outils que m’offrait l’école j’ai pu réaliser cette première version en sérigraphie, ce qui lui a donné cette identité graphique forte.
Plus tard, j’ai présenté ce projet (parmi plein d’autres) aux Éditions du Trésor à l’occasion du salon du livre jeunesse de Montreuil et ils m’ont proposé de travailler d’abord sur un premier livre, Le trésor du perroquet pirate. Un livre d’énigme, avec à la clé comme récompense une vraie pièce de trésor pirate. Après la sortie de ce premier livre, ils m’ont dit qu’ils souhaitaient éditer Perdus dans la jungle. On l’a donc retravaillé ensemble pour que le livre soit plus adapté à l’édition (on a ajouté des pages, retravaillé la narration, affiné les illustrations, etc.).
L’objectif était de conserver l’aspect « sérigraphie » du livre original, j’ai donc adapté ma technique de travail en ce sens.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
Je tiens beaucoup à continuer de dessiner à la main. Je reste encore un peu méfiant du tout numérique. Du coup tous mes dessins sont faits à la main, que j’encre ensuite. Puis la mise en couleurs est faite par ordinateur. Cela me permet de garder le côté « souple » du dessin au crayon. Toutes mes formes sont faites à main levée, et cela évite (j’espère tout du moins) un aspect vectoriel.
Où trouvez-vous l’inspiration ?
Je suis un grand curieux et notamment un très grand amateur d’Histoire (avec un grand « H »).
Je m’inspire énormément des récits d’aventuriers, des découvreurs, des voyageurs. Et ce que je recherche encore plus à travers ces récits, c’est la petite histoire dans la grande histoire. Les détails insolites, rocambolesques. Récemment ce sont les pionniers de l’aviation qui m’ont beaucoup occupé. Comme je suis quelqu’un de très passionné j’ai donc lu beaucoup de livres sur le sujet, regardé beaucoup de films, de documentaires, je me suis déplacé dans les musées. C’est à peu près ma démarche pour tout nouveau sujet qui me fascine.
Il y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Durant un stage aux Trois Ourses j’ai découvert le travail de Katsumi Komagata, de Bruno Munari. Ils m’ont beaucoup touché par leur modernité et leur simplicité. Et en creusant dans l’incroyable fonds d’archives de ces mêmes Trois Ourses j’ai fait la découverte d’illustrateurs russes des années 30 tels que Vladimir Lebedev, Vladimir Konashevich ou encore Mikhail Tsekhanovskij qui ont irrémédiablement marqué mon travail.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Enfant, en plus des grands classiques tels que ceux de Claude Ponti ou de Tomi Ungerer, je lisais tout ce qui me tombait sous la main en bande dessinée. La bibliothèque familiale étant plutôt fournie en classiques je lisais Astérix, Tintin, Lucky Lucke, Percevan, Titeuf…
Puis à l’adolescence j’ai lu beaucoup de manga (comme beaucoup d’ados de ma génération). Et c’est ma découverte du travail de Lewis Trondheim qui m’a réconcilié avec la bande dessinée dite « Franco-Belge ».
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je travaille notamment sur un album autour des Yokais (les fantômes japonais) et sur un livre/jeu dont vous êtes le héros dans une ambiance mésopotamienne !
Bibliographie :
- Perdus dans la jungle, texte et illustrations, Les éditions du trésor (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Le trésor du perroquet pirate, illustration d’un texte de Matélo, Les éditions du trésor (2018).
Retrouvez Romain Taszek sur son site : http://romain-taszek.ultra-book.com.
Parlez-moi de… Les Filles et les Garçons peuvent le faire aussi
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellé·e·s. Cette fois-ci, c’est sur Les Filles et les Garçons peuvent le faire aussi que nous revenons avec Sophie Gourion, son autrice, Isabelle Maroger, son illustratrice, et Coralie Delécluse, son éditrice..
Sophie Gourion, autrice :
Le premier jet de ce manuscrit a vu le jour il y a 6 ans. Cela faisait déjà 4 ans que je travaillais à l’époque sur les sujets d’égalité femmes/hommes et je m’étais rendue compte que les stéréotypes se construisaient dès le berceau puisque, selon des études, les larmes des nourrissons féminins sont associées à la peur, celles des bébés masculins à la colère. J’ai eu une fille et un garçon et j’ai pu constater à quel point les réflexions de l’entourage à leur égard étaient différentes : on complimentait beaucoup plus ma fille sur son physique et mon garçon sur ses aptitudes physiques par exemple. À un moment, ma fille en a eu tellement assez qu’elle répondait systématiquement à chaque compliment « Je ne suis pas belle, je suis intelligente ! ». Je lui ai appris qu’on pouvait être les 2 en même temps😊. Initialement, le livre était destiné aux 10-12, avec des références historiques et un texte bien plus détaillé. L’accueil des éditeurs avait été mitigé : on reprochait au manuscrit son côté militant, son manque d’histoire. Le seul éditeur qui m’avait apporté une réponse personnalisée était Gründ. À l’époque, ils m’avaient conseillé de retravailler le texte pour l’alléger et le rendre moins démonstratif. Le problème, c’est que je ne voulais pas rédiger de texte fictionnel pour servir le propos. Tout ce que j’avais en tête était trop caricatural. J’avais donc laissé ce texte dans mes tiroirs quand, l’année dernière, Gründ m’a recontactée à ma grande surprise ! Ils avaient ressorti mon manuscrit et me proposaient de le retravailler pour l’adapter aux 3-6 ans. L’idée du livre double-face a tout de suite jailli car elle permet de donner un côté ludique au livre et de montrer aux enfants que chacun peut véhiculer des stéréotypes et être victime de stéréotypes, fille comme garçon. J’ai travaillé sur des textes courts, qui riment, pour rendre la lecture chantante, comme une comptine. J’ai voulu à chaque fois une double-page qui ouvre le champ des possibles « tu peux aimer… » « ou préférer… ». L’idée n’est pas de diaboliser le rose, les poupées ou les paillettes pour les petites filles par exemple mais de proposer des alternatives en portant un message fort : tu peux être qui tu veux ! La double page permet également de ne pas créer d’injonction supplémentaire : il y a en ce moment beaucoup de livres qui encouragent les filles à être des super-héroïnes, à devenir présidente ou astronaute. C’est très bien mais ça peut parfois être pesant quand on a envie d’une vie moins « ambitieuse » ! La maman d’une de mes lectrices m’a d’ailleurs raconté que sa fille lui a dit après avoir lu le livre « Ah non mais moi je ne veux pas être présidente, c’est trop fatigant ! Je préfère m’occuper des animaux »😊. C’est tout le message du livre justement !
Isabelle Maroger, illustratrice :
J’ai été contactée une première fois par les éditions Gründ en fin d’année 2017 pour « Les filles/garçons peuvent le faire aussi ». J’ai été immédiatement séduite par le propos de Sophie.
Mais en même temps je me sentais sous l’eau à ce moment-là et j’avais peur de mal faire, de ne pas être à la hauteur… On a donc mis un petit moment à se caler avec l’éditrice et finalement, rassurée sur tous ces points, le projet a pu commencer en septembre 2018.
Au final c’était le timing parfait, je sortais de l’été, j’étais remise sur pieds et j’avais retrouvé l’envie d’avoir envie.
J’avais fait pas mal d’aquarelles pendant l’été et j’ai essayé de garder la spontanéité et les petits défauts de mes dessins premiers jets (C’est un vrai travail sur soi de comprendre et accepter que les défauts sont le sel de la vie).
Plus j’avançais dans le projet plus je réalisais l’importance du propos.
J’ai un petit garçon (4 ans à l’époque) et même si on l’éduque avec le plus d’ouverture d’esprit possible sur l’égalité des genres, je sens bien que certains petits copains de l’école lui mettaient de nouvelles idées en tête. Il refusait certains habits, avait arrêté de danser et commencé à sortir des « c’est pour les filles » à tout bout de champ et avec dénigrement.
J’ai offert le livre à la maîtresse pour le 8 mars, ils l’ont lu en classe et j’ai vraiment constaté des retours positifs des enfants sur la liberté que leur offraient ces mots. Les entendre de la bouche de leur maîtresse en classe avec leurs amis a eu un vrai impact et ils en ont beaucoup parlé entre eux.
Dire les choses simplement a débloqué plein de choses, et j’ai été surprise de revoir danser mon fils la semaine suivant la lecture simplement parce qu’il était rassuré sur le fait qu’il avait le droit de faire ce qu’il voulait. Que le c’est « pour les filles » « Pour les garçons » n’existait plus !
Coralie Delécluse, éditrice :
Nous avions reçu, il y a quelques années, un texte de Sophie Gourion intitulé « Interdit aux filles ? ». Le sujet du texte nous interpelait, mais il nous semblait trop documentaire et trop haut en âge (la cible était plutôt les enfants de 7-10 ans). De notre côté, nous avions remarqué que les stéréotypes de genre commençaient très tôt (dès la maternelle) et nous avions à cœur de faire un livre sur l’égalité filles-garçons destiné aux petits, dès 3 ans.
L’an dernier, j’ai contacté Sophie, pour lui demander si elle serait d’accord pour retravailler complètement son texte, pour les plus petits, filles et garçons. Il y a plusieurs albums jeunesse qui abordent l’égalité filles-garçons, mais ils s’adressent bien souvent aux filles, ou aux garçons, mais rarement aux deux. C’était vraiment important, pour Sophie et pour nous, de montrer aux filles comme aux garçons, qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient indépendamment de leur genre. Sophie, à ma grande joie, a accepté, et l’aventure a commencé !
J’ai tout de suite pensé à Isabelle pour les illustrations. Je la suivais depuis longtemps, et j’aimais beaucoup son style très moderne, très doux, mais en même temps très expressif. Je l’ai appelée l’an dernier pour lui parler du projet. J’étais convaincue qu’elle était la bonne personne pour illustrer cet album. J’ai tout de suite senti que le sujet l’intéressait et la motivait, mais elle avait besoin d’un peu de temps pour bien s’y pencher. J’ai attendu impatiemment les premiers crayonnés, qui m’ont tout de suite confortée dans mon idée : chaque planche venait relever avec poésie et humour le texte de Sophie.
Aujourd’hui, je suis très heureuse et fière du message que porte cet album. Il invite vraiment les enfants à être libres, sans jugement : jouer aux avions ou à la poupée, faire du judo ou de la danse, se déguiser en princesse ou en pirate. Fille ou garçon, tout est permis !
![]() Les Filles et les Garçons peuvent le faire aussi |

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !