Aujourd’hui, c’est tout d’abord avec l’autrice Sophie Adriansen que l’on a rendez-vous, pour parler de son très beau roman Lise et les hirondelles mais aussi de ses autres ouvrages et de son parcours. Ensuite, c’est Claire Fauvel qui nous ouvre les portes de son atelier. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Sophie Adriansen
Vous venez de sortir un très beau roman, Lise et les hirondelles, j’aimerais que vous nous disiez quelques mots sur Lise et ce qu’elle traverse dans cette histoire.
Lise est entrée simultanément dans l’adolescence et dans la guerre. Juive, elle porte une étoile sur ses vêtements et ses parents jugent plus prudent de la cacher chez des voisins… Et en ce mois de juillet 1942, c’est de leur fenêtre qu’elle assiste, impuissante, à l’arrestation de sa famille. Téméraire et déterminée, Lise prend son destin familial en main et décide de défier l’occupant…
Le roman la voit se cacher dans Paris puis quitter la capitale pour les plages du nord de la France, où la guerre prend un tout autre visage sans que la menace ne s’éloigne pour autant… On suit l’héroïne jusqu’au lendemain de la Libération.
Pouvez-vous nous raconter comment est née cette histoire ? Vous aviez déjà abordé la Seconde Guerre mondiale et la rafle du Vel d’Hiv dans le magnifique Max et les poissons, c’est un sujet que vous intéresse particulièrement ?
À l’adolescence, j’ai pendant une longue période lu uniquement des romans se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale. Ma fascination était liée, je crois, à mon incrédulité quant aux comportements dont les hommes se révèlent capables les uns vis-à-vis des autres…
Adulte, j’ai recueilli les confidences de la grand-mère d’un ami, qui a échappé à la rafle du Vel’ d’Hiv’. La force de ses souvenirs m’a fait imaginer le personnage de Max, le héros de Max et les poissons. À la parution du roman, en février 2015, j’ai réalisé que j’avais encore besoin d’écrire sur les événements de juillet 1942. Car si Max est forcé à quitter Paris, Hélène, elle, y est restée avec ses jeunes frères… C’est d’elle cette fois que je me suis plus directement inspirée pour camper le personnage de Lise, en mêlant à la trame, comme presque toujours dans mes livres, des souvenirs personnels. Ce choix m’a permis d’aborder également un sous-thème qui me tenait à cœur : la construction en tant qu’adolescente en l’absence des parents.
Après ces deux romans, je n’en ai pas pour autant terminé avec ce sujet. Parce qu’il continue, hélas, de résonner aujourd’hui, on le retrouvera sous d’autres formes dans d’autres de mes textes…
Vous citez de nombreux lieux qui n’existent plus, des marques de l’époque, des événements historiques peu connus… on imagine que tout ça vous demande énormément de recherche.
Pour Lise et les hirondelles comme pour Max et les poissons, je dois avouer qu’avoir passé des mois à discuter avec une dame née en 1926 m’a sacrément aidée. J’avais également en tête les souvenirs liés à mes lectures sur la période de la Seconde Guerre mondiale, et ceux liés à ma curiosité personnelle (visite de Drancy, des camps d’Auschwitz et Birkenau en Pologne, du Struthof en Alsace…). J’ai complété cela par des recherches, facilitées par les archives disponibles en ligne (j’aime utiliser les archives vidéo ou radio pour me replonger dans l’ambiance et la façon de s’exprimer d’une époque). Certains points du roman m’ont cependant donné du fil à retordre ; je pense par exemple aux stations de métro ouvertes en 1942 – la liste et les plans diffèrent selon les sources, pas simple de s’y retrouver même si l’on connaît bien le réseau RATP actuel. Ces difficultés font aussi partie du travail de romancière : je n’envisage pas, même dans une fiction, de ne pas coller au plus près à la réalité historique.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et nous raconter comment vous êtes venue à l’écriture ?
Je dis parfois que dans une précédente vie, je travaillais dans la finance d’entreprise… en réalité, c’était bien dans cette vie-là. Mais c’était il y a une éternité : je me consacre totalement à l’écriture depuis sept ans maintenant. L’écriture est ma passion de petite fille, à laquelle j’ai décidé de donner sa chance à la parution de mon deuxième livre, après quelques années à écrire en catimini, le soir tard ou le week-end…
En revanche, je ne me suis autorisée à écrire pour la jeunesse que plus récemment, lorsque j’ai pris conscience de la présence toujours forte en moi de celle que j’étais à huit ans, à treize ans… Il m’a suffi de tendre l’oreille pour retrouver ces voix antérieures, et avec elles les façons dont je voyais le monde à mes différents âges.
Qu’est-ce qui vous inspire ? Parlez-nous de votre processus d’écriture.
J’écris quand je suis touchée par quelque chose. C’est un événement, une rencontre, une colère qui initie le processus. Ce point de départ est comme un flocon auquel se collent d’autres flocons, souvenirs, projections, espoirs, sentiments, cela fait boule de neige et donne de la consistance à l’idée initiale, l’emmenant parfois dans une direction absolument imprévue.
Je ne me mets devant l’ordinateur que quand l’histoire est prête à l’intérieur. J’écris le premier jet poussée par une forme d’urgence, d’impérieuse nécessité. Ensuite, le retravail du texte est plus long, mais nécessaire. Après cela, je laisse généralement reposer le livre un moment (de durée variable), car seul le recul me permet alors de déceler les ultimes points d’amélioration. J’arrive enfin au stade où je ne suis plus capable de quoi que ce soit sur mon texte sans un regard extérieur. Cela correspond à l’envoi soit à quelques lecteurs-test soigneusement choisis, soit à un éditeur…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Je lisais tout le temps, et de tout. Des classiques (La Comtesse de Ségur, Alain-Fournier, Hugo…), des contemporains publiés notamment à l’école des loisirs (une passion pour les romans de Marie-Aude Murail, démarrée avec la série des Émilien, ou encore pour ceux de Susie Morgenstern), des bandes dessinées…
J’ai conservé tous mes livres de jeunesse, ils occupent désormais un pan de ma vaste bibliothèque. Et j’en relis certains de temps à autre, puisque l’enfance n’est jamais loin…
Que lisez-vous en ce moment ?
J’ai découvert (des années après tout le monde semble-t-il) De mal en pis d’Alex Robinson (Rackham), formidable roman graphique qui se lit comme on regarde une série et conte, sur 600 pages, les mésaventures d’un écrivain et libraire et de son entourage.
Côté roman, je viens d’achever Une ombre au tableau, une troublante histoire de voisinage signée Myriam Chirousse.
Deux lectures que je recommande chaudement. Ainsi que toute la collection des imagiers de Jane Foster (Kimane éditeur), dans lesquels je suis plongée quotidiennement pour des raisons personnelles 🙂
Sur quoi travaillez-vous actuellement, quelles seront vos prochaines histoires que l’on pourra découvrir bientôt ?
Mes prochains romans à paraître traitent de sujets contemporains. À la rentrée de septembre, trois livres paraîtront : chez Nathan, Papa est en bas, le récit d’une jeune fille qui apprend à vivre avec la maladie dégénérative dont son papa est atteint ; chez Gulf Stream éditeur, mon premier roman graphique, Rackette-moi si tu peux (illustré par Clerpée), autour du racket à l’école primaire ; enfin, chez Slalom, le quatrième tome de la série Quart de frère quart de sœur, qui emmènera les deux héros à Londres pour un séjour scolaire riche en imprévus et autres catastrophes !
En 2019 paraîtra chez Nathan un roman dont le narrateur est un adolescent qui quitte son pays d’Afrique pour venir chercher de l’instruction et de quoi vivre décemment en France.
J’ai aussi quelques projets en cours en « littérature vieillesse » 😉 Et j’écris actuellement un roman pour adolescents autour de l’influence des mouvements sectaires…
Bibliographie jeunesse :
- Lise et les hirondelles, roman, Nathan (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Hors piste, roman, Slalom (2017).
- Série Lucien et Hermine apprentis chevaliers, romans, Gulf Stream Éditeur (2017-2018).
- Où est le renne au nez rouge ?, album illustré par Marta Orzel, Gulf Stream Éditeur (2017), que nous avons chroniqué ici.
- série Quart de frère quart de sœur, romans, Slalom (2017).
- La vache de la brique de lait, album illustré par Mayana Itoïz, Frimousse (2017).
- Les grandes jambes, roman, Slalom (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Max et les poissons, roman, Nathan (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Musiques diaboliques, roman, Nathan (2015).
- La menace des fantômes, roman, Nathan (2015).
- L’attaque des monstres animaux, roman, Nathan (2015).
- Drôles d’époques !, roman, Nathan (2015).
- Drôles de familles !, roman, Nathan (2014).
- Le souffle de l’ange, roman, Nathan (2013).
- J’ai passé l’âge de la colo !, roman, Éditions Volpilière (2012), que nous avons chroniqué ici.
Quand je crée… Claire Fauvel
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Claire Fauvel qui nous parle de quand elle crée.
Je travaille dans un atelier (Marsopolis), avec 5 autres dessinateurs à Montreuil. Ce sont des amis, mais aussi des artistes que j’admire, et c’est un plaisir de bosser à leur côté.
Pour illustrer une BD, mon travail se fait en plusieurs étapes. D’abord ce qu’on appelle le « storyboard » qui consiste à dessiner de façon schématique la totalité de la BD afin de travailler la mise en scène et la mise en page. C’est un travail de concentration, j’aime le réaliser dans un endroit calme, le plus silencieux possible, seule chez moi si je peux. Ensuite vient le moment de dessiner et colorier les planches, ça demande moins de réflexion et je peux le faire à mon atelier. Cette fois-ci, c’est l’inverse, j’aime les ambiances animées, discuter avec les autres, ou écouter de la musique ou la radio, pour ne pas m’endormir et être efficace. J’aime par exemple écouter la « NovaBookBox » sur Radio Nova qui mêle musiques et extraits de romans insolites.
Comme pour beaucoup d’auteurs, la musique a une place importante dans mon processus de création. Pour chaque album, je réalise une playlist pour entrer dans l’ambiance/l’époque de la BD. En plus de cette playlist, j’écoute ponctuellement des musiques qui m’aident à m’immerger dans une scène en particulier, pour essayer d’en retranscrire au mieux les émotions. Cela crée une sorte de « B.O. » pour l’histoire, et ça va de pair avec ma façon de penser la mise en scène de chaque séquence, qui est assez cinématographique. Le risque, c’est que certaines scènes fonctionnent parfois moins bien sans la musique censée les accompagner !
C’est dur de dire quelles musiques j’écoute, car j’aime tous les genres et cela varie justement en fonction de chaque projet. On va dire que j’ai une préférence pour la pop et le rock, avec un faible pour les vieilleries pop, folk, et psyché des 60’s, la new wave et le post punk de la fin des années 70, début 80, et puis bien sûr un paquet de groupes plus récents, ce serait infini de tous les citer (Radiohead, Sufjan Stevens, the National, Chassol, King Krule, Django Django, Beach House, Frustration, Sleaford Mods, Parquet Courts…)
Enfin, c’est souvent un événement personnel, une rencontre, un livre lu, et/ou un sujet qui me touche qui sont à l’origine de projets personnels. Une fois l’histoire générale définie, je m’accorde du temps pour en imaginer les détails, ce qui implique avoir en permanence son histoire dans un coin de la tête, de jour comme de nuit. C’est sans doute un des privilèges du métier d’auteur de pouvoir être affalé dans un canapé à rêvasser et déclarer qu’on est en plein boulot !
Claire Fauvel est autrice et illustratrice.
Bibliographie :
- Phoolan Devi, reine des bandits, scénario et dessins, Casterman (à paraître 30 mai 2018).
- La guerre de Catherine, dessins d’après un scénario de Julia Billet, Rue de Sèvres (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Une Saison en Égypte, scénario et dessins, Casterman (2015).
- Sur les pas de Teresa la religieuse de Calcutta, illustration d’un roman de Marie-Noëlle Pichard, Bayard Jeunesse (2016).

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !