Avant l’été, j’ai découvert Storyplay’r, une sorte de bibliothèque numérique, et j’ai adoré le concept. J’avais envie d’en savoir plus sur son créateur, Thomas Salomon. Ensuite, je vous propose de vous glisser dans l’atelier de la talentueuse Geneviève Godbout. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Thomas Salomon
Quel est votre parcours ?
Je suis le petit dernier d’une fratrie de 4 garçons, j’ai grandi à Paris et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 20 ans après quoi j’ai un peu vadrouillé pendant quelques années : d’abord à Grenoble pour mes études, puis Bruxelles, retour à Paris puis nouveau départ pour San Francisco pour quelques années. À mon retour à Paris dans le début des années 2000, je suis devenu papa de 1, et 2, et 3 garçons qui ont aujourd’hui 16, 14 et 10 ans.
Ma formation d’ingénieur en nouvelles technologies m’a amené à travailler dans des secteurs très variés : les musées, les jeux vidéo, la musique, la recherche scientifique et maintenant l’édition.
En 2013, vous créez Storyplay’r, parlez-nous de ce projet et racontez-nous comment il est né ?
Quand Apple a sorti l’iPad, il y a eu assez vite des applications qui étaient des adaptations de livres pour enfant racontés par des conteurs, un peu dans le même esprit que les disques qu’on écoutait quand on était enfant (pour les plus âgés d’entre nous 🙂 ) quand il fallait tourner la page au bruit de la petite clochette.
Moi, j’adorais écouter ces disques et j’ai tout de suite eu envie de lancer un service autour du livre numérique audio pour les enfants.
J’ai alors imaginé une application proposant une vaste bibliothèque d’albums jeunesse qui permettrait également aux utilisateurs (parents, grands-parents et même les enfants) d’enregistrer leur voix, créant ainsi leur propre narration. Ajoutez-y la possibilité de partager à distance et la grand-mère qui habite à Marseille peut raconter des histoires à son petit-fils Martin qui habite à Paris.
J’en ai parlé autour de moi et les gens ont trouvé l’idée très bonne, y compris quelques éditeurs. Je me suis donc lancé !
Six ans plus tard, où en est ce projet ? L’équipe a évolué ? Le projet lui-même ?
Le projet s’est bien développé puisque nous travaillons maintenant avec près de 50 éditeurs et l’application a beaucoup évolué aussi bien en termes de fonctionnalités proposées que d’usages – famille, mais aussi bibliothèques et enfin écoles, en France et à l’étranger.
Storyplay’r, c’est, en plus de moi, un développeur, trois lectrices parmi lesquelles une responsable des ateliers et animations, une responsable marketing et une responsable éditoriale et réseaux sociaux.
Nous sommes aujourd’hui la plus grande bibliothèque francophone d’albums jeunesse proposant à la fois les livres en version homothétique, des versions audio pour la quasi-totalité du catalogue et des outils d’aide à la lecture pour tous les enfants quelles que soient leurs facilités ou difficultés de lecture.
Nous avons gardé la fonctionnalité initiale d’enregistrement de la voix mais elle est maintenant surtout utilisée par les enfants à l’occasion d’ateliers de lectures à voix haute dans les écoles et les médiathèques.
Toujours dans l’esprit d’encourager la lecture et d’aider à son apprentissage, on propose maintenant des outils pour aider les enfants qui apprennent à lire : options d’affichage du texte en plus gros, dans différentes couleurs et différentes polices y compris des polices adaptées aux enfants dyslexiques, un curseur permettant de mieux suivre sa lecture en ligne et une aide à la prononciation par synthèse vocale.
On propose aussi des activités autour de l’album jeunesse un peu comme le font les professeurs des écoles en maternelle ou en primaire : des rallyes-lectures, des quizz, des définitions pour les mots compliqués…
Nous sommes aujourd’hui surtout utilisés dans les médiathèques et dans les écoles et l’usage dans les familles, s’il était un peu timide au début, commence à bien se développer. Les parents ont muri par rapport aux écrans et commencent à réaliser que la lecture à l’écran a plein de vertus et n’est pas antinomique avec le livre papier, bien au contraire, elle la complète parfaitement.
Aujourd’hui, je suis persuadé que Storyplay’r contribue à donner le goût de lire aux enfants, peu importe le support. En fait, on détourne le pouvoir de fascination des écrans pour la bonne cause !
Comment sont choisis les ouvrages, les éditeurs ?
Nous travaillons exclusivement avec des éditeurs et quasiment exclusivement sur des livres qui existent aussi au format papier. Aujourd’hui nos éditeurs partenaires sont en général des éditeurs indépendants pour qui Storyplay’r est une chance de tester le numérique très facilement, sans risque et à coût zéro. Et puis Storyplay’r leur permet d’être pour certains découverts par les écoles et les médiathèques et vendre plus de livres papier. C’est toujours appréciable en complément de ce que nous leur reversons de nos abonnements.
Notre grande chance c’est qu’on a, en France, énormément d’éditeurs indépendants qui ont des catalogues d’excellente qualité.
Le choix des livres, c’est bien sûr la qualité éditoriale mais il faut aussi que les albums répondent à un minimum de caractéristiques leur permettant de bien être adaptés pour une bonne lecture à l’écran.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Avant que je sache lire, mes parents me lisaient assez peu d’histoires : mon père n’aimait pas et ma mère avait autre chose à faire avec son boulot et 4 garçons ! C’est pour ça que, n’ayant pas la télé, j’ai passé des heures à écouter et ré-écouter mes disques : la belle au bois dormant, Pierre et le loup, l’apprenti sorcier, Piccolo et Saxo…
Plus tard j’ai lu beaucoup de BDs : Astérix, Lucky Luke, Gaston Lagaffe, Boule et Bill, Alix, Blake et Mortimer et les Marvel (Strange et Special Strange). Si les Manga avaient existé à l’époque en France, j’en aurais été un gros lecteur, c’est sûr !
Je me suis mis à la lecture disons traditionnelle vers 12-13 ans en lisant beaucoup de romans d’aventure (Conan Doyle, Jack London, Alexandre Dumas) et beaucoup aussi de science-fiction (Azimov, Philippe K. Dick, Arthur C. Clarke).
Des projets ?
Nous sortons une nouvelle version de notre site et de nos applications tablette et mobile d’ici la fin de l’année. Cette version sera mieux adaptée en termes de navigation et de recherche à la taille de notre catalogue et nous permettra d’être plus visibles sur les moteurs de recherche. Sinon, élargir le catalogue y compris dans d’autres langues : nous avons l’anglais mais j’aimerais développer le catalogue en allemand, espagnol, italien et arabe. Faire exploser le nombre de familles abonnées à Storyplay’r. Proposer plus de fonctionnalités en travaillant avec des professeurs d’école : nous menons dans ce sens une expérimentation avec l’éducation nationale dans le centre de la France.
Bref, contribuer encore plus à donner le goût de lire à tous les enfants, quels que soient leur niveau et leur capacité de lecture.
Le site de Storyplay’r : https://www.storyplayr.com.
Abonnement à 4,99 € par mois ou 49,99 € par an (essai gratuit).
Quand je crée… Geneviève Godbout
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Geneviève Godbout qui nous parle de quand elle crée.
Je pense que la création se décline sous plusieurs aspects. Je peux me discipliner à travailler, mais je ne peux pas forcer les idées. C’est pourquoi je n’accepte plus les projets qui ne m’inspirent pas.
J’ai beaucoup de mal à travailler à la maison. J’ai besoin de sortir, croiser des gens, parler. Sinon je déprime à petit feu ! Depuis mon retour à Montréal il y a plus ou moins 6 ans, je loue un espace de travail dans les bureaux des éditions La Pastèque. Même si je publie dans leur maison, cela ne brime en aucun cas mes autres projets. Au fil des ans, j’ai partagé mon atelier avec des artistes très inspirants, que ce soit Isabelle Arsenault, Matt Forsythe, Marguerite Sauvage ou Michel Rabagliati. On a pu échanger des idées, des conseils. Ils sont devenus des amis. J’aime imaginer mon atelier comme l’espace où je produis. C’est là où je fais mes crayonnés et mes illustrations finales. Tout mon matériel s’y trouve. Si c’est assez tranquille, je peux y développer quelques idées aussi. Sinon je m’évade ailleurs ! Surtout lorsque je dois écrire ou faire le découpage d’un livre. J’ai besoin de me retrouver dans un endroit neutre et inhabituel.
J’aime la musique ou les bruits d’un café bien bondé lorsque je suis création et j’aime la radio, les podcasts et les livres audio lorsque je suis production. Le parfait silence a plutôt tendance à m’angoisser. J’écoute beaucoup Radio-Canada et son émission littéraire. Et mon chéri qui est passionné de musique fait des playlists géniales et hyper variées. Ce que j’écoute dépend surtout de mon humeur. J’aime Sufjan Stevens pour rêvasser en douceur et KAYTRANADA ou Anderson. Paak pour me donner un petit coup fouet lorsque j’ai le coup de barre de fin de journée.
Je n’ai jamais été matinale. Je mets une heure à me réveiller avec un café, je m’entraîne et j’arrive à mon bureau vers midi. C’est aussi pourquoi j’ai besoin de quitter la maison. C’est mon genre de rester en pyjama toute la journée ! J’y reste en moyenne 7 ou 8 heures. Et lorsque je suis en fin de projet et que j’ai besoin de ne pas être dérangée, je m’enferme chez moi et je travaille de nuit avec de la musique ou des podcasts. Et parfois un verre de vin.
Je peux travailler sur mes illustrations à peu près n’importe où, mais sans la même productivité qu’à mon atelier ou chez-moi. Et puis j’essaie de le faire de moins en moins. Sinon mon travail me suit partout, même en vacances, et c’est pesant. Sauf les carnets pour les idées bien entendu. On ne sait jamais lorsque la bonne idée viendra, il faut rester prêt !
Geneviève Godbout est autrice et illustratrice.
Bibliographie :
- Gâteau aux Pommes, illustration d’un texte de Dawn Casey, La Pastèque (2019).
- Malou, texte et illustration, La Pastèque (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Bonne Nuit, Anne, illustration d’un texte de Kallie George, Scholastic (2018).
- (Tout petit) toi : Le livre de ton enfance, illustration d’un texte d’Odile Archambault, Parfum d’encre (2017).
- Rose à petit pois, illustration d’un texte d’Amélie Callot, La Pastèque (2016).
- L’épuisette de Cendrillon, illustration d’un texte de Ghislaine Biondi, Milan (2016).
- La petite souris va passer — 5 histoires de dents de lait, illustration de textes de Céline Person, Emmanuelle Polimeni et Fabienne Pierron, Milan (2015).
- Les plus beaux contes de Mère-grand, texte et illustrations, Milan (2013).
- Une petite fille… à croquer !, illustration d’un texte de Christine Frasseto, Père Castor (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Joseph Fipps, illustration d’un texte de Nadine Robert, La Pastèque (2013), que nous avons chroniqué ici.
- La longue marche des doudous, illustration d’un texte de Claire Clément, Milan (2012).
- Où s’est caché le sommeil ?, illustration d’un texte de Pierrette Dubé, 400 coups (2012).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !