Aujourd’hui, je reçois Ina Siel, autrice de la duologie Emblèmes dont j’ai adoré le premier tome. Ensuite, pour la rubrique Parlez-moi de…, j’ai invité Claire Garralon et son éditrice Laurence Faron à me parler de l’album pour tout·es petit·es Poussine, paru chez Talents Hauts le 31 mai dernier.
L’interview du mercredi : Ina Siel
Pouvez-vous nous pitcher le tome 1 d’Emblèmes ?
Bien sûr !
Le maître d’Aigremort ne quitte jamais son manoir. On raconte que sa famille entière s’est retirée de la bonne société pour le garder à l’écart, car il entretiendrait une drôle d’affinité avec la mort. C’est pourtant son nom qu’une négociante nuptiale va proposer à Cécilie quand elle la contacte en recherche d’un mari. C’est la seule personne qui répond à ses critères plus qu’étranges… car Cécilie cache elle aussi un secret.
Comment ce projet est-il né ?
À l’époque, j’étais étudiante en biologie et j’avais décroché un job d’été dans le musée de mon université, qui était sur le point d’ouvrir. Je m’occupais de sélectionner les pièces et de rédiger des guides pour une partie du musée qui s’appelait Le Petit cabinet d’histoires naturelles. J’ai passé l’été à errer seule entre les squelettes et les animaux empaillés entreposés dans les sous-sols, consciente que des merveilles oubliées se cachaient dans chaque recoin.
J’ai, plus tard, imaginé un univers basé sur les différentes catégories de pièces que l’on pouvait retrouver dans les cabinets de curiosités d’autrefois. C’est comme ça que les contrées d’Emblèmes (Naturalia, La Scientifica et Exotica) sont nées. Le reste a maturé pendant deux années avant que je ne m’attaque à l’écriture. Il fallait que mes personnages me trouvent car ce sont eux qui guident mes histoires.
Vous étiez biologiste avant de vous consacrer à l’écriture. Comment s’est passée la transition entre les deux domaines ?
Plutôt bien. J’adore les sciences, mais c’est l’art qui me fait vivre. L’écriture, l’illustration, la création au sens large m’épanouit bien plus que n’importe quel laboratoire. Pour autant, mes années d’études ne sont pas perdues et restent une source d’inspiration intarissable pour moi. Avoir un bagage scientifique est aussi une grande facilité quand on aime la science-fiction, et qu’on désire en écrire un jour.
Est-ce que vous lisez de la littérature ado / Young Adult et auriez-vous quelques coups de cœur à nous faire partager ?
J’en lis énormément ! Bien sûr, il y a les classiques de Pierre Bottero, ou encore La Passe-miroir, de Christelle Dabos qui sont à mes yeux des incontournables. Mais plus récemment, j’ai eu un immense coup de cœur pour Le château solitaire dans le miroir de Tsujimura Mizuki, un roman fantastique qui parle de phobie scolaire tout en s’inspirant d’un univers de conte.
Si vous lisiez, quelles étaient vos lectures d’enfant ou d’adolescente ?
Je lisais énormément ! Enfant, j’ai dévoré Le club du grand galop, la saga Witch. Un peu plus tard, j’ai plongé dans l’imaginaire pour de bon avec Eragon, Le livre des étoiles, Ewilan, Ellana, l’Autre, Percy Jackson. Puis j’ai découvert la dystopie avec Uglies et Hunger Games. J’ai aussi eu ma petite période romances paranormales avec les livres de la collection Black Moon.
L’un des deux personnages principaux d’Emblèmes, Érèbe, vit avec une anxiété handicapante au quotidien. Aviez-vous une intention particulière en parlant de ce sujet ?
Je pense qu’Érèbe était ma manière d’arrêter de faire semblant, même en écrivant. Lorsqu’on souffre d’un trouble anxieux, on met constamment un masque pour cacher les comportements étranges, la nervosité qui n’a pas sa place dans les situations du quotidien. Un masque de normalité, qui se retrouvait même dans mes histoires, puisque aucun de mes personnages jusque-là n’avait de trouble anxieux. Érèbe m’a d’abord fait du bien à moi, avant tout. Ce personnage, c’était un lâcher prise. Au début, je ne pensais pas être capable de faire lire Emblèmes. Aujourd’hui, je vois quel point ce personnage fait du bien à d’autres personnes que moi.
Après la sortie du second et ultime tome d’Emblèmes, prévoyez-vous de vous consacrer à de nouveaux projets d’écriture ? Si oui, pouvez-vous nous en parler un petit peu ?
J’ai des histoires plein la tête qui ne demandent qu’à être écrites. J’ai besoin de me retrouver un peu en tête-à-tête avec elles, donc tout ce que je vais en dire pour le moment, c’est que je vais rester dans les genres de l’imaginaire !
Bibliographie :
- Emblèmes – T1 – Le cercle des géographes, roman, Naos (2023) que nous avons chroniqué ici.
Parlez-moi de… Poussine
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·rice, son illustrateur·rice et son éditeur·rice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellé·es. Cette fois-ci, c’est sur Poussine que nous revenons avec son autrice et illustratrice Claire Garralon et son éditrice Laurence Faron.
Claire Garralon (autrice-illustratrice) :
Une fille dans un corps de garçon, un garçon dans un corps de fille…
Que fait-on lorsqu’on est un enfant avec un tel ressenti ? Que fait-on lorsque tout, dans son corps, sa sensibilité, sa pensée, dit qu’on n’est pas à sa place, pas comme les autres, pas dans le bon corps ?
Il est si difficile d’éprouver cela et je sais que ça peut commencer petit, vraiment tout petit. Mais il est toujours plus facile de le vivre quand on est soutenu, compris et accepté surtout dans sa famille, le premier cercle de l’intime.
Je voulais aborder ce sujet, la transidentité, auprès des tout·es-petit·es, à un âge où l’on se construit et où il est compliqué de dire et de nommer.
Dans cette histoire, Poussine s’adresse à sa maman poule pour lui dire ses questionnements, sa tristesse et sa peur et sa maman l’écoute pour l’aider à grandir. Je voulais une histoire qui finit bien parce qu’il est possible de s’interroger et de comprendre, ensemble.
Je voulais le sourire de cette poussine et de sa maman, unies.
En lisant cet album, j’espère que les enfants et leurs parents pourront mettre des mots sur cette question intime de l’identité, de qui je suis et de comment je me sens, qu’ils et elles sauront que l’histoire de Poussine existe, parce qu’il n’est rien de pire que de ne pas pouvoir exister.
J’aime cette poussine et j’espère que beaucoup l’aimeront.
Laurence Faron (éditrice) :
Claire Garralon n’en est pas à son coup d’essai dans la collection Badaboum !, collection d’albums tout carton pour les moins de 4 ans à l’ambition affichée : « Par terre les clichés ! »
Avec Papa t’es où ? elle parlait, à hauteur de tout·es petit·es, de la charge mentale qui pèse sur les mères, tout en dézinguant quelques stéréotypes au passage. Dans Chat ! elle abordait la question du consentement et du respect du corps de l’autre avec un sens de la formule qui n’a d’égal que son talent graphique. Dans Poussine elle évoque tout en finesse mais sans ambiguïté la question de l’identité de genre.
Le genre ! un mot qui, parce qu’il est instrumentalisé, pourrait faire peur mais est pourtant au cœur de la ligne éditoriale de Talents Hauts depuis la création de la maison en 2005. Dans les romans pour ados, où il est souvent question d’expression, de fluidité, d’identité (par exemple dans les romans de Cathy Ytak, ou les nouvelles de Unt’ Margaria, Amour Amour Amour), mais c’est aussi un sujet d’albums et romans juniors : rôles genrés dans Contes d’un autre genre de Gaël Aymon (2011), orientation sexuelle dans Un jour mon prince viendra (2020) d’Agnès Laroche, expression de genre dans L’anniversaire de Frankie (2021)…
Pourtant, dans la collection Badaboum !, en dehors des Animales de Fred L, il était surtout question de stéréotypes et de représentations. Lorsque Claire nous a proposé le projet de Poussine, il nous a semblé nécessaire. De quoi s’agit-il ?
À peine sorti de l’œuf, Poussin interroge sa maman : « Quand je serai grand, je serai poule ? » Maman poule ne comprend pas : « Non tu seras coq, mon poussin. » Progressivement la mère va prendre conscience que son enfant ne se reconnaît pas dans son assignation de genre et, né mâle, se sent femelle. Empathique, à son écoute, elle va l’accepter tel·le qu’iel se sent jusqu’à abandonner son désormais dead name de « Poussin ».
Anticipant les questions de certains adultes, nous nous sommes interrogées sur l’opportunité de traiter la question de la transidentité pour les moins de 4 ans : plus que jamais, nous avons réfléchi, débattu, revu le film de Sébastien Lifshitz, Petite fille. Nous avons fait lire l’album par des lecteurices de sensibilités diverses, ainsi que par des professionnelles de la petite enfance qui l’ont lu à de jeunes enfants. Surtout, nous pouvions compter sur le talent et la sincérité d’une autrice-illustratrice chevronnée, prête à peser chaque mot et chaque trait de son dessin.
Poussine est certainement le premier album à destination des tout·es petit·es sur la question de l’identité de genre. Il y en aura d’autres, il en faut d’autres pour que chaque enfant, chaque parent, chaque grand frère ou sœur se sente représenté·e et accepté·e.
Poussine, texte et illustrations de Claire Garralon. L’album est sorti en mai 2024 aux éditions Talents Hauts. Nous l’avons chroniqué ici. |
Jeune homme aimant la littérature jeunesse, les cartes Pokémon et les animés. Pour résumer son attachement à la lecture, il aime citer Stéphane Servant : « Les livres sont des terriers / Les livres sont des phares. Il y brûle de petits feux / Qui me tiennent le cœur au chaud / Quand il pleut sous mon toit. »