Aujourd’hui, on reçoit Agnès Maupré, dont la bande dessinée Bâtardes de Zeus, sortie en début d’année chez Dupuis, m’a vraiment enthousiasmé. Elle est l’invitée de l’interview. Ensuite, c’est l’auteur et illustrateur Rémi Courgeon, qu’on aime beaucoup à La mare aux mots, qui est l’invité de Véronique Soulé pour sa rubrique (sonore !) Du tac au tac qu’elle réalise pour nous une fois par mois.
L’interview du mercredi : Agnès Maupré
Pouvez-vous nous parler de Bâtardes de Zeus ?
Bâtardes est le voyage initiatique de deux filles de Zeus dont l’une, Physalis, ressent le besoin de rencontrer son père pour apprendre qui elle est. Sa sœur et amie, Brito, ne voit pas ce qu’un père absent et monstrueux pourrait apporter à son équation personnelle. Les deux se demanderont ce qui fait qu’on est soi, quand, comment, pourquoi, dans un monde tordu par la brutalité et les rapports de force, mais où, si on cherche bien, il reste toujours une place pour la douceur.
Comment est né cet album ?
La mythologie m’a toujours accompagnée comme un réservoir inépuisable d’histoires. Et j’ai un faible pour les seconds couteaux, les Crotos, Erigoné, les mini-déités, avec leurs histoires bancales en marge de celles de héros et des dieux tout puissants. J’ai eu la chance d’aller écrire cette histoire en Grèce où la ville du Havre m’a envoyée en résidence et d’où j’ai rapporté le scénario et les paroles des chansons qui accompagnent l’album. C’était une belle expérience d’immersion. Je marchais sur les chemins poussiéreux des Cyclades en essayant d’imaginer ce qui attendait mes héroïnes sur les chemins poussiéreux des Cyclades.
À travers ces histoires issues de la mythologie, vous parlez aussi de viol, de non-consentement, de masculinité toxique… C’était important pour vous de montrer que même dans les histoires « classiques » ces comportements ne sont pas acceptables ?
Oui, maltraiter et humilier, ce n’est jamais acceptable. Mais au-delà de la masculinité oppressive, toute forme de domination est malsaine, que ce soit par le genre, les origines, la couleur, le statut social… ou la divinité. Pour moi, la mythologie grecque n’est pas particulièrement sexiste (ou pas seulement), parce que les personnages féminins, même s’ils se font violer et engrosser, bataillent, ripostent, se vengent. Mais de ce fait, ils adoptent les mêmes comportements violents que le versant mâle.
Comment ne pas être broyé et ne broyer personne, cultiver l’amour et l’entraide dans un monde qui n’y encourage pas, c’est aussi ça que j’ai voulu raconter. Un enfant m’a demandé récemment quel était mon dieu préféré, mais je n’en ai trouvé aucun. Même Artémis qui vit dans les bois avec ses compagnes est impitoyable et intransigeante. Si je devais aimer un dieu, ce serait celui des petits cailloux ou des ongles incarnés.
J’aimerais que vous nous parliez des recherches que vous avez faites pour ce livre.
J’ai un peu relu les Métamorphoses d’Ovide, l’Odyssée. Mais surtout des livres sur les enfants de parents absents ou monstrueux : fils et filles de dignitaires nazis, enfants volés de la dictature argentine, nés sous X, Réunionnais de la Creuse… Je me suis demandé pourquoi pour savoir qui on est, on éprouve le besoin de savoir d’où on vient.
Et il y a aussi la musique ! On peut écouter des chansons en lien avec les chapitres.
Oui ! J’ai commencé à écrire des chansons il y a une dizaine d’années et je les vois comme des petites bulles qui racontent les histoires autrement, brièvement, mais profondément. Sur ce livre, j’avais envie que bd et chanson communiquent et s’enrichissent mutuellement. Au départ, il y avait une chanson par chapitre et puis ça a pris de l’ampleur et avec Esprit Chien, on a monté un concert dessiné avec plus de chansons, Singeon aux pinceaux
et Lucie Killoffer à la mise en scène. Le livre a nourri la musique, la musique a nourri le livre et c’était une grosse et belle aventure.
Vous avez mis en images des classiques ou même des romans contemporains. Comment naît votre envie de raconter telle ou telle histoire ?
Ça fonctionne à l’amour. Parfois un livre ou un personnage vous colle à la peau. Tristan et Yseult me hantaient depuis la sixième. Denise Baudu depuis le lycée. Milady m’a sauté dessus. Aurore m’a fait rire dans le TER. En ce moment, ce qui hante mon système, c’est plutôt de la Fantasy.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Plume et encre toujours. Pour les couleurs, ça dépend. Les Bâtardes sont un mélange (forcément) d’encres acryliques et d’aquarelles. Mais parfois la couleur ordi, c’est drôle aussi, même si c’est laborieux pour quelqu’un comme moi qui ne ferme pas ses traits.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Anaïs Vaugelade est une de mes héroïnes. Elle est intelligente, drôle, touchante. Et en plus, c’est une éditrice épatante.
J’adore Florence Dupré Latour, et surtout son Capucin.
Reiser, Clowes, Neel, Pichard…
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai eu envie de faire de la BD à 16 ans en lisant le Petit monde du golem de Sfar. J’ai un peu ramé pour trouver un enseignement joyeux du dessin, mais je l’ai trouvé aux Beaux-Arts de Paris.
Après, j’ai fait un master de création littéraire au Havre pour détendre un peu mon écriture. C’est là que j’ai commencé à écrire des chansons. J’aimerais mélanger encore plus les terrains de jeu à l’avenir et continuer à collaborer avec des gens chouettes. Ça fait du bien !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Gamine, mon chouchou était le Fantôme de Canterville d’Oscar Wilde. Ado, j’ai aimé fort Villiers de l’Isle Adam, Garcià Marquez, Poe, Lovecraft, Dostoïevski. Et puis pour moi, les histoires passaient beaucoup par les chansons. J’ai toujours eu des chansons dans la tête. Pas toujours les meilleures.
Des ouvrages à sortir prochainement ou un album en cours de réalisation ?
J’ai illustré une compilation de dieux et déesses grecs, égyptiens et nordique qui est sortie à la Martinière le 27 septembre. C’était un livre de pur plaisir plein de monstres, de plantes et de bestioles. Après ça, c’est plus flou.
Bibliographie sélective :
- Dieux et déesses de la mythologie, album documentaire, illustration de textes de Sabine Boccador, La Martinière Jeunesse (2024).
- Le courageux combat d’Olympe de Gouges, pionnière du féminisme, roman, illustration d’un texte de Pascale Bouchié, Bayard Jeunesse (2024).
- Bâtardes de Zeus, BD, scénario et dessins, Dupuis (2024).
- Délices d’Afrique, livre de cuisine, illustration de textes de Marguerite Abouet, Alternatives (2023).
- Prince Edmond, album, texte et illustrations, L’école des loisirs (2023).
- Au bonheur des dames, BD, scénario et dessins, Casterman (2020).
- Série Le journal d’Aurore, BD, dessins sur un scénario de Marie Desplechin, Ankama (deux tomes, 2016-2017).
- Série Le chevalier d’Eon, BD, scénario et dessins, Ankama (deux tomes, 2014-2015).
Retrouvez Agnès Maupré sur Instagram.
Du tac au tac… Rémi Courgeon
Une fois par mois, Véronique Soulé (de l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin) nous propose la capsule sonore Du tac au tac. Avec la complicité du comédien Lionel Chenail, elle pose des questions (im)pertinentes à un·e invité·e que nous avons déjà reçu·e sur La mare aux mots. Aujourd’hui, c’est Rémi Courgeon qui répond à ses questions.
Rémi Courgeon
est auteur et illustrateur. Trop de bananes est son dernier titre en date, il vient de sortir aux éditions Milan.
Bibliographie sélective :
- Trop de bananes, album, texte et illustrations, Milan (2024).
- Comme un arbre, album, texte et illustrations, Milan (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Les cheveux de Léontine, album, texte et illustrations, Nathan (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Série Timoto, albums, texte et illustrations, Nathan (sept tomes, 2017-2019), que nous avons chroniquée ici, là, ici et là.
- Tiens-toi droite, album, texte et illustrations, Milan (2018), que nous avons chroniqué ici.
- L’oizochat – Le fils caché, album, texte et illustrations, Mango Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Tohu Bohu, album, texte et illustrations, Nathan (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Passion et Patience, album, texte et illustrations, Mango (2016), que nous avons chroniqué ici.
- C’est l’histoire d’un poisson bavard, album, texte et illustrations, Seuil Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- J’aime pas les clowns, album, illustration d’un texte de Vincent Cuvellier, Gallimard Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- L’oizochat, album, texte et illustrations, Mango (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Gros chagrin, album, texte et illustrations, Talents Hauts (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le grand arbre et autres histoires, compilation, textes et illustrations, Mango (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Contes d’Afrique, album, illustration de textes de Jean-Jacques Fdida, Didier Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Pieds nus, album, texte et illustrations, Seuil Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Toujours debout, album, texte illustré par Isabelle Simon, L’initiale (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Elvis Presley, album, illustration d’un texte de Stéphane Ollivier, Gallimard Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Brindille, album, texte et illustrations, Mango jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Pas de ciel sans oiseaux, album, texte et illustrations, Mango Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Rémi Courgeon sur Instagram.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !

