Un troisième tome de la série Histoires du soir pour filles rebelles est sorti il y a peu et cette fois-ci ce sont des Françaises qui sont mises en lumière. Derrière ces portraits, la journaliste Alice Babin. J’ai eu envie de lui poser quelques questions sur son parcours et sur la façon dont elle a travaillé sur cet ouvrage qui compte cent portraits ! À la suite de cette interview, c’est Ludovic Flamant, qui vient de sortir le très beau Bastien, ours de la nuit aux éditions Versant Sud, qui est l’invité du coup de cœur et du coup de gueule.
L’interview du mercredi : Alice Babin
Vous venez de sortir Histoires du soir pour filles rebelles, 100 femmes françaises extraordinaires aux éditions les Arènes, pouvez-vous nous raconter ce projet et comment vous avez travaillé dessus ?
Ce sont les éditrices des Arènes Jeunesse qui m’ont proposé ce projet. Comme je suis journaliste, que je travaille beaucoup sur le portrait, les témoignages, qu’elles connaissaient mon travail, elles m’ont un jour demandé si un tel travail pourrait me plaire. J’avais 1 an pile pour écrire 100 portraits de femmes géniales, c’est-à-dire d’abord… les trouver ces cent femmes (ce qui n’est pas très difficile en soi, car il y en a beaucoup des femmes extraordinaires, ce qui était dur, c’était de faire des choix), ensuite, les rencontrer pour celles qui sont contemporaines, et pour les autres, me renseigner, lire, rencontrer des historiens qui pouvaient m’éclairer. Un travail énorme ! Mais passionnant.
Comment avez-vous fait le choix des femmes que l’on retrouve dans le livre ?
C’est un travail d’équipe, avec mes éditrices. D’abord, nous tenions à ce qu’une grande diversité de métiers soit représentée. Ensuite, il me tenait à cœur que toutes ces femmes ne viennent pas forcément des grandes villes, de Paris, et enfin, comme je viens du journalisme, que ma vie est de raconter la vie des gens, je veux dire celle des gens normaux, la vie, pas Closer, je voulais absolument mélanger à la fois les femmes dites « connues », les célébrités, Christiane Taubira, Adèle Haenel, Jeanne d’Arc, avec des femmes qui agissent dans l’ombre, que personne ne connaît, mais qui font ou ont fait de grandes choses.
Je suppose qu’il y a un choix « idéologique » aussi, on ne retrouve pas par exemple de portrait de Ludovine de la Rochère ou de Marine Le Pen
En effet. À travers leur parcours, en creux, les femmes que nous avons choisies diffusent un message. Ou du moins, elles incarnent certaines valeurs qui me sont chères ; l’ouverture, l’humanisme… ce genre de choses qu’il serait difficile d’attribuer aux noms que vous me citez. Ce livre n’est vraiment pas un simple catalogue de « femmes connues », ou de « femmes qui ont réussi ». C’est un condensé de courage, d’espoir, de force, pour donner envie aux jeunes lecteurs et lectrices de construire un monde beau, solidaire, plus juste. Ça fait bête dit comme ça, mais c’est vraiment l’idée.
Parmi les femmes que vous avez rencontrées, quelles sont celles qui vous ont le plus marquée ?
Impossible de répondre… J’ai envie de dire… toutes ? Quand on se plonge dans la vie de quelqu’un, tout paraît soudain passionnant. Jeanne Villepreux Power, naturaliste, la nana qui a inventé l’aquarium, je rechignais à l’idée de faire son portrait… et finalement, j’ai adoré.
Êtes-vous intervenue sur le choix des illustratrices ou sur leur travail ?
Ce travail était fait en interne, coordonné par la directrice artistique du livre, Sarah Deux.
Depuis cet ouvrage, vous avez sorti un autre livre jeunesse sur Joséphine Baker, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Ce sont les éditeurs de Gallimard Jeunesse qui m’ont proposé d’écrire cet ouvrage. Et je dois dire que j’en ai été vraiment super ravie. Joséphine Baker faisait partie des femmes pour qui le format texte court des Rebelles m’avait un peu frustrée. Il y avait tant à dire ! J’étais heureuse de pouvoir me plonger plus longuement et plus en détail dans une vie, et travailler en collaboration avec une illustratrice aussi, ici, Camille de Cussac. Découper le texte avec elle, décider des moments, des scènes sur lesquelles nous arrêter. C’est très riche de travailler à plusieurs, et parfois, cela manque dans le travail d’écriture !
Ce sont vos deux premiers livres en jeunesse, c’est un domaine que vous connaissiez déjà ?
Premières expériences en effet, complètement fortuites ! Je ne connaissais pas particulièrement le milieu jeunesse, le « ton » écriture jeunesse (s’il y en a un, mais maintenant que j’ai essayé, je ne crois pas avoir écrit vraiment différemment que d’habitude). Bref ce n’était pas spécialement voulu mais c’était deux fortes expériences. C’est beaucoup de responsabilités que d’écrire pour des enfants. On s’imagine qu’on va les accompagner, les aider à grandir. C’est aussi à travers les livres que leurs lendemains vont s’écrire.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai étudié l’histoire et la géographie à la Sorbonne. Pendant mes études, j’écrivais déjà, notamment pour le Bondyblog, un média qui raconte la vie des banlieues de France. Stage après stage, expérience après expérience, je suis devenue journaliste. Aujourd’hui, je suis « indépendante », c’est-à-dire que je ne travaille pas pour une rédaction en particulier. Je produis des documentaires radio pour France Culture, j’écris, un roman bientôt, qui sortira à la rentrée…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
D’abord, tout a commencé avec Fifi Brindacier. Cette nana complètement folle, complètement libre, que l’auteure décrit hyper simplement, me donnait des ailes.
Ensuite, j’ai très vite lu des histoires sur la vie des gens « réels », racontées aux enfants. La vie d’une jeune fille qui va à l’école à Kaboul — Parvana, une enfance en Afghanistan, la vie d’un garçon, fils d’esclave, aux États-Unis — Léon Walter Tillage —
Ado… j’ai dévoré la série 3 filles… et des torrents de larmes, sur l’acné, la mode, l’amour, l’amitié.
Et puis j’ai découvert Modiano, les passagers du Roissy Express. Le mec partait « en voyage », pour raconter « la vie des gens », et du territoire, en prenant le RER, à 30 minutes de chez lui. Là j’ai compris ce que je voulais faire.
Un prochain livre à sortir ?
Un roman, cette fois-ci… pour les grands… À paraître chez JC Lattès.
Bibliographie jeunesse :
- Joséphine Baker, album illustré par Camille de Cussac, Gallimard Jeunesse (2021).
- Histoires du soir pour filles rebelles — Tome 3 – 100 femmes françaises extraordinaires, album illustré par plusieurs illustratrices, Les Arènes (2020).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Ludovic Flamant
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Ludovic Flamant qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Coup de gueule
Bien que ressentant souvent de la colère au fond de moi, je pousse rarement de coup de gueule. On m’a comme transmis l’idée que la colère, c’était mal. Ce pourrait en soi être l’objet de mon coup de gueule, quand j’y songe… La colère est une émotion parmi d’autres. En quoi aurait-elle moins le droit d’exister que la tristesse, l’étonnement ou la joie ? Il semble d’ailleurs que la colère, utilisée à bon escient, puisse se révéler une incroyable source d’énergie. À ce titre, j’aime énormément l’album de Toon Tellegen et Marc Boutavant N’y a-t-il personne pour se mettre en colère ? qui présente une série d’histoires courtes dans lesquelles la colère est pleinement acceptée, voire tient un rôle constructif. Mais je m’égare ! Pour un peu, je serais presque en train de transformer mon coup de gueule en coup de cœur !
Je voudrais vous faire le récit d’une toute petite chose vécue récemment à la bibliothèque où je travaille à Bruxelles. Un homme s’est présenté chez nous en mini-short et torse nu sous sa veste, en plein hiver. Il n’avait rien d’un nécessiteux ; c’était un excentrique. Il s’est montré poli. Pas grand-chose à signaler. Rien d’indécent, juste une situation… hors-norme. Après son départ, mes collègues se sont mis à rire. Et pourquoi pas ? Ils ne se sont pas moqués ouvertement — pas devant lui, du moins- et la chose était insolite, je l’admets. Mais ensuite la conversation a dérivé sur l’idée que peut-être il faudrait lui faire une remarque la prochaine fois. Cela déjà m’a gêné. Mais pas encore autant que ce moment où quelqu’un a dit « Ce n’est pas pour moi, moi je m’en fiche, il s’habille comme il veut… Mais c’est pour les autres. » La première étape relève bien sûr déjà d’une douce forme de pensée fascisante où il y aurait lieu de dire aux autres comment « bien » se comporter (alors que cet homme, à ce que je sache, ne déroge à aucune loi en vigueur en Belgique), mais la seconde étape consiste carrément à se déresponsabiliser de cette pensée ! Et cela m’a mis en colère, oui. Parce que ce que je trouve pire encore que de se mêler de restreindre les libertés d’autrui, c’est de le faire tout en prétendant de surcroît qu’on en n’a pas l’intention ! Alors certes, cela peut sembler de peu d’importance mais… Comme le disait Nietzsche, le diable n’est-il pas « dans les détails » ?
Coup de cœur
J’ai déjà parlé du livre de Tellegen ci-dessus, je pourrais aussi parler de Et Tilly qui croyait que de Eva Staaf et Emma AdBåge ou du Destin de Fausto de Oliver Jeffers… Mais je vais plutôt témoigner d’une autre anecdote, tout aussi petite :
Un jour où j’attendais sur le quai du métro bruxellois depuis un bon moment, j’ai été surpris par la musique qui passait. Il en passe toujours et, à part si le morceau m’énerve vraiment, je n’y prends jamais garde puisqu’elle m’indiffère… Mais là, c’était le contraire, justement : pas du tout cette soupe pop insipide qui passe quotidiennement. C’était une très belle musique, un peu hispanisante, à la guitare et au violon, avec une âme… Si j’ai eu le temps de la remarquer, c’est parce qu’il en est passé plusieurs morceaux d’affilée. Et là j’ai réalisé une chose : si cette musique était différente, c’est que quelqu’un avait délibérément décidé de créer cette playlist et de la diffuser à la place de ce qui passe d’habitude. Derrière ces baffles prétendument anonymes de la station de métro, il y avait eu un être humain qui s’était senti investi d’une responsabilité, la responsabilité de la beauté ! Les villes où nous habitons n’ont en vérité rien d’anonyme. Elles sont à nous. Ce qui s’y vit dépend toujours de nous.
Au fond, ce coup de cœur ne répond-il à mon coup de gueule ? Dans les deux cas, ne s’agit-il pas d’une histoire de responsabilité, d’intention assumée ?
Bibliographie (jeunesse) sélective :
- Bastien, ours de la nuit, album illustré par Sara Gréselle, Versant Sud (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Passagers, album illustré par Jeroen Hollander, Esperluète (2019).
- Riquipouce, album illustré par Emilie Seron, Pastel (2018).
- Bonne ou mauvaise idée, album illustré par Pascal Lemaître, Pastel (2014).
- Les poupées c’est pour les filles, album illustré par Jean-Luc Englebert, Pastel (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Il était mille fois, album illustré par Delphine Perret, Les fourmis rouges (2013), que nous avons chroniqué ici.
- On ne joue pas avec la nourriture, album illustré par Émile Jadoul, Pastel (2009).
- Tout le monde est prêt ?, album illustré par Émile Jadoul, Pastel (2009).
- Louis des sangliers, album illustré par Émilie Seron, Pastel (2007).
- La soupe aux miettes, album illustré par Émile Jadoul, Pastel (2007).
- Trop la honte !, album illustré par Emmanuelle Eeckhout, Pastel (2007).
- Des livres plein la maison, album illustré par Émile Jadoul, Pastel (2007).
- Emilie Pastèque, album illustré par Emmanuelle Houdart, Thierry Magnier (2007)
Son site : http://www.ludovicflamant.be.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !