J’avais envie que notre première interview après la pause soit à propos d’un livre fort. Quand j’ai reçu Naître fille j’ai tout de suite su que ça ne pouvait être que celui-là. Vous savez à quel point cette thématique nous est chère, et au lendemain de la journée internationale pour les droits des femmes, ça ne pouvait pas mieux tomber. Je reçois donc tout d’abord son autrice-illustratrice, Alice Dussutour, puis j’ai proposé à son éditrice Natalie Vock-Verley de nous livrer un coup de gueule et un coup de cœur. On aura forcément l’occasion de vous reparler de ce bel ouvrage, mais j’espère que ces interviews vous donneront d’ores et déjà l’envie de le découvrir en librairie.
L’interview du mercredi : Alice Dussutour
Pouvez-vous nous présenter votre ouvrage Naître fille qui vient de sortir aux Éditions du Ricochet ?
Naître fille raconte l’histoire de cinq filles de cinq pays différents, qui sont confrontées à des obstacles liés à leur condition de filles. Une partie documentaire permet d’éclairer sur le contexte de ces inégalités, d’aller plus loin, mais célèbre aussi les actions des personnes courageuses qui changent le monde.
Comment est né ce projet ?
En discutant avec plusieurs personnes, j’ai réalisé que beaucoup n’ont aucune notion de la réalité des filles du monde entier. Lors de mon projet, j’ai aussi appris énormément!
Je me suis aussi aperçue que beaucoup de livres féministes traitaient de grandes figures historiques, des combats féministes, mais ne témoignaient pas du quotidien des filles du monde. J’avais vraiment à cœur de créer un livre qui puisse éduquer et sensibiliser les filles et garçons, et permette de prendre conscience de l’étendue des enjeux liés à la condition des filles.
J’aimerais que vous nous parliez des recherches que vous avez faites pour ce livre
J’ai lu énormément d’articles, regardé des documentaires et creusé beaucoup de sujets. J’ai en quelque sorte mené mon enquête ! Malheureusement, il y a tellement d’injustices vécues par les femmes, que les thèmes abordés étaient même difficiles à sélectionner.
Je ne voulais surtout pas inventer le quotidien de ces filles, ni le juger de mon point de vue.
J’ai pioché dans plusieurs ressources, mais j’ai aussi contacté des associations féministes qui ont pu m’orienter vers des témoignages recueillis et des actions menées sur place, j’ai aussi effectué un sondage auprès de jeunes filles pour la partie sur la France par exemple. Pour le thème du Mexique et des féminicides, j’ai aussi assisté à une conférence donnée par plusieurs associations avec des féministes mexicaines.
Depuis quelque temps, il parait de nombreux livres sur les femmes ou sur le féminisme, mais au contraire de beaucoup d’entre eux, le vôtre semble refléter un réel engagement de votre part. Pouvez-vous nous parler de votre engagement féministe ?
Mon engagement féministe a aussi mûri grâce à tous les contenus féministes, et notamment les livres et les bandes dessinées, qui sont essentiels pour se déconstruire.
Je pense que la clé réside dans l’éducation, et les livres sont des outils très puissants qui permettent de sensibiliser. C’est parfois difficile de se sentir utile et de concrétiser ses engagements, avec Naître fille, j’avais à cœur de mettre en avant les actions concrètes, les associations et personnes qui agissent et défient l’autorité pour lutter pour l’égalité et la liberté des filles.
Je suis très fière qu’Amnesty International puisse soutenir ce projet, c’est un symbole fort.
La représentation des diversités semble être importante pour vous également…
Comme beaucoup de filles, j’ai grandi avec des modèles féminins très stéréotypés, avec des corps uniformes et conformes à un idéal de beauté.
Dans l’illustration, on peut naturellement se référer même inconsciemment aux modèles que l’on voit depuis toujours pour créer des images. Je pense qu’il est important de questionner ces réflexes de représentation, et notamment lorsque cela s’adresse à un jeune public. Varier les personnages dans leur morphologie, leur couleur de peau ou même leur attitude permet aux lecteurs de s’identifier et se sentir représentés !
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
J’ai d’abord construit l’univers graphique en me référant à des images de paysages, de tissus, des scènes de vie et des reportages dans les pays concernés par mes histoires.
Je crée ensuite une palette de couleurs à partir de cette iconographie, et commence mes croquis, puis je dessine numériquement sur iPad.
Qui ont été vos premier·ères lecteur·rices de ce livre ?
J’ai commencé ce projet lors de ma dernière année d’études, j’ai d’abord échangé avec des professeurs, amies, et aussi ma famille. J’ai rencontré une éditrice géniale qui m’a énormément encouragée sur ce projet puis les membres de l’équipe de Ricochet qui m’ont accompagnée.
C’est ma famille qui a lu le livre en premier et j’ai très hâte que le livre soit maintenant lu et d’avoir des retours !
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai étudié 5 ans le design graphique à l’ECV Bordeaux, j’ai un diplôme en direction artistique. J’ai toujours adoré l’illustration et essayé de l’intégrer à mes projets, mais sans trop oser pousser dans cette direction. Après mes études, j’ai décidé de m’écouter et tenter de faire ce qui me faisait rêver !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’adorais lire quand j’étais petite, j’ai grandi avec les romans fantastiques comme Harry Potter, Narnia, la croisée des mondes, Tara Duncan, Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire…
J’aimais aussi les bandes dessinées et en grandissant j’adorais les mangas Nana et je suis évidemment passée par la saga Twilight !
Travaillez-vous sur de nouveaux projets en ce moment ?
J’illustre un album jeunesse sur les femmes militantes.
Pour finir, quelques mots sur votre boutique ?
Je vends des impressions de mes illustrations sur ma boutique en ligne, j’ai aussi pu participer à plusieurs évènements à Paris pour faire des ventes. Mes illustrations sont colorées et j’adore lorsque plusieurs personnes très différentes disent qu’elles se reconnaissent dans mes créations !
Bibliographie :
- Naître fille, texte et illustrations, Les Éditions du Ricochet (2022).
- Femmes artistes. 20 portraits qui nous inspirent, illustration de textes d’Anne Lanoë, Fleurus (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Femmes libres de la mythologie. 12 portraits qui nous inspirent, illustration de textes d’Anne Lanoë, Fleurus (2020).
Retrouvez Alice Dussutour sur son site et sur Instagram.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Natalie Vock-Verley
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Natalie Vock-Verley qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule…
Celles et ceux qui me connaissent bien l’attesteront : le coup de gueule n’est pas dans ma nature. Je le différencie d’ailleurs fortement de la colère, cette émotion saine qui, si elle doit s’exprimer, ouvre le champ du dialogue contrairement à la rage avant tout ravageuse. Je trouve le coup de gueule plutôt stérile, égoïste, voire narcissique. À mes yeux, la prise de position d’un coup de gueule dénonce, pourquoi pas dans la transgression, mais ouvre-t-il des perspectives pour faire évoluer la situation ?
Cela dit, j’ai accepté de me prêter à l’exercice pour la Mare aux mots, donc je vais m’y coller. Sous le choc de l’actualité en Ukraine depuis quinze jours, mon coup de gueule naturel va contre cette guerre qui terrifie toute une population, et indirectement le monde. Coup de gueule contre de plus en plus de dictateurs et dirigeants populistes qui sévissent aux quatre coins de la planète etprennent en otage leurs peuples. Je suis d’autant plus en colère (ou en rage ?) contre cette situation que j’ai baigné depuis mon enfance dans les récits de mes parents et grands-parents marqués par la Seconde Guerre mondiale, en particulier ma mère née sous les bombardements à Sofia (Bulgarie) en 1941. On m’a toujours raconté que de telles histoires ne devraient jamais se reproduire en Europe…
Plus proche de notre monde du livre, c’est contre un « Maudit Distributeur Sauvage » que mon coup de gueule s’exprimera aussi. Nous, 150 maisons d’édition, avons été « prises en otage » depuis novembre dernier, en même temps que tout notre réseau de librairies et nos auteurs, par « l’accident industriel » du distributeur MDS. En plein mois de décembre à quelques semaines de Noël, ce superbe joyau industriel, tel qu’il était décrit, s’est trouvé asphyxié par une avalanche « inattendue » de commandes des librairies. Et pour servir les best-sellers en priorité, la mesure a été sans appel : annuler les petites commandes d’un titre en 1 ou 2 exemplaires seulement ! Les conséquences pour nous ont été très rudes : évaporé notre chiffre d’affaires sur un mois décisif de l’année ! Sabotés notre relation avec les libraires et nos liens tissés depuis de nombreuses années ! J’ai vraiment pris conscience du pouvoir du distributeur, ce maillon incontournable de la chaîne du livre capable de faire bien plus que la pluie et le beau temps : parlons de séisme et d’ouragan sur des petites maisons d’édition fragiles comme Ricochet ou Tom’poche ! Vous pouvez imaginer que ce n’est pas une structure de 5 personnes occupées au travail éditorial avec ses auteurs, à la fabrication des livres, à la promotion des ouvrages, à la gestion administrative et logistique, qui pourra prendre en charge au débotté les envois de livres aux milliers de librairies ! Depuis, la situation s’est certes améliorée, mais les pertes sont importantes et l’on n’a pas le sentiment que ce soit un sujet de préoccupation pour les dirigeants de MDS. Pourtant, c’est bien nous, les éditeurs indépendants réunis, qui créons la bibliodiversité dans nos librairies. J’appelle aujourd’hui de mes vœux que chaque maillon de la chaîne du livre prenne ses responsabilités et s’efforce de faire vivre cette diversité en préservant nos petites structures indépendantes.
Entre covid et « accident industriel » MDS réunis, merci aux coups de cœur de m’avoir apporté les instants de légèreté et de rêverie, indispensables pour nourrir ma créativité. J’ai envie de vous faire découvrir le catalogue OITA de la galerie Mingei, acheté à la librairie du musée du Quai Branly. Sa couverture en papier mat au toucher de sable fin travaillé avec un embossage en fait un objet très sensuel. Par l’alternance de prises de vue globales et de gros plans, il déploie toute la poésie et l’ingéniosité de l’art du bambou au Japon. À chaque artiste, une signature personnelle dans les formes qui défient parfois la gravité, s’amusent des pleins et des vides, des matières brutes ou laquées. Chaque œuvre géométrique ou organique révèle le bambou sous une apparente fragilité. Ainsi transformé, c’est la souplesse de ce matériau puissant qui est révélée grâce à un savoir-faire ancestral et à l’audace des artistes vanniers. Puissance et souplesse, c’est je crois cela qui me touche le plus.
Natalie Vock-Verley est la directrice éditoriale des Éditions du Ricochet, qui a publié Naître fille, et des éditions Tom Poche. Quelques titres des Éditions du Ricochet que nous avons chroniqués récemment :
- Dans mon petit jardin, texte de Lenia Major, illustré par Clémence Pollet (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Tout nu ! Le dictionnaire bienveillant de la sexualité, texte de Myriam Daguzan Bernier, illustré par Cécile Gariépy (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Mon petit monde…, d’Emmanuelle Houssais (2019), que nous avons chroniqué ici.
- 100% Connecté, le cerveau et les neurones, texte d’Éric Mathivet, illustré par Sébastien Chebret (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Comment s’informer, textes de Sophie Eustache, illustrés par Élodie Perrotin (2019), que nous avons chroniqué ici.
Le site des éditions du Ricochet : https://www.editionsduricochet.com.
Le site des éditions Tom’Poche : https://www.tompoche-livres-jeunesse.fr
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !