C’est une invitée un peu particulière que je reçois aujourd’hui. Anne Clerc n’est pas autrice ou éditrice, elle est déléguée générale de l’association Face à l’inceste. Même si cette association n’a aucun lien avec la littérature jeunesse, sujet que nous traitons habituellement ici, j’ai trouvé intéressant de lui poser quelques questions pour mettre en avant cette belle association. Ensuite, c’est l’autrice-illustratrice Émilie Vast, dont l’album Ensemble pour la nuit est sorti en fin d’année dernière chez MeMo, qui est l’invitée de Véronique Soulé pour sa rubrique (sonore !) Du tac au tac qu’elle réalise pour nous une fois par mois.
L’interview du mercredi : Anne Clerc (Face à l’inceste)
Parlez-nous de Face à l’inceste ?
Fondée en 2000 par Isabelle Aubry, survivante de l’inceste, l’association est animée par une vingtaine de bénévoles survivants de l’inceste, proches de survivants, professionnels et citoyens impliqués dans la lutte contre le fléau de l’inceste. L’association compte quelque 8 000 membres, 225 adhérents et de nombreux donateurs. Elle s’adresse aux victimes de l’inceste et de pédocriminalité et à leurs proches et à toute personne désireuse de soutenir la cause que nous défendons. Partout où ce fléau de santé publique sévit, nous avons une raison d’être et d’agir.
À quoi sert une association sur l’inceste ?
L’inceste est un tabou puissant, notre association a pour mission d’éveiller le grand public sur ce sujet, mais aussi les politiques, afin d’envisager d’avoir des campagnes gouvernementales de lutte contre l’inceste, de légiférer. Rappelons les chiffres : 11 % de Français sont victimes d’inceste. Il est grand temps d’agir pour avoir des actions publiques pour répondre aux victimes et envisager, dans les années à venir, que ce chiffre décroisse. En conséquence, nos actions sont variées. Nous sensibilisons des professionnels de santé, de la justice, etc. Mais aussi le grand public. Nous sommes sollicités par des parlementaires pour mener des réflexions sur des propositions de loi (par exemple, sur la prescription), par les journalistes qui enquêtent sur le sujet, par l’État. Ainsi nous étions membres de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux mineurs (CIIVISE), qui a rendu ses 82 préconisations pour lutter efficacement contre ces violences.
Nous réalisons aussi des campagnes pour mobiliser l’opinion publique.
Parlez-nous de ces campagnes.
Par exemple, en 2021, nous avons réalisé avec Publicis, une campagne de communication visant à instaurer la présomption d’absence de consentement de l’enfant dans la loi (Deux monstres dans mon histoire). Un film et une pétition ont été lancés à cette occasion ! Et il faut rappeler que nous avons gagné, en partie, ce combat avec le vote de la loi « Billon » qui pose enfin en seuil d’âge de non-consentement. Un enfant ne sera plus questionné sur son consentement à l’inceste !
En 2023, nouvelle campagne de sensibilisation avec Publicis sur la protection immédiate de l’enfant qui révèle l’inceste (Protégeons les enfants victimes d’inceste).
Cette action est en cours, car à ce jour, un enfant qui révèle l’inceste ne bénéficie toujours pas d’une protection immédiate.
On peut faire des dons, à quoi sert l’argent ?
À soutenir nos actions de sensibilisation sur le terrain. Depuis mai 2023, je suis salariée de l’association pour agir au quotidien dans la lutte contre l’inceste. En janvier 2024, Aude Doumenge me rejoint en tant que chargée de plaidoyer et de communication. Il s’agit d’aller plus loin dans nos actions, concrètes sur le terrain. Les dons et les adhésions permettent de financer la réalisation et l’impression de documents que nous diffusons largement, et à la demande de toutes celles et ceux qui luttent contre l’inceste. Nous intervenons aussi bénévolement pour sensibiliser contre l’inceste (par exemple, auprès de France Victimes, SOS Amitié, etc.) En 2024, nous allons développer la formation, et aussi organiser un évènement d’envergure pour le 20 novembre. Au-delà des dons, l’engagement de tous les citoyens et citoyennes est nécessaire pour lutter contre l’inceste. C’est l’affaire de tous !
Parlons un peu de vous, quel est votre rôle au sein de l’association ?
En tant que déléguée générale, et première salariée de l’association, il y a tout un travail de professionnalisation et de structuration à conduire auprès des bénévoles et du conseil d’administration. Ensuite, je suis en quelque sorte « le chef d’orchestre » des différentes opérations à conduire. Bien sûr, nous ne pourrions rien réaliser sans l’appui des bénévoles et nos partenaires de longue date. Et Aude qui rejoint l’association va permettre aussi de déployer le travail de plaidoyer pour passer à l’action au niveau des politiques. À l’heure actuelle, il faut agir concrètement pour lutter contre l’inceste.
J’aimerais que vous nous parliez de votre parcours.
J’ai un master d’édition. J’ai d’abord travaillé en littérature de jeunesse avant de rejoindre Lecture Jeunesse. Dans cette association, j’étais rédactrice en chef de la revue puis formatrice. J’ai ensuite poursuivi mes activités en free-lance, toujours en lien avec la littérature de jeunesse. En 2016, j’ai mon premier poste de déléguée générale pour l’association des Amis de la BnF. J’avais des missions de mécénat et de valorisation des collections. Ensuite, j’ai dirigé l’association des archivistes français, puis la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. En parallèle, j’étais militante au sein d’associations féministes, puis de lutte contre l’inceste. Et j’ai eu envie de m’engager dans ce combat.
Parlons un peu de littérature jeunesse, puisque c’est un sujet que vous connaissez bien ! Depuis quelque temps l’inceste est abordé dans la littérature jeunesse. Que pensez-vous de la façon dont il est abordé ?
J’ai pu intervenir, lors du dernier Salon du livre et de la presse jeunesse à Montreuil, sur ce sujet aux côtés d’autres associations. Je pense qu’il est important que la littérature jeunesse s’empare de ce sujet, tant dans la fiction que dans le documentaire. À mon sens, les textes sont tous très intéressants, mais je ne sais pas s’ils permettent de libérer la parole, réellement. Et surtout, les professionnels de la littérature de jeunesse ne sont pas formés pour protéger les enfants — mais ça ne saurait tarder, j’imagine !
L’enjeu est toujours le même : les enfants savent que l’inceste ne devrait pas avoir lieu — ils sont intelligents ! — mais ils ont peur de parler. Et si ils parlent, qui les protégera ? Il faudrait que la littérature de jeunesse se rapproche de cette réalité-là.
Des livres à recommander sur le sujet ?
Parmi les incontournables, à mon sens :
– Le Loup de Mai Lan ;
– L’inceste, de Camille Laurans et Vinciane Schleef, Éditions Milan, Collection Mes p’tits pourquoi
– Quand on te fait du mal
– La princesse sans bouche, Florence Dutruc-Rosset, Julie Rouvière, Bayard Jeunesse, collection Les contes qui guérissent
– Les Longueurs de Claire Castillon
En littérature adulte et pour les lycéens, Triste Tigre de Neige Sinno est une lecture incontournable !
Après, il me semble que des ouvrages sur le consentement vont émerger et répondre aux besoins des enfants et des professionnels.
Et côté adulte ?
C’est en littérature générale : Triste Tigre de Neige Sinno, mais aussi Le Consentement de Vanessa Springora. Un podcast fantastique également sur ce sujet : Mon Odyssée (Nouvelles Écoutes)
Que lisiez-vous quand vous étiez enfant et adolescente ?
La lecture était un refuge fantastique pour moi. Enfant, j’adorais Le Petit Nicolas, les histoires de la comtesse de Ségur. Je vivais à la campagne et il y avait peu d’accès aux livres. Aussi, Bayard Presse de J’aime Lire à Okapi a nourri mon imaginaire. Adolescente, je lisais Daniel Pennac et j’ai dévoré les livres de Maupassant, Zola, Stefan Sweig. Étudiante, je me suis intéressée au théâtre de Racine, Shakespeare, etc. Ensuite à la BD et aux romans graphiques. La littérature est pour moi une nourriture essentielle dans ma vie.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour 2024 ?
Du courage, de l’énergie et du soutien pour lutter contre l’inceste 🙂
Pour adhérer à l’association Face à l’inceste, faire un don ou juste vous renseigner sur ses actions c’est ici : https://facealinceste.fr (et on vous conseille de les suivre aussi sur Instagram).
Du tac au tac… Émilie Vast
Une fois par mois, Véronique Soulé (de l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin) nous propose la capsule sonore Du tac au tac. Avec la complicité du comédien Lionel Chenail, elle pose des questions (im)pertinentes à un·e invité·e que nous avons déjà reçu·e sur La mare aux mots. Aujourd’hui, c’est Émilie Vast qui répond à ses questions.
Émilie Vast est autrice et illustratrice. Son dernier album, Ensemble pour la nuit, est publié par les éditions MeMo comme la plupart de ses albums.
Bibliographie sélective :
- Ensemble pour la nuit, texte et illustrations, MeMo (2023).
- Qui va me manger ?, texte et illustrations, MeMo (2023).
- Le Colombe de Kant, illustration d’un texte d’Alice Brière-Haquet, 3 oeil (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Pas pareil, texte et illustrations, MeMo (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Je veux un super pouvoir !, texte et illustrations, MeMo (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Quelque chose de merveilleux, illustration d’un texte de Shin Sun-Jae, MeMo (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Jusqu’en haut, texte et illustrations, MeMo (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Moi, j’ai peur du loup, texte et illustrations, MeMo (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Alphabet des plantes et des animaux, texte et illustrations, MeMo (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Abeille et Épeire, texte et illustrations, MeMo (2017).
- Chamour, texte et illustrations, MeMo (2016).
- De papa en papa, texte et illustrations, MeMo (2016).
- De maman en maman, texte et illustrations, MeMo (2016).
- Le secret, texte et illustrations, MeMo (2015).
- En t’attendant, texte et illustrations, MeMo (2014).
- Il était un arbre, texte et illustrations, MeMo (2012).
- L’herbier, plantes sauvages des villes, texte et illustrations, MeMo (2011).
- Korokoro, texte et illustrations, Autrement (2011).
- L’herbier, petite flore des bois d’Europe, texte et illustrations, MeMo (2010).
- L’herbier, arbres feuillus d’Europe, texte et illustrations, MeMo (2009).
- Koré-No, l’enfant hirondelle, illustration d’un texte d’Anne Mulpas, MeMo (2008).
Le site d’Émilie Vast : https://emilievast.com.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !