Aujourd’hui, on reçoit tout d’abord l’autrice-illustratrice Ariane Pinel qui vient de sortir un très bel album aux éditions Cambourakis, L’île aux vélos. Puis, c’est un auteur qu’on adore, Taï-Marc Le Thanh, qui est l’invité de la rubrique Quand je crée à l’occasion de la sortie de Parfois j’aimerais que ma vie ressemble à une comédie musicale chez Actes Sud Jeunesse.
L’interview du mercredi : Ariane Pinel
Présentez-nous parler de L’île aux vélos, votre album que viennent de publier les éditions Cambourakis ?
L’île aux vélos est l’histoire de Jade, une petite fille qui découvre pendant des vacances sur une île le vélo et la liberté qu’il procure. À son retour chez elle on lui interdit d’en faire, mais elle ne va pas se laisser faire…
C’est un album utopique très coloré qui prône le vélo comme outil d’émancipation féminine et écolo. Il soulève aussi la question : un monde sans voitures est-il possible ?
Comment est née cette histoire ? Qu’est-ce qui est venu en premier, le texte ou les dessins ?
Lors d’une résidence de deux mois en Bretagne sur l’île de Groix à l’automne 2020, j’ai passé beaucoup de temps à faire des croquis en couleur directe. Accueillie par l’association À La ligne, entre deux ateliers dans les écoles j’essayais de saisir la beauté des paysages et la magie des lumières de cet endroit magnifique et sauvage. J’ai été accompagnée régulièrement par les enfants de l’île qui ont adoré redécouvrir leur territoire avec un carnet et des crayons.
Quelle est la part de vous-même dans cette histoire ? Une passion pour le vélo ?
Cette histoire est née d’une expérience personnelle que j’ai eue enfant, lors d’une semaine de vacances à l’île d’Yeu où j’ai expérimenté une totale liberté de mouvement grâce au vélo. Habitant à la campagne, je n’avais pas le droit de sortir de la maison ni de me déplacer seule à cause du danger que représentaient les voitures. Depuis mes 17 ans, j’habite à Strasbourg qui est une ville où on peut tout faire à vélo, et où la communauté cycliste est très développée, y compris chez les très jeunes enfants.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Pour cette histoire, j’ai d’abord travaillé au feutre « Posca » pour mes croquis colorés sur place. J’ai ensuite scanné ces dessins, je m’en suis servie comme décor et j’ai ajouté les personnages, dessinés avec des feutres et des marqueurs colorés. J’ai ensuite travaillé sur ordinateur en créant des images avec cinq aplats de couleur parfois transparents, inspirées par ma pratique de la sérigraphie.
Parlez-nous de votre parcours.
J’ai grandi dans la campagne toulousaine dans un endroit très isolé où j’ai beaucoup lu. J’ai eu la chance d’intégrer la HEAR (Haute École des Arts du Rhin, anciennement École des Art Décos) juste après le bac. Je suis restée vivre dans cette ville où il y a beaucoup d’ateliers collectifs d’artistes et d’illustrateurices, on y trouve une grande émulation créative !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Enfant et adolescente, je dévorais les romans d’apprentissage. J’adorais Roald Dahl, Gripari, Marie-Aude Murail, Susie Morgenstern, Colette, Herman Hesse… Je me souviens que j’étais en quête d’héroïnes féminines (comme Marion Duval ou Mystère aux cheveux bleus) qui soient chouettes et pas « princesses ». Les filles représentées dans les livres étaient souvent si éloignées de moi que j’étais persuadée d’être un « garçon manqué ». Je voulais aussi féminiser toutes les chansons que j’écoutais : Brassens, Renaud, les Beatles… J’adorais le personnage de Yakari (ou celui de Broussaille), mais j’étais triste que sa copine Arc-en-Ciel n’ait pas d’implication dans le récit et qu’il faille presque toujours s’identifier aux garçons dans les histoires.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
J’ai toujours été très émue par le travail de Sempé, Quentin Blake, Agnès Rosenstiehl, Claire Bretécher… Les peintures de Bosch ou Brueghel pleines de détails aussi. J’apprécie énormément le fait que Tomi Ungerer ait travaillé aussi bien à destination des enfants que des adultes. Les croquis époustouflants d’Emmanuel Guibert ou Benoît Guillaume me donnent envie de saisir sans relâche le monde à travers mes crayons. En ce moment je suis particulièrement touchée par la finesse et puissance des récits d’Émilie Plateau, Sandrine Martin, Julie Doucet, Liv Stormquist, Delphine Panique, Powerpaola…
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Actuellement je travaille sur une suite de l’album Sasha et les vélos (paru aux éditions Cambourakis) avec Joël Henry au texte, et à une autre collaboration avec une autrice de bande dessinée. Ces deux projets tournent autour de questions d’écologie et d’activisme, mais tout ça est encore très confidentiel…
Bibliographie :
- L’île aux vélos, album, texte et illustrations, Cambourakis (2023).
- Les métamorphoses d’Ovide, BD, dessins sur un scénario de Béatrice Bottet, Casterman (2023), que nous avons chroniqué ici.
- La mythologie en BD, BD, Collectif, Casterman (2022).
- Sasha et les vélos, album, illustration d’un texte de Joël Henry, Cambourakis (2020).
- Zeus, le roi des dieux, BD, dessins sur un scénario de Sylvie Baussier, Casterman (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Les rois et les reines, album, illustration d’un texte d’Astrid Dumontet, Milan (2017).
- Série Les aventures mégachouettes de Mademoiselle, trois tomes, romans, illustration de textes de Sandrine Beau, Alice Jeunesse (2014-2015), que nous avons chroniquée ici.
Retrouvez Ariane Pinel sur Instagram : https://www.instagram.com/ariane.pinel.
Quand je crée… Taï-Marc Le Thanh
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour celles et ceux qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Taï-Marc Le Thanh qui nous parle de quand il crée.
Le processus est souvent le même et il commence de bonne heure le matin. Je ne mets plus de réveil, les enfants sont grands, ils ne vont plus à l’école et, Dieu merci, ils ont appris à beurrer eux-même leurs tartines. Je ne mets donc plus de réveil et je me réveille à l’heure que je veux. La journée commence de ce fait dans un esprit de liberté extraordinaire. Et c’est souvent entre 7h30 et 8h. Je bascule mes jambes hors du lit et je reste un moment assis à regarder mes orteils. Comme je n’ai pas encore chaussé mes lunettes, ils sont flous. Les orteils flous sont une bonne façon de commencer la journée. Ensuite je m’habille pour aller faire ma toilette. Je prends bien garde à ne pas trop lever les pieds. Schlip, schlip font mes savates sur le carrelage et ce son me réjouit au plus haut point. Je réprime un bâillement et je me gratte le bas du dos. Souvent, j’ai le sourire aux lèvres, car je sais que le processus de création s’est enclenché depuis un moment déjà. Il est là, dans un coin de ma tête. La veille, j’ai laissé un chapitre, une phrase, peut-être même un mot en suspension. Et il attend de trouver sa place dans le projet en cours. Pendant que la machine à café turbine, je mets une bûche dans le poêle. Et lorsque j’ai la tasse entre les mains, les flammes consument déjà l’écorce noircie. Je me demande si je me lasserai un jour de ce spectacle. Il exhorte à des réflexions profondes : la combustion, celle de l’oxygène dans les poumons, la vie, l’humanité, les civilisations qui s’éteignent pour ne subsister qu’à l’état de cendre. Je pourrais rester là des heures. Je limite cependant ma contemplation du poêle à un quart d’heure. Je me refais un café. Je vérifie sur les réseaux sociaux que les gens m’aiment. Il est déjà 11h30. Puis, je me mets enfin au travail.
(Sur ce point de vue et au risque d’en décevoir certains, je suis plutôt bête et discipliné. Je m’impose une production quotidienne et tant que je ne l’ai pas réalisée, je reste devant mon écran. Je n’attends jamais que l’inspiration se manifeste, mon activité est d’écrire des livres alors j’écris des livres. Il y a bien sûr des jours avec, et des jours sans. Parfois, mon seul travail valable d’une journée consiste à effacer ce que j’ai fait la veille. Mais ce n’est pas grave, j’avance. Un point c’est tout. Et j’essaye de ne pas me décourager. Parce qu’il serait malhonnête de réduire l’impression de mes journées à des orteils flous et à une civilisation qui se consume dans le poêle. Chaque jour peut être un combat. Certains se déroulent sans trop de dégâts. J’alterne les moments d’écriture avec une activité plus physique. Je peux aller courir entre midi et deux. Tout en poursuivant mes réflexions sur certains aspects du projet en cours, l’approfondissement du caractère de certains personnages, ou des dénouements qui demandent à être éclaircis. Je cours, mais je ne m’arrête pas pour autant. Et par cette activité physique je réduis les pensées qui peuvent polluer le bon déroulement d’une journée. Je peux aussi couper du bois. Tondre la pelouse. En fin de journée, j’ai besoin d’être à l’extérieur. Et si j’ai rempli mon quota d’écriture, alors c’est parfait.)
En marge de cette journée type au relent séculaire, je dispose également d’une forme de super-pouvoir : celui de pouvoir écrire n’importe où. Dans le train, par exemple, où je passe beaucoup de temps. J’ai toujours mon ordinateur avec moi, je travaille sur un gabarit qui me permet d’être à l’aise sans que mon voisin ne puisse lire par dessus mon épaule. Il m’est arrivé de travailler dans l’avion également, même si les bras collés contre le corps, compte tenu de l’espace réduit, ne permettent pas une utilisation ergonomique du clavier. J’ai des souvenirs d’écriture assez précis et assez émouvants également, comme par exemple une partie du tome 2 du Jardin des épitaphes à l’aéroport d’Atlanta pour une escale de six heures, où chez des amis comédiens à Privas pour la scène des trappeurs dans Et le ciel se voila de fureur. Dès que j’arrive dans un lieu, je repère l’endroit où je pourrais m’installer sans déranger et sans être dérangé. Au pire, je mets des écouteurs pour m’isoler avec un peu de musique. En vacances, je peux limiter ma production à une phrase ou deux, mais j’essaye d’écrire tous les jours. Et lorsqu’un projet est bien engagé, je n’ai jamais à me forcer.
Et une idée en entraîne une autre. L’imagination est un muscle que j’essaye d’entretenir tous les jours. C’est probablement pour cette raison que j’aime autant courir. J’y trouve une corrélation avec l’esprit créatif que j’aurais du mal à expliquer autrement que par la sensation d’épanouissement qu’il procure.
Taï-Marc Le Thanh est auteur. Son dernier roman, Parfois j’aimerais que ma vie ressemble à une comédie musicale, est publié par les éditions Actes Sud Jeunesse.
Bibliographie (sélective) :
- Parfois j’aimerais que ma vie ressemble à une comédie musicale, roman, Actes Sud Jeunesse (2023).
- Ma vie avec Charlotte, roman illustré par Joëlle Dreidemy, Sarbacane (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Altacéphalée, roman, Scrinéo (2022).
- Et le ciel se voila de fureur, roman, L’école des loisirs (2022).
- On ne coupe pas les pieds d’une jeune fille, roman, L’école des loisirs (2020).
- Gordilok, album illustré par Christine Roussey, La Martinière Jeunesse (2019).
- Quetzalcoatl, album illustré par Eric Puybaret, Gautier-Languereau (2017), que nous avons chroniqué ici.
- série Le Jardin des épitaphes, romans, Didier Jeunesse (2016-2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le Carnaval Jazz des animaux, livre-CD, illustré par Rose Poupelain, raconté par Édouard Baer, musique de The Amazing Keystone Big Band d’après Camille Saint-Saëns, Gautier-Languereau (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Yéti, album illustré par Rebecca Dautremer, Gautier-Languereau (2015), que nous avons chroniqué ici.
- série Jonah, six tomes, Didier Jeunesse (2013-2015), que nous avons chroniqué ici et là.
- Elvis, album illustré par Rebecca Dautremer, Gautier-Languereau (2008).
- Cyrano, album illustré par Rebecca Dautremer, Gautier-Languereau (2005),
- Babayaga, album illustré par Rebecca Dautremer, Gautier-Languereau (2003), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Taï-Marc Le Thanh sur son Instagram : https://www.instagram.com/taimarclethanh.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !