Aujourd’hui, on commence par une interview de la scénariste de la super série Dans les yeux de Lya (dont on vous reparlera en fin de semaine), Carbone, puis c’est au tour de l’autrice Béatrice Nicodème de nous livrer ses coups de cœur et coups de gueule. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Carbone
Je vous avais connu en tant que Bénédicte Carboneill (autrice et éditrice jeunesse), il y a quelques années, je vous retrouve sous le nom de Carbone en tant que scénariste BD… Que s’est-il passé ?
Ah ah… plein de choses ! Pour la faire courte, j’ai écrit des albums et des romans pour les plus grands mais j’ai rapidement senti que j’avais des choses à dire, à raconter cependant je ne m’amusais pas à faire les longues descriptions indispensables à poser le contexte d’un roman. J’aime quand les choses vont vite ! J’avais le film dans ma tête et voulais aller tout de suite à l’essentiel. Le passage à l’écriture d’un scénario a finalement été un peu comme une révélation : c’est le support qui me convient le mieux car je vais à l’essentiel, laissant le soin au dessinateur de créer tout l’univers et faire ressentir tout ce que je ne voulais pas décrire sur plusieurs pages !
J’ai donc écrit un premier scénario (sans savoir si je faisais comme il fallait !) et je l’ai envoyé aux éditeurs dont je trouvais l’adresse via leur site. Et là surprise, mon premier projet a tout de suite trouvé un éditeur puis les choses se sont enchaînées rapidement. Cela m’a conforté dans mon choix et mes envies de développer mes idées en BD.
Après La boîte à musique (qui a connu un beau succès), vous revoilà avec la série captivante Dans les yeux de Lya, pouvez-vous nous parler de ce projet ?
C’est un projet qui me tient à cœur. Né d’une illustration que Justine Cuhna avait postée sur les réseaux sociaux. Cela a été un véritable coup de cœur visuel : la première fois que je l’ai vue, j’ai cru qu’elle était dans un fauteuil alors que Justine n’avait pas du tout dessiné de fauteuil ! Mais l’histoire était en train de naître : je décide que cette jeune fille aux grands yeux s’appelle Lya, qu’elle est en fauteuil, handicapée suite… à un accident où le chauffard l’a laissée pour morte au bord de la route. Il aurait pu sauver ses jambes ! Alors lorsque Lya découvre qu’on a acheté le silence de ses parents, elle décide de mener l’enquête.
J’ai contacté Justine pour lui dire que j’adorais son univers et que j’avais un projet à lui proposer. Elle a été très enthousiaste et nous avons monté le dossier.
Lya a tout de suite plu aux éditions Dupuis…
L’héroïne de cette série est une jeune fille handicapée, chose rare qu’on ne peut que saluer. Était-ce une envie de mettre un personnage handicapé au sein d’une série ou est-ce que c’est le scénario qui a inspiré la chose, et avez-vous fait des recherches sur le handicap avant d’écrire le scénario ?
Merci ! Non comme je l’expliquais plus haut, ce n’était pas une envie précise d’avoir un héros handicapé mais ça s’est fait comme ça et j’en suis très heureuse car en effet, on s’est rendues compte qu’il n’y avait pas ou peu d’héroïnes handicapées en BD. Et c’est un sujet sur lequel j’étais très sensibilisée de par mon expérience d’enseignante en maternelle, où j’ai accueilli des enfants en situation de handicap.
Comment se passe la collaboration avec la dessinatrice, je suppose que c’est très différent de la relation que vous aviez en tant qu’autrice d’album jeunesse avec les illustratrices.
La collaboration se passe super bien et en effet c’est très différent des relations que j’avais avec les dessinateurs d’albums où (souvent) je n’avais malheureusement aucun contact avec eux : il m’est arrivé de savoir qui avait illustré mes histoires en recevant mes exemplaires d’auteur ! C’est assez inimaginable en BD. Il y a un vrai aller-retour entre l’éditrice, la dessinatrice et moi, très intéressant et enrichissant.
Parlez-nous aussi de l’écriture d’un scénario, ça aussi ça doit être très différent de l’écriture d’album !
Pas tant que ça : je laisse le film de mon histoire se dérouler dans ma tête puis j’en écris le synopsis. Là où j’aurais ensuite écrit mon texte en pesant chaque mot, chaque phrase, là je pense en case et en bulles.
Je fais un peu comme des arrêts sur image de mon film : j’en extrais l’idée générale, le contexte, les éléments essentiels et bien sûr les dialogues. Et je passe directement à mon découpage que je fais sur l’ordinateur sur une trame que je me suis fabriquée.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai toujours aimé les romans policiers : je suis fan d’Agatha Christie.
Quand connaîtrons-nous la suite de Dans les yeux de Lya et avez-vous d’autres projets sur le feu ?
Pour Lya, le tome 3 devait arriver en septembre mais compte tenu de la crise sanitaire, la sortie risque d’être repoussée à janvier 2021. En tous cas, la fin arrive.
En attendant, je travaille sur d’autres séries à venir…
- La Boîte à Musique (avec Gijé chez Dupuis) : tome 4 en octobre 2020/T5 octobre 2021
- La Brigade des Souvenirs (Avec Cee Cee Mia et Marko chez Dupuis) : tome 1 en février 2021/T2 en septembre
- La Sentinelle du Petit Peuple (avec Véronique Barreau et Charline Forns chez Dupuis) : T1 janvier 2021/T2 septembre
- Rainbow Power (avec LN Canac chez Dupuis) : T1 janvier/T2 septembre
- Le Monde des Cancres (avec Nicolas Bary et Justine Cuhna chez Dupuis) : T1 septembre 2021
- Les sauveurs d’Esprits (avec Julien Monier chez Dupuis) : T1 janvier 2022/T2 septembre
- Maïana (avec Pauline Berdal chez Jungle) : T2 octobre 2021
- Complots à Versailles (avec Guila Adragna chez Jungle) : T2 en juin 2020/T3 octobre
- Et d’autres projets à venir en 2021 et 2022 : Les Secrets de Pandorient au Seuil, Bonnie and Clo chez Jungle, Au fond du verre chez Marabout… et des projets audiovisuels !
Bref, je ne m’ennuie pas une seconde !
Bibliographie sélective :
Sous le nom de Carbone…
- Série Dans les yeux de Lya, BD, dessins de Cunha, Dupuis (2019-2020), que nous avons chroniqué ici.
- Série La boîte à musique, BD, dessins de Gijé, Dupuis (2018-2019).
- Série Complots à Versailles, BD, dessins de Giulia Adragna, Jungle (2019).
- Série Maïana, BD, dessins de Pauline Berdal, Jungle (2019).
- Série Les zindics anonymes, BD, dessins de James Christ, Dupuis (2019-2020).
- Série Le Pass’Temps, BD, dessins d’Ariane Delrieu, Jungle (2016).
Sous le nom de Bénédicte Carboneill…
- Les bonbons d’Abigaïl, album illustré par Barbara Brun, Tom Poche (2019).
- Lis-moi une histoire !, album illustré par Michaël Derullieux, Mijade (2019).
- Le Réveillon de Polochon, album illustré par Leïla Brient, Les éditions du Pas de l’échelle (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le monde de Léon, album co-écrit avec avec Valérie Weishar-Giuliani, illustré par Manola Caprini, Les éditions du Pas de l’échelle (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La vache sans tache, album illustré par Manola Caprini, Les éditions du pas de l’échelle (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La lampe des jumeaux, roman illustré par Ariane Delrieu, Limonade (2012), que nous avons chroniqué ici.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Béatrice Nicodème
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Béatrice Nicodème qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Coup(s) de gueule
En ces temps d’épidémie, où le danger invisible est omniprésent, mon coup de gueule se porte naturellement vers l’indiscipline typiquement française, qui a bien ses bons côtés et à laquelle je me laisse aussi parfois aller, mais qui ces jours-ci me met les nerfs en pelote. Parce qu’ici l’indiscipline est synonyme d’inconscience et d’égoïsme. Parce que « Je ne risque rien, je suis en pleine forme » signifie : « Les autres n’ont qu’à se tenir à distance et ne pas sortir s’ils sont fragiles ». Et « je veux être sûr·e de ne manquer de rien » revient à dire : « Je m’en fous si les rayons des supermarchés se vident, je serai paré·e ! » C’est la détestable mentalité : « Après moi, le déluge », malheureusement si répandue ‒ y compris parfois chez les gouvernants.
Second coup de gueule… Quand je vois les dispositifs anti SDF, dispositifs de torture déguisés en « mobilier urbain décoratif », j’ai envie de pleurer et j’ai honte. Bancs inclinés, bancs divisés en sièges à une place, plots, cactus, grillages, galets, poteaux en métal… L’imagination humaine est sans limites pour empêcher ceux qui n’ont plus rien de venir vous rappeler leur existence.
Mais je n’ai pas envie de m’étendre sur mes coups de gueule, ils seraient trop nombreux, et ils sont destructeurs lorsqu’on n’est pas en situation de se retrousser les manches pour agir.
Coup de cœur
Allons bon, impossible de me remémorer un coup de cœur récent ! sans doute parce que les moments de plénitude ne laissent pas de cicatrice. Ils passent aussi légers qu’une brise qui accélère la respiration puis s’en va discrètement.
Mais voilà que depuis quelques jours une magnifique chatte blanc et beige apparaît en début d’après-midi dans mon jardin, examine la maison, tourne vers moi un beau regard doux lorsque j’ouvre la porte pour lui parler. Ce n’est pas une chatte, c’est une star. Grande, de proportions parfaites, le pelage long et soyeux, un fin duvet blanc dans les oreilles, un museau retroussé, une queue à rendre jaloux le plus bel écureuil du monde, elle annonce son arrivée par le tintement léger du petit grelot qu’elle porte en pendentif. Souplesse de velours, démarche tranquille qui de temps à autre s’accélère pour aussitôt ralentir avant de s’arrêter, une patte en l’air : cette chatte est une musique. Maestoso, larghetto ou giocoso. Martellato, quand elle joue avec Papyrus ‒ mon tigré ‒ à coups de patte et de bonds de cabri.
Chaque jour elle vient explorer la maison. Elle passe très digne devant la gamelle de Papyrus, ce n’est pas cela qui l’intéresse. Elle bondit sur une table, s’assure d’un regard qu’elle en a le droit, se faufile sous un fauteuil, avance de quelques pas hésitants vers l’escalier puis le gravit sans bruit, s’avance prudemment à l’étage en plissant le museau. Oui, l’odeur lui plaît, pas de danger ici, pas d’ennemi tapi sous un lit. Alors elle redescend, rassurée, bondit sur l’ordinateur en laissant quelques gjjjjjddddddddddddezeeeee, me regarde avec son sourire de chat, puis repart satisfaite. Elle s’installe dans le jardin et y passe un long moment, alanguie dans l’herbe. Papyrus l’observe, se demandant comment elle a réussi à devenir la reine du jardin sans qu’il ait songé un moment à protester. Et la voisine, une grosse chatte noire qui ne vient me voir que quand elle a faim ‒ c’est-à-dire fort souvent ‒, la regarde avec méfiance. Mais elle n’a rien à craindre. La Grande Dame n’est que charme et douceur. Elle ne vient rien voler, elle vient juste rappeler que la perfection existe. Elle est d’autant plus sublime qu’elle ignore sa beauté. Elle EST, c’est tout.
Béatrice Nicodème est autrice.
Bibliographie sélective :
- L’Inquiétant Mister W, Gulf Stream Éditeur (2019).
- Série L’anneau de Claddagh, Gulf Stream Éditeur (2015-2019).
- Il n’est si longue nuit…, Gulf Stream Éditeur (2018).
- Série Futékati, Gulf Stream Éditeur (2017).
- Série Wiggins, Syros et Gulf Stream Éditeur (1992-2017), que nous avons chroniqué ici et là.
- Eh bien, dansez maintenant !, Nathan (2015).
- D’un combat à l’autre, Nathan (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Vous ne tuerez pas le printemps, Gulf Stream Éditeur (2014).
- Mais que fait la police ?, Gulf Stream Éditeur (2012).
- Les gentlemen de la nuit, Gulf Stream Éditeur (2010).
- La rue des mystères, Hachette Jeunesse (2009).
- La malédiction de la Sainte-Chapelle, Hachette Jeunesse (2009).
- Série Europa, avec Thierry Lefèvre, Nathan (2007-2009).
- Ami, entends-tu…, Gulf Stream Éditeur (2008).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !