Aujourd’hui je vous propose une interview de Cécile Bergame qui vient de sortir Rouli Rouli Roulette chez Didier Jeunesse. Ensuite, on se glissera dans l’atelier de l’autrice-illustratrice Aurore Damant, qui vient d’adapter en BD de second tome de la série Les cousins Karlsson, afin de voir comment elle crée.
L’interview du mercredi : Cécile Bergame
Pouvez-vous nous présenter Rouli Rouli Roulette qui vient de sortir chez Didier Jeunesse ?
C’est l’histoire d’un petit pois épris de liberté. Il fait le choix de son propre destin. C’est une vraie aventure de vie à partager avec les tout-petits.
L’idée était que l’enfant puisse cheminer dans des paysages divers avec ce petit pois intrépide qui part à la découverte du monde. J’avais envie dans cette histoire de convoquer le champ lexical qui se rapporte à l’action de manger, afin que le lecteur ou celui qui écoute l’histoire puisse aussi se régaler du bon goût des mots. Dans cette histoire, les animaux ont très envie de manger le petit pois. C’est l’occasion pour le lecteur ou l’auditeur, faute de croquer le petit pois, de manger et de se délecter des mots.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
J’observe beaucoup les enfants, c’est une source d’inspiration inépuisable. J’aime les regarder dans leur rapport au monde, attraper leur regard poétique. Je les remercie infiniment pour ces trésors, qu’ils m’offrent souvent à leur insu.
Concernant Rouli Rouli Roulette, tout a commencé avec ce que l’on appelle un mot d’enfant. C’est mon petit garçon qui à l’époque avait 4/5 ans et qui un jour, en voyant une orange tomber du compotier où les fruits étaient disposés, s’est écrié « Regarde maman ! Une orange sauvage ! » De là l’histoire a surgi. Et puis j’avais en tête ces quelques mots de René de Obaldia dont la poésie surréaliste est un vrai délice :
« Moi j’irai dans la lune,
Avec des petits pois
Quelques mots de fortune
Et Blanquette mon oie. »
Comment passe-t-on d’un conte oral à un conte écrit ?
Bien que je sois conteuse, je m’inscris à l’origine dans une pratique artistique de l’oralité, ce que j’écris est très distinct de ce que je raconte. J’invente complètement les histoires qui sont publiées. Je ne réécris pas de contes issus de la tradition populaire. Même dans la collection Polichinelle où l’on retrouve des comptines et formulettes traditionnelles, (qui viennent souvent ponctuer le récit), l’histoire cadre qui convoque le personnage principal et la petite souris est originelle. Il se trouve que Rouli Rouli Roulette peut être considéré comme une randonnée et je suis sans nul doute très nourrie et très inspirée par les contes populaires, mais lorsque j’ai écrit ce texte je ne me suis pas dit que j’allais écrire un conte de randonnée. Je suis vraiment partie de cette belle image du petit pois sauvage qui ne veut pas faire comme les autres. Évidemment, la question de la répétition est pour moi (qui m’adresse aux tout-petits) une donnée importante.
Intervenez-vous sur le travail des illustrateur·rices ?
Concernant la collaboration avec l’illustratrice ou l’illustrateur, je ne suis pas en lien direct avec eux. C’est en général l’éditeur qui fait le choix de la personne qui illustrera le texte. Il m’arrive, mais toutefois assez rarement de faire une remarque à propos d’une image qui semble trahir, un ou plusieurs points, relevant du sens du récit. En général je ne rencontre pas les illustrateurs. Par exemple pour Rouli, Rouli, Roulette je rencontre pour la première fois Magali Attiogbé les 13 et 14 novembre prochains au salon du livre et de la BD « la Bulle d’Or » dans le Rhône. Il m’est arrivé une fois, et ce avec l’éditeur Lirabelle, de choisir l’illustratrice avec qui je souhaitais travailler.
Vous avez sorti plusieurs albums chez Didier Jeunesse, pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec cette maison d’édition ?
J’ai rencontré Michèle Moreau, la directrice de Didier Jeunesse, il y a un peu plus de 15 ans. Elle m’a fait très vite confiance et cela a été très encourageant pour la jeune autrice que je n’étais pas encore. Plus tard, nos passions communes nous ont permis de nous réunir afin d’animer ensemble des temps d’échanges autour des tout-petits, de l’album et du récit en général. Aujourd’hui, je travaille en étroite collaboration avec Servane Guiho qui est l’éditrice petite enfance et album. Nous nous appelons régulièrement, et je ne manque pas de lui parler de mes projets. Elle porte toujours une attention particulièrement avisée et pertinente sur ce que je lui présente ; c’est toujours très éclairant pour moi. Nous ne parlons pas que de livres d’ailleurs, mais aussi de la vie tout simplement et cela est important pour moi. L’équipe a été très présente et très à l’écoute pendant cette difficile période de crise.
Parlez-nous de votre parcours
J’ai toujours été fascinée par les images, que ce soit la photo, le dessin ou le cinéma. J’étais entre autres impressionnée par les images bien léchées de la publicité. J’ai donc fait des études de pub. Mais quand j’ai commencé à travailler dans une agence de pub, je me suis vite rendue compte que ce n’était pas mon endroit. Je me suis retrouvée plus tard assistante de production chez Canal +, mais là aussi j’ai vite déchanté, j’avais besoin de côtoyer l’art véritable et aussi des artistes. J’ai durant mon enfance et adolescence beaucoup dansé. J’avais besoin de vibrer, de m’inscrire dans un geste artistique. C’est comme ça qu’un jour le conte est venu à moi, et j’ai compris à ce moment-là que j’avais quelque chose à y faire. Aujourd’hui, je raconte toujours et je suis loin d’être lassée, bien au contraire, c’est toujours presque comme une première fois quand je me retrouve devant un public, à chaque fois différent. Mon travail a bien sûr évolué, je me suis essayée au gré des rencontres et des envies à élaborer des formes artistiques diverses. J’ai trouvé à travers la pratique de cet art le délice de l’image mentale. Plus tard, j’ai commencé à être publiée, puis à former des personnes qui souhaitaient raconter aux tout-petits.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Enfant, j’ai adoré lire et relire les Contes du chat perché (les bleus et les rouges) de Marcel Aymé. J’aimais beaucoup Roald Dahl, la BD Philémon, et les Spirou. Un des albums qui m’a le plus marquée, c’est Marlaguette de Gerda Muller et aussi La Chèvre de monsieur Seguin. J’ai beaucoup lu et relu également la comtesse de Ségur, ses contes de fées, entre autres et Un bon petit diable. Adolescente, je me suis jetée à corps perdu dans la littérature fantastique du XIXe, entre autres. Je lisais aussi beaucoup de BD. J’aimais et j’aime toujours d’ailleurs ce qui est étrange et troublant, j’aime avoir peur et ne pas tout comprendre quand je traverse un récit. J’ai découvert, adolescente, Julien Green qui est un de mes auteurs favoris.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Dernièrement, Didier jeunesse a retenu un de mes projets. J’ai souhaité dans ce récit, évoquer quelque chose d’important pour moi, il s’agit de notre capacité à être attentif à l’autre, manifester son empathie, exprimer sa gentillesse (je sais que les petits y sont sensible), mais je n’en dis pas plus. Par ailleurs, j’ai présenté également un septième manuscrit qui rentrerait dans la collection Polichinelle dans ce que l’on appelle aujourd’hui les Contes de la Petite Souris. Il est question dans ce dernier récit d’un petit lapin qui part faire une grande lessive au bord de la rivière.
Bibliographie sélective :
- Rouli, rouli, roulette, album illustré par Magali Attiogbé, Didier Jeunesse (2021).
- Où tu lis, toi ?, album illustré par Magali Dulain, Didier Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Les contes de la petite souris. Oh hisse petit escargot !, album illustré par Cécile Hudrisier, Didier Jeunesse (2018).
- Hop dans la lune !, album illustré par Cécile Hudrisier, Didier Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Le gâteau de Ouistiti, album illustré par Cécile Hudrisier, Didier Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Petits Trous, album illustré par Aude Léonard, Lirabelle (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Les géants, album illustré par Yolande Six, La grande Fabrique (2009), que nous avons chroniqué ici.
- Bonne nuit petit kaki !, album illustré par Cécile Hudrisier, Didier Jeunesse (2009).
- Oh hisse petit escargot !, album illustré par Cécile Hudrisier, Didier Jeunesse (2006).
- Sur le dos d’une souris, album illustré par Cécile Hudrisier, Didier Jeunesse (2004).
Quand je crée… Aurore Damant
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Aurore Damant qui nous parle de quand elle crée.
« Comment je crée », voici un sujet qui m’a demandé une vraie réflexion. Je ne sais même pas vraiment par quel bout l’aborder ! Je crois que c’est parce que je n’y pense jamais, c’est pour moi aussi naturel que manger ou dormir.
Alors plus concrètement, je travaille seule chez moi depuis plusieurs années. J’ai mis un peu de temps à apprécier cette solitude et maintenant je ne pourrais plus m’en passer, je ressens cela comme une incroyable liberté. J’ai la chance de vivre dans une maison assez spacieuse, et j’ai un bureau séparé qui me permet d’avoir un espace de travail qui n’empiète pas sur les autres pièces. J’y passe le plus clair de mon temps, et depuis un an j’y ai aussi installé un piano. Je commence mes journées assez tard, vers 11 h, j’aime bien prendre mon temps le matin. En général je travaille entre 4 et 8 heures par jour (certains jours je ne travaille pas du tout, et très rarement le week-end), je peux être relativement dissipée pendant la journée mais être capable de fournir une grosse quantité de travail en quelques heures. Je travaille rarement le soir (je préfère regarder des séries), c’est pourtant le moment que je préfère. Tout le monde est couché autour de chez moi (la population de mon village est assez âgée !) et je suis sûre de ne pas être dérangée par des mails ou des messages. J’écoute de la musique au casque et je suis à 2000 % dans ma bulle, j’adore. Le reste du temps, en journée, quand je ne suis pas en train de composer une image (ce qui exige un minimum de concentration), j’écoute la radio, et surtout des podcasts. Mes thèmes préférés sont le féminisme et les faits divers. Ne cherchez pas de lien. J’aime aussi beaucoup les témoignages, sur tout un tas de sujets, en fait j’aime bien qu’on me raconte des histoires pendant que je crée moi-même. Je trouve cela extrêmement divertissant. Quant à l’inspiration graphique, je puise pas mal dans mon passé de dessinatrice d’animation (car à la base je viens de là, et cela se ressent beaucoup dans mon style, très influencé par les cartoons des années 50-60 et 90). J’ai également une bonne bibliothèque de livres jeunesse, qui va des « Little Golden Books » des années 50 aux ouvrages d’aujourd’hui. Je suis également beaucoup de comptes d’illustrateur.ices sur Instagram. C’est une sorte d’hygiène de vie, tous les matins en déjeunant je nourris mon ventre et mon imaginaire (je ne m’autorise Instagram que le matin au petit dèj sinon ça serait un gouffre temporel).
Mon objectif dans la vie c’est de continuer à dessiner autant que j’en ai besoin, et même si parfois j’ai envie d’écrire mes propres histoires, la plupart du temps je m’épanouis dans les projets que les éditeur·ices me proposent. C’est très rare qu’on me bride, en général on me laisse carte blanche. Certains projets me tiennent évidemment plus à cœur, mais globalement j’aime tous les personnages que je crée graphiquement. Et comme je fais beaucoup de séries, j’ai constitué plein de petits univers qui m’accompagnent pendant plusieurs années, je trouve ça réconfortant et chaleureux. Par contre je vais extrêmement peu à la rencontre du public, c’est toujours une épreuve pour moi ! C’est étonnant car je considère le dessin comme quelque chose de très intime alors que les livres et les magazines que j’illustre ont pour but d’être vus/lus par un certain nombre de personnes (le plus possible, d’ailleurs). Je crois que quand l’un de mes livres sort, il se détache de moi et appartient au public, il vit sa vie et moi je continue d’avancer sur les prochains projets !
Aurore Damant est illustratrice et dessinatrice. Elle vient de publier le second tome de l’adaptation BD des Cousins Karlsson (d’après le roman de Katarina Mazetti), aux éditions Thierry Magnier.
Bibliographie sélective :
- Série Les cousins Karlsson, adaptations en BD des romans de Katarina Mazetti, Thierry Magnier (2021-2021).
- La famille Clafoutis – Pas de blinis pour le chaton !, illustration d’un texte de Mymi Doinet, Nathan (2021).
- Série La famille royale, illustration de textes de Christophe Mauri, Gallimard Jeunesse (2016-2021).
- Les filous du CP, illustration de textes de Mr Tan (2015-2021).
- Le renard et le poulailler, illustration d’un texte de Guillaume Meurice, Michel Lafon (2020).
- La forêt enchantée, illustration d’un cherche et trouve, Langue au chat (2020).
- Le chevalier Corentine, illustration d’un texte de Marc Cantin et Isabel, Milan (2020).
- Série Bienvenue à Filouville, illustrations de textes de Mr Tan, bayard Jeunesse (2018-2019).
- Qui est le coupable à la cantine ?, illustration d’un texte de pascal Prévôt, Milan (2019).
- Un troupal de chevals, illustration d’un texte d’Anne Schmauch, Rageot (2018).
- Jason et la Toison d’or, illustration d’un texte d’Agnès Cathala, Milan (2017).
- Hercule, chat policier : sur la piste de Brutus, illustration d’un texte de Christian Grenier, Rageot (2016).
- Le prince masqué, illustration d’un texte d’Anne Didier et Olivier Muller, Bayard (2013), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Aurore Damant sur son site et sur son compte Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !