Aujourd’hui, on reçoit Cécile Elma Roger, dont l’album En allant chez Papi vient de paraître au Seuil Jeunesse. Elle est l’invitée de l’interview. Ensuite, c’est l’autrice et illustratrice Jeanne Macaigne qui est l’invitée de Véronique Soulé pour sa rubrique (sonore !) Du tac au tac qu’elle réalise pour nous une fois par mois à l’occasion de la parution de L’homme sans paysage, dont le texte est signé Mo Abbas, sorti au Port a jauni.
L’interview du mercredi : Cécile Elma Roger
Pouvez-vous nous parler de En allant chez Papi, votre album qui vient de paraître au Seuil Jeunesse ?
En allant chez Papi est une déambulation onirique à la Alice aux pays des merveilles. Tous les mercredis après-midi, Brunette va chez son grand-père, ils jouent et mangent des crêpes. Autant dire que pour Brunette, ces après-midis sont très attendus. Or ce mercredi-là, le père de Brunette n’a pas le temps de l’y emmener, elle devra rester à la maison. Rater les crêpes de Papi ? Pour Brunette ce n’est pas négociable. Elle décide d’y aller quand même. Toute seule, en cachette. Et, évidemment, elle va se tromper de chemin, sinon ça n’aurait aucun intérêt, n’est-ce pas ? À partir de là, à chaque nouvelle double page, Brunette va faire d’étonnantes rencontres. Mais sans jamais en être spécialement étonnée. Sans jamais s’en effrayer, non plus. Brunette accepte tranquillement d’échanger avec ces êtres décalés, puis continue sa route. À mes yeux, c’est l’expression d’une certaine tranquillité liée à l’enfance, cette petite voix qui nous chuchote que tout est possible, que tout existe. Pourquoi s’effrayer de voir un Lion attablé en terrasse, surtout s’il est végétarien ? Pourquoi s’étonner de tomber sur des Chenilles absorbées par une partie de poker, surtout si elles nous invitent à nous joindre à la partie ? Tout est à la fois étonnant, surprenant, magique et absolument normal. Brunette ne s’installe nulle part, ne reste ni avec le Lion, ni avec le Tilleul, ni avec les Chenilles, ni avec les Gouttes de pluie — toutes et tous sont doués de parole. Ce n’est pas qu’elle n’en a pas envie, elle est même ravie d’échanger avec ce petit monde, mais elle a un objectif important, ne l’oublions pas, dont elle ne se laisse jamais détourner : rejoindre son Papi et manger des crêpes avec lui ! Je crois que l’enfance, c’est parfois cette évidence-là, cette simplicité-là, aussi. Brunette peut croiser n’importe quel personnage stupéfiant, tout à fait inhabituel, non seulement elle n’en a pas peur, mais ça ne lui fera pas non plus changer d’avis : se régaler des crêpes de Papi ! Ce texte serait-il aussi une ode à la gourmandise ? (rires)
Comment s’est passée la collaboration avec Arno Célérier qui a fait le magnifique travail d’illustration en volume sur ce livre ?
J’ai la grande fierté d’avoir embarqué Arno dans notre petit bateau. Mon éditrice aimait beaucoup l’histoire, et elle avait l’intuition qu’il fallait lui donner une forme particulière, moins classique que l’album. C’est elle qui a eu la formidable idée d’en faire un livre pop-up. Malheureusement, elle n’avait pas de nom d’illustrateur ou d’illustratrice en tête, ni le temps d’en chercher, c’était une période très chargée pour elle. Le projet était sur pause, en quelque sorte. Mais son idée a germé dans ma tête. Alors, comme Brunette, je suis partie à la recherche d’un partenaire, toute seule, mais je ne me suis pas trompée de chemin. Quelque temps après, par un heureux hasard, j’ai pensé à Arno — sans savoir qu’il s’était reconverti dans l’ingénierie papier. J’ai simplement pensé à lui, je voulais savoir ce qu’il devenait (je l’avais croisé, enfant, car il a illustré quelques albums de ma mère [l’autrice Marie-Sabine Roger, NDLR] et j’adorais son travail de l’époque). J’ai tapé son nom sur Google, et ô mystère de la synchronicité, non seulement Arno travaillait toujours en tant qu’illustrateur, mais en plus, il faisait désormais exclusivement du livre pop-up. Comment ne pas croire en la magie, après ça (rires). Je lui ai écrit le jour même, il a gentiment accepté de lire mon texte, puis, quelques semaines plus tard, il a décidé de me suivre dans ce pari fou. Notre éditrice était très contente que je lui propose Arno, elle adorait déjà son travail et souhaitait travailler avec lui un jour. La synchronicité, vous dis-je.
Ensuite, Arno a vogué de son côté. J’ai simplement adapté deux ou trois détails dans le texte, pour assurer une cohérence avec ses illustrations (il y avait initialement une scène qui se passait en intérieur et Arno souhaitait que tout se passe dans la nature). Nous avons échangé de temps en temps, il me demandait aussi mon avis sur le travail en cours. Mais comme j’étais ravie, c’était facile !
Avant l’été vous avez sorti un autre très bel album toujours au Seuil Jeunesse, Le grand déménagement, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J’ai écrit ce texte à la manière d’un poème. Je me suis demandé ce qu’il était nécessaire d’emporter avec soi, un jour de déménagement. Quel est le plus important ? Si cette liste commence de façon tout à fait banale, elle dérape assez rapidement — sinon, là encore, ça n’aurait aucun intérêt —, et tombe dans le fantasmagorique le plus absolu.
L’enfant embarque ses livres, ses jouets, son doudou, jusque-là, rien d’étonnant. Mais progressivement, il élargit le champ des possibles. Alors, il emporte également le chien du voisin, le cerisier du jardin, la balançoire du parc, la colline d’en face, la lune. Tout ce qu’il aimait vraiment, en somme.
Je comprends souvent après coup ce que j’ai voulu écrire. J’ai un vrai temps de décalage, avant que tout s’éclaire. Au-delà de la poésie des images engendrées par cette liste, j’ai certainement voulu rappeler qu’un jour de déménagement, il était possible d’emporter tout son univers avec soi. Une partie sous forme d’objets, une autre sous forme de souvenirs.
Comment naissent vos histoires ?
Je ne suis pas sûre d’avoir parfaitement compris le processus créatif. Mais je pense voir d’où viennent les ingrédients, les petits « bouts de trucs » qui allument le moteur, me donnent des envies d’écriture. Ce sont des points de départ (je n’ai jamais d’idée d’histoire sortie d’un bloc, comme ça, paf). Ils viennent de mon vécu assez souvent, du vécu des autres (proches ou pas, mais ma nièce m’a inspiré deux albums), de sujets de société qui me concernent (l’environnement, la violence sociale). Je retiens parfois une phrase, une situation, une remarque, une réflexion qui me touchent. Je garde ces bouts d’idées au chaud, dans mes notes. Un jour, l’une ou l’autre de ces notes devient un texte fini. Parfois assez vite, parfois — et c’est le plus fréquent — longtemps après. Mes histoires naissent de petits points de départ, qui peuvent être bien éloignés de la forme finale et qui ne resteront parfois qu’un détail dans le texte global. Elles naissent d’une étincelle ! Il faut largement les alimenter, ensuite, pour entretenir la flamme. D’ailleurs, certaines s’éteignent, mais ça n’a rien d’inquiétant.
Est-ce que vous lisez de la littérature jeunesse ou faites-vous partie de ceux/celles qui ont peur que ça influence leur travail ?
Oui, bien sûr, je lis parfois de la littérature jeunesse. En tout cas, des albums (je lis très peu de littérature dite « ado »). Ils peuvent justement être de formidables sources d’inspiration. Je ne crains pas l’influence, car si elle doit advenir, ça ne peut être que vertueux. Je veux bien me sentir influencée, si cette influence me tire vers le haut, me stimule, ouvre mes possibles. La lecture façonne l’imaginaire, c’est une nourriture indispensable, à mes yeux. Je recommande toujours aux enfants de lire, s’ils veulent écrire. Pour moi, lecture et écriture ne vont pas l’une sans l’autre. Je n’ai pas le souvenir qu’un livre m’ait déjà donné une idée d’histoire. En revanche, j’ai déjà retrouvé le goût de l’écriture grâce à des livres. Ou certains livres m’ont donné envie de tester d’autres façons d’écrire ou de construire un texte. Ces livres « moteurs » sont des cadeaux que nous offrent nos pairs.
Quand nous avons interviewé votre mère (l’autrice Marie-Sabine Roger), elle nous a dit qu’elle vous faisait lire ses manuscrits. Faites-vous de même ?
Oui. Lorsque j’ai fini un texte, j’ai à la fois très envie de le faire lire au monde entier et un peu peur d’essuyer des remarques désagréables. Il est encore trop tôt pour les critiques, j’ai d’abord besoin d’un regard pertinent, expert, mais aussi bienveillant. Ma mère sait m’apporter ça. Elle a l’expertise et la subjectivité qu’il faut pour voir en mes textes ce qu’ils portent de beau, de bien (rires). J’ai besoin d’encouragements, à ce stade, et elle sait me l’apporter.
En plus d’être autrice, vous êtes comédienne. Est-ce que cette autre casquette a une influence sur votre écriture, par exemple sur l’oralité de vos textes ?
Oui, certainement. J’ai un parcours au théâtre, j’ai lu et appris des textes particulièrement rythmés (de Lagarce à Racine, pour citer les plus connus, si la langue est différente, l’exigence de la musicalité, du rythme est similaire). J’aime que les textes se révèlent à l’oral, qu’on ait envie de dévorer les mots, qu’on sente les voyelles rouler sur la langue, les consonnes ricocher sur les dents !
Je ne fais plus de théâtre, j’ai joyeusement tourné le dos à ce métier. Mais j’enregistre des textes en studio (on appelle ça « voix off ») et je donne des lectures à voix haute à l’occasion d’évènements littéraires. Ce sont, encore et toujours, des postures de comédienne. Et en lecture comme au micro, la clarté de la diction, le sens de la prononciation et de la musicalité des mots, la question du rythme, sont essentiels. J’adore les ressentir, les dire. Et j’aime tout autant les écrire et m’en amuser dans mes propres textes. Je suis très attentive au rythme de mes phrases, de mon texte.
Parlez-nous de votre parcours.
Quelle vaste question ! Pour faire court, j’ai grandi dans le sud de la France. J’ai suivi un long parcours universitaire, dans lequel j’ai accumulé des diplômes en sociologie, psychologie sociale, jusqu’à un master 2 en édition du livre. Je suis « montée à Paris », comme on dit. D’abord pour des stages dans deux maisons d’édition, puis, après quelques mois d’errance, pour me former au métier que je rêvais de faire alors : comédienne. J’y ai consacré dix ans de ma vie.
En 2015, j’ai aussi repris l’écriture (que j’avais laissée de côté depuis mes… 12 ans !). En 2019, un an avant le confinement, mes trois premiers albums ont vu le jour. 2020 m’a permis de faire le tri. Le théâtre ne me convenait plus, l’écriture me faisait quelques clins d’œil. Possible qu’on n’échappe pas à son destin ! Désormais mon activité principale tourne autour de l’écriture. J’écris, je suis invitée sur des salons du livre et je rencontre des enfants en classe.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Claude Ponti a éclairé ma toute petite enfance avec L’album d’Adèle. Ma grand-mère me l’avait offert pour mes 2 ans, ça a été ma première grande révélation littéraire (même s’il n’a pas de texte. Peut-être même que ce détail m’a poussé à me raconter mes propres histoires). Plus tard, j’étais une grande adepte de Roald Dahl, que je continue de considérer comme un des meilleurs auteurs de littérature jeunesse des 20e et 21e siècles (pas fan du tout !). Il y a tout, la magie, la méchanceté, la cruauté, l’humour, la poésie, la tendresse. Dosée comme il faut, une belle représentation de l’enfance. Je lisais aussi des bandes dessinées, comme Les Schtroumpfs, Cédric, Le Petit Spirou. Plus tard encore, déjà grande ado, j’ai eu ma période « classiques de la littérature jeunesse » : Pinocchio, Le Voyage de Gulliver, Alice aux pays des merveilles et j’en passe. Ces œuvres, dans leur version originelle, sont passionnantes, profondes, parfois noires et d’une grande philosophie. Il y a bien sûr eu Harry Potter et Le Seigneur des anneaux. Ou Ray Bradbury. Je lisais de tout, tous les jours. Peu en quantité, car je lis assez lentement — quel dommage —, mais comme c’était quotidien, beaucoup d’ouvrages me sont passés entre les mains, dont pas mal que j’ai oubliés. Je dois aussi citer Forrest Carter, notamment Petit Arbre et Pleure Géronimo. Et un livre qui m’a tirée d’une période difficile, vers l’âge de 15 ans : Life is so Good, de Goerges Dawson, un ancien esclave qui raconte son parcours et qui a appris à écrire à 98 ans.
De nouveaux livres en préparation ?
Oui ! Je n’ai pas de frontière, illustré par Romain Lubière, paraîtra le 15 novembre aux toutes jeunes éditions Athizes ! Deux autres albums paraîtront en 2025 aux éditions Nathan. L’un d’eux sera illustré par Marjorie Béal : On a volé Doudou-Fraise, à paraître le 6 février 2025. Pour l’anecdote, je vais également en enregistrer la version audio ! L’autre, dont le titre n’est pas encore définitif, sera illustré par Stéphane Nicolet (à paraître à l’automne 2025). J’ai récemment découvert les premiers crayonnés de Stéphane, cet album va être explosif !
Bibliographie sélective :
- Je n’ai pas de frontière, album illustré par Romain Lubière, Athizes (à paraître le 15 novembre).
- En allant chez Papi, album illustré par Arno Célérier, Seuil Jeunesse (2024), que nous avons chroniqué ici.
- Le grand déménagement, album illustré par Aurélie Castex, Seuil Jeunesse (2024).
- Ours, Baleine et NOUS, album illustré par Marjorie Béal, A2MIMO (2023).
- Toinou et petite sœur dans Il y a un loup dans la chambre de mamie et autres bizarreries nocturnes, BD, dessins Sophie Bédard, Les 400 coups (2022).
- Le jour où maman est sortie en pyjama, album illustré par Louise de Contes, A2MIMO (2021).
- L’enfant fleuve, album illustré par Ève Gentilhomme, Le Diplodocus (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Une nuit à pas de velours, album illustré par Fanny Ducassé, Seuil Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Cécile Elma Roger sur Instagram.
Du tac au tac… Jeanne Macaigne
Une fois par mois, Véronique Soulé (de l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin) nous propose la capsule sonore Du tac au tac. Avec la complicité du comédien Lionel Chenail, elle pose des questions (im)pertinentes à un·e invité·e que nous avons déjà reçu·e sur La mare aux mots. Aujourd’hui, c’est Jeanne Macaigne qui répond à ses questions.
Jeanne Macaigne est autrice et illustratrice. Le mois dernier est paru L’homme sans paysage. Battre la campagne dans lequel elle illustre les mots de Mo Abbas, l’album est sorti dans une maison d’édition qu’on aime beaucoup : Le port a jauni.
Bibliographie de Jeanne Macaigne :
- L’homme sans paysage. Battre la campagne, album, illustration d’un texte de Mo Abbas, Le port a jauni (2024).
- Un drôle de lundi, album, texte et illustrations, Seuil Jeunesse (2022).
- Changer d’air, album, texte et illustrations, Les Fourmis Rouges (2021), que nous avons chroniqué ici.
- La chose du Méhéhéhé, roman, illustration d’un texte de Sigrid Baffert, MeMo (2019).
- Les coiffeurs des étoiles, album, texte et illustrations, MeMo (2018).
- L’hiver d’Isabelle, album, texte et illustrations, MeMo (2017), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Jeanne Macaigne sur son site et sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !