J’ai beaucoup aimé le travail d’illustration d’Élise Kasztelan sur l’album Le lion et le singe (Planète Rebelle), j’ai eu envie d’en savoir plus sur cette jeune illustratrice dont c’est le premier album, elle a accepté de répondre à mes questions. Ensuite, je vous propose de vous glisser chez Flore Vesco, qui vient de sortir D’or et d’oreillers à L’école des loisirs, afin de voir comment elle crée.
L’interview du mercredi : Élise Kasztelan
Parlez-nous de votre parcours
J’ai commencé mes études en faisant une année de prépa arts-plastiques, avant d’intégrer l’Esal, l’école d’art d’Épinal dans les Vosges, dont la formation est plutôt axée illustration et design graphique. J’y ai aussi appris la sérigraphie. Je suis ensuite entrée aux Beaux-Arts de Rennes en master design graphique. Après une année douloureuse dans cet établissement, j’ai décidé de stopper mes études. Je fais quelques stages pour continuer de travailler le dessin et l’impression manuelle, et finalement je me suis installée à Caen et me suis engagée dans le milieu associatif local, en commençant à faire affiches et illustrations pour des petits évènements et en installant un atelier de sérigraphie dans le lieu où j’habite. De fil en aiguille, 4 ans plus tard, j’y suis toujours, j’ai perfectionné mon atelier et je travaille en tant que graphiste et illustratrice et donne des ateliers pédagogiques et de sérigraphie.
Pouvez-vous nous parler de l’album Le lion et le singe qui vient de sortir chez Planète Rebelle ?
Il s’agit du premier livre jeunesse publié que j’illustre, je suis assez excitée par sa sortie en France ! J’ai reçu cette proposition des éditrices après qu’elles aient vu dans mon book un projet de livre parlant de petits singes dans la forêt. J’ai donc été ravie de l’opportunité qu’offrait le texte de dessiner des animaux drôles et très expressifs. C’était aussi nouveau pour moi d’avoir un support sonore, et c’était très intéressant de traduire en images le récit oral et la voix de Franck Sylvestre.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Je m’entoure de beaucoup d’images d’ami·es artistes ou de graphistes et illustrateur·trices dont j’aime le travail, des images poétiques, drôles ou militantes féministes/lgbtqia+, je milite dans ces milieux et cela infuse dans ma manière de travailler. J’écoute également beaucoup la radio en dessinant, des émissions scientifiques, de récits, des podcasts ou les infos. Je dirais pour finir qu’une de mes principales sources d’inspiration est l’observation constante des détails et évènements de mon quotidien, des balades que je fais dans la nature Normande (ou ailleurs quand il n’y a pas de pandémie !), et les grandes discussions avec mes ami·es qui sont pour beaucoup des collègues. J’achète aussi des vieux livres dans les vide-greniers d’histoire naturelle ou scientifiques pour m’en servir comme modèles.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
Je fais d’abord un croquis de l’image que je veux réaliser, puis ensuite je dessine tous les éléments séparés en noir/gris, à l’encre de Chine, au fusain, au crayon gras, à la plume… Je crée aussi des textures et des fonds. Ensuite je scanne tout et sur Photoshop j’assemble les éléments en suivant mon croquis et les colorise. C’est un peu comme un jeu de construction.
Je me suis aperçue récemment que c’est de cette manière que je travaille les images en sérigraphie (il faut décomposer son image en couche de couleurs et ensuite travailler chaque couche en noir. Une fois ces matrices noires créées et quelques étapes, on imprime et la couleur apparaît). En tout cas même quand les illustrations ont pour vocation d’être imprimées numériquement, je les réfléchis quasiment comme si j’agençais des images à sérigraphier.
Est-ce qu’il y a une histoire que vous rêvez d’illustrer (conte ou autre) ?
Je pense à plein de choses que j’aimerais illustrer alors c’est difficile de répondre ! Mais comme je l’ai dit plus haut j’ai un engagement féministe et LGBT qui est très présent, alors j’aimerais beaucoup illustrer des histoires qui évoquent ces sujets-là. J’ai l’impression qu’on en voit de plus en plus et c’est super !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai été élevée avec les classiques du Père Castor et les livres de l’école des loisirs, ça m’a pas mal marquée comme beaucoup d’enfants !
Harry Potter est passé par là et ensuite, adolescente, j’ai lu beaucoup de sagas fantastiques, Le Clan des Otori, Le seigneur des anneaux, les livres de Philip Pullman…
Au lycée j’ai lu pas mal de mangas et je me suis prise de passion pour Haruki Murakami. J’aimais aussi les romans historiques et policiers, et j’allais lire des BD à la FNAC sur ma pause de midi !
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos projets en cours ou sur les livres à sortir ?
J’ai deux projets d’albums jeunesse, où je suis cette fois aussi à l’écriture. L’un parle de Bernard l’ermite, l’autre de maladresse. Pour l’instant je postule à des résidences et je cherche une maison d’édition. Deux livres de poésie que j’ai illustrés pour les éditions Invenit, pour adultes cette fois, devraient aussi sortir prochainement. J’ai en parallèle mon travail d’illustratrice et graphiste freelance, et en ce moment l’un des projets qui me tient à cœur, c’est la création de l’identité visuelle, à 4 mains avec le graphiste Antoine Giard, d’une librairie/Cantine/Salon de tatouage qui va ouvrir prochainement à Caen. C’est un très beau projet de lieu et je suis ravie d’y participer. J’ai aussi dans les cartons un projet d’atelier de sérigraphie portatif, pédagogique et féministe que j’aimerais mettre en place cet été.
Bibliographie
- Le lion et le singe, illustration d’un texte de Franck Sylvestre, Planète Rebelle (2021).
Retrouvez Élise Kasztelan sur son Instagram : https://www.instagram.com/elise.kasztelan
Quand je crée… Flore Vesco
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Flore Vesco qui nous parle de quand elle crée.
À l’aube de mes quarante ans, sentant soudain peser sur moi le poids des années et les articulations de mes vertèbres, j’ai entrepris de rendre mon espace de travail plus ergonomique. J’ai fait l’acquisition d’un fauteuil de bureau avec support lombaire et mécanisme basculant. J’ai surélevé mon écran, ajouté un repose-poignet et un repose-pied, mis un éclairage d’appoint, installé un logiciel qui adapte la luminosité de l’écran.
Une fois optimisé mon espace de travail, j’ai aussitôt repris mes vieilles habitudes, à savoir : écrire accroupie sur mon lit avec un plaid sur la tête, ou en tailleur sur le canapé avec l’écran sur les genoux.
Mes conditions d’écriture :
L’idée, lorsque je suis sous mon plaid, accroupie sans le moindre égard pour mes lombaires, est de me couper du monde extérieur. Pour ça, je ferme les fenêtres à double vitrage, je désactive les notifications intempestives, je mets à la porte mes nombreux amants venus chanter la sérénade sous mes fenêtres. J’ai renoncé à écrire dans le train, ayant remarqué que les parents acceptent rarement qu’une inconnue bâillonne leur bébé. Je n’écris pas non plus à l’hôtel, car ils n’ont pas un espace de travail assez ergonomique à mon goût.
Mes outils :
« Comment faites-vous pour écrire des romans d’une telle ampleur, bâtis avec la finesse, la majesté et la solidité d’une cathédrale ? » me demande-t-on souvent en salon ou quand je vais acheter du pain. La réponse est simple. Je dispose de plusieurs outils magiques.
- La liste. Elle motive à se mettre en route le matin, le but étant de la jeter en poussant le cri de la victoire à la fin de la journée. Si vous aussi, vous aimez les listes, suivez ma technique infaillible pour en venir toujours à bout : divisez tout ce que vous avez à faire en minuscules activités (ex. : « trouver le nom de l’héroïne ») et ajoutez des tâches que vous êtes sûr·e d’accomplir (ex. : « déjeuner »). Rayez avec une intense satisfaction en vous prenant pour Stakhanov. Recommencez chaque jour.
- Le énième petit carnet. Bonus si vous perdez du temps à décorer chaque page avec des jolis washi tapes au lieu de travailler. High five à tous ceux qui sont devenus snobs dans le choix de leurs carnets, comme moi, qui ne jure plus que par les Filofax (cet article n’est pas sponsorisé).
- Les trésors : j’en ai plein les cases de mon bureau. Une esperlune fabriquée par une élève de Mayenne, un rat adopté à Folie d’encre des Pavillons-sous-bois, une sorcière des librairies éponymes, des tampons offerts par les amis, et j’en passe… Je les garde sous les yeux pour me rappeler qu’à un moment, quand le marathon de l’écriture sera enfin terminé, je repartirai sur les routes, et avec un peu de chance, peut-être que je glanerai de nouveaux trésors.
Bibliographie :
- D’or et d’oreillers, roman, l’école des loisirs (2021).
- Elle est le vent furieux, collectif, Flammarion (2020).
- 226 bébés, texte illustré par Stéphane Nicolet, Didier Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- L’Estrange Malaventure de Mirella, L’école des loisirs (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Gustave Eiffel et les âmes de fer, Didier Jeunesse (2018).
- Louis Pasteur contre les loups-garous, roman, Didier Jeunesse (2016).
- De cape et de mots, roman, Didier Jeunesse (2015).
Retrouvez Flore Vesco sur son site : florevesco.com
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !