Aujourd’hui, je reçois Émilie Michaud qui a illustré La délicieuse omelette qui vient de sortir chez Didier Jeunesse, puis nous avons rendez-vous avec l’auteur Gilles Baum afin qu’il nous raconte comment il crée.
L’interview du mercredi : Émilie Michaud
Pouvez-vous nous raconter l’album La délicieuse omelette ?
C’est l’histoire d’une petite Pia (2/3 ans) à qui l’on propose de faire une omelette. Ce livre peut être le premier livre de cuisine d’un tout petit car on y suit la recette pas à pas. L’autrice, Marie Brignone, a ponctué son texte d’onomatopées qui donnent l’eau à la bouche et invitent à cuisiner.
Comment avez-vous travaillé sur cet album ?
Pour illustrer cette histoire, j’ai d’abord cherché cette petite fille pendant près d’un mois. Je piochais sur internet de jolies photos d’enfants de cette tranche d’âge et j’essayais de mixer ce que je trouvais de plus charmant chez eux pour n’en faire qu’une. Cela a nécessité plusieurs allers retours avec la maison d’édition qui a finalement tranché. J’ai ensuite éprouvé le besoin de la dessiner dans de nombreuses positions pour me l’approprier et lui donner vie.
Après cela, l’élaboration du livre s’est passée de façon assez simple. J’ai travaillé essentiellement avec la directrice artistique avec qui j’ai noué très rapidement une relation de confiance. Elle m’a contactée en janvier 2021 et je devais rendre les originaux fin septembre. Nous avions donc du temps pour bien faire les choses et nous avons pu travailler dans les détails.
En dehors de ces enfants trouvées sur Internet, qu’est-ce qui vous a inspirée pour les illustrations de cet album ?
Pour le personnage, c’est mon petit de 3 ans. J’ai la chance d’avoir un enfant pile du même âge que la petite fille que je devais dessiner et j’avoue que ça m’a beaucoup aidée.
Pour le décor c’est ma cuisine et mon jardin ! J’ai construit tout l’album sur ma table de cuisine car c’est la pièce la plus lumineuse de la maison avec une belle vue sur notre jardin. Je me suis amusée à placer plusieurs objets que mes enfants avaient plaisir à retrouver ensuite.
Je me suis aussi constitué une collection d’images trouvées sur internet. De belles cuisines chaleureuses toutes pleines d’objets avec, surtout, une belle lumière. C’est un détail très important pour moi, j’essaye de mettre de la lumière dans chacune de mes peintures. Pour cela, je suis devenue beaucoup plus observatrice que je ne l’étais avant. J’essaie de fixer dans ma mémoire les jeux d’ombre à l’extérieur comme à l’intérieur, les couleurs de la nature…
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Pour le trait je dessine à la plume et à l’encre de Chine. Pour la couleur c’est de l’aquarelle avec quelques touches de crayon de couleur. Pour le moment je n’ai pas envie d’essayer d’autres médiums car j’ai encore envie de progresser, je sens que je n’ai pas fait le tour.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je n’ai pas un parcours classique car absolument pas artistique. J’ai fait une fac de lettres modernes avec une option littérature jeunesse en licence. Plus tard j’ai passé un master pour devenir professeur des écoles et mon mémoire de recherche portait sur la littérature jeunesse et la coéducation. Je suis professeure des écoles depuis une dizaine d’années.
Parallèlement j’ai toujours dessiné. Depuis l’école primaire et jusqu’à aujourd’hui, j’ai besoin de me retrouver seule face à une feuille blanche. Je suis une personne de nature assez angoissée et le dessin me permet de me détendre.
Puis, j’ai essayé de lier ma passion pour le dessin et mon intérêt pour la littérature jeunesse. Je me suis créé un blog où je publiais régulièrement mes productions. Cela m’a permis d’entrer en contact avec des autrices et mes premières collaborations ont commencé. J’ai été publiée dans un style totalement différent de ce que je fais maintenant car je me suis beaucoup cherchée graphiquement. Comme je n’ai jamais pris de cours de dessin, trouver le bon médium et réussir à me détacher des artistes que j’admire m’ont pris du temps. Et puis il y a eu dans mon parcours de longues pauses avec la naissance de mes deux enfants. Durant ces pauses j’ai cessé de dessiner mais je me suis nourrie de belles images, de magnifiques albums, j’ai observé davantage la nature. Je suis convaincue d’avoir progressé pendant ces deux pauses.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai eu la chance de faire partie de ces enfants abonnés à L’école des loisirs. Durant mes années d’école primaire je recevais chaque mois un album, il en a été de même pour ma sœur et mon frère. Nous avions à nous trois une belle bibliothèque. Les albums qui m’ont le plus marquée sont Un jour affreux ou L’œuf de Pâques de James Stevenson. Ce sont mes toutes premières BD avec aussi la série de Corbelle et Corbillo d’Yvan Pommaux. Et puis cet album, L’arme secrète de Ralph de Steven Kellogg, qui fourmillait de détails et qui me fascinait. Les albums de la famille souris de Kazuo Iwamura ont aussi bercé mon enfance. À Noël, nos parents nous offraient de beaux livres de contes qui m’ont suivie jusqu’au collège. Les contes d’Andersen, de Perrault ou les Contes de la rue Broca de Pierre Gripari illustrés par Claude Lapointe ont été mes lectures pendant des années.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire actuellement ?
Il y en a tellement ! Je suis en admiration devant les dessins de Gilles Bachelet. J’adore le trait de Ronan Badel, les aquarelles de Juliette Lagrange et absolument tous les livres de Camille Jourdy.
Est-ce qu’il y a un conte ou une thématique que vous rêvez d’illustrer ?
J’ai plein d’envies mais j’affectionne particulièrement le thème de la forêt. J’adore dessiner les arbres, il n’y a rien de plus apaisant pour moi. Je me suis d’ailleurs amusée à faire toute une série sur ce thème et j’y ai pris beaucoup de plaisir.
Travaillez-vous actuellement sur un nouvel album ?
Je viens d’illustrer un texte de Maylis Daufresne et nous nous apprêtons à proposer notre projet aux éditeurs.
J’ai également deux projets d’album, un chez Didier Jeunesse et un autre chez Minédition. Mais pour l’instant je ne peux pas en parler car nous n’en sommes qu’au tout début.
Bibliographie :
- La délicieuse omelette, illustration d’un texte de Marie Brignonne, Didier Jeunesse (2022).
- Cache-cache partie, illustration d’un texte de Catherine Latteux, ZTL (2017).
- Le devoir bizarroïde, illustration d’un texte d’Anne loyer, Les petits pas de Ioannis (2012).
- Dagobert et sa famille à l’envers, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, La souris qui raconte (2011).
Retrouvez Émilie Michaud sur son site et sur son compte Instagram.
Quand je crée… Gilles Baum
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Gilles Baum qui nous parle de quand il crée.
Quand je crée, bien souvent je suis contraint de m’arrêter au bord de la route.
Les idées aiment à fuir mon bureau, elles préfèrent la douche, le café, le vélo, elles surgissent soudain de la radio, un mot qui ferait titre, un drame qu’il faudrait partager en l’habillant d’une histoire, en lui offrant la lumière d’une autre fin.
Et si je suis au volant alors il faut enclencher le clignotant, frotter le trottoir, saisir le téléphone pour figer trois mots avant qu’ils ne s’échappent ou pire, les lui dicter, parler à la machine comme un imbécile avec le moteur qui tourne au mépris du code de la route, du code pénal, gangster en cavale.
Quand je crée, c’est illégal.
Quand je crée, bien souvent je réponds à des questions que je n’ai même pas entendues.
Mon corps fait présence dans la maison, j’attrape d’une main une fourchette, de l’autre le duralex qui m’indique qu’au fond j’ai 7 ans alors je cherche la carafe d’eau pour mes enfants qui racontent leur journée. Honte sur moi, je passe à travers, je hoche la tête, j’attrape des mots qui me permettront plus tard de reconstituer l’essentiel. Ne m’en veuillez pas, pour l’heure je suis sorti chercher des allumettes chez Andersen, sur Atlantic Avenue, New York vient de plonger dans le noir.
Quand je crée, c’est immoral.
Quand je crée, j’attends la nuit pour contredire le jour, l’amender, l’adoucir.
Je recherche les écailles brillantes qu’il a égarées, je voudrais en faire des colliers.
Dans ses eaux troubles, il faut pêcher, remuer la vase, trouver les pépites, se laisser aller dans le courant. Doucement.
Tout au bout, il y a la mer. À vivre si loin d’elle, elle finit par me hanter, alors je me suis auto-proclamé capitaine d’un bateau de papier.
Quand je crée, c’est fluvial.
Quand j’écris, je laisse la porte entrouverte.
Par-dessus les mots, je rêve d’accueillir des images alors j’efface tout ce qui n’est pas nécessaire, je leur laisse la place et j’espère qu’ils me rejoindront bientôt, ces gens que je jalouse, ces gens que j’envie, ces gens qui dessinent. Je sais que leur regard est étonnant, qu’ils m’aideront à avancer, qu’ils me hisseront sur leurs épaules pour voir plus loin comme on fait la courte échelle à un copain. Je les attends depuis le premier instant, ils ont de la magie dans les mains.
Quand j’écris, c’est collégial.
Quand j’écris, parfois je touche le Graal.
Je sens que les mots ont trouvé un chemin, qu’une émotion les a rejoints, que les lignes successives pourraient parler à d’autres, des petits et des plus grands. Alors pendant deux heures, je suis empli d’une joie intense, d’une énergie folle, je suis content, insouciant, hilare.
Dans la province canadienne de Colombie-Britannique, à l’ouest de Fort Nelson, vit un trappeur capable de construire un feu dans ses mains ; il prétend qu’un jour il m’aurait vu dans cet état second plus de 6 heures durant. Mais il ne faut pas croire tout ce qu’on lit.
Quand j’écris, je m’emballe.
Quand j’écris, je me répète qu’un texte peut être le dernier, je ne voudrais pas être surpris.
Comme c’est venu, ça repartira ; un jour je n’aurai plus la chance de faire des livres.
Trimballer partout mon syndrome de l’imposteur n’a pas été aisé, mais j’ai réussi à faire de cette seconde peau une deuxième ombre qui m’accompagne désormais à distance, plus légère. Il suffisait de se parler, de se mettre d’accord, depuis on ne s’en sort pas si mal tous les trois. On avance vers la guérison.
Quand j’écris, c’est médical.
Quand j’écris, parfois je n’écris pas.
C’est le grand désert, la vaste plage sans la mer, les horizons se ressemblent tous et aucun ne m’appelle ; je reste bête, je reste coi. Muet des mains, vidé du cœur à la tête, comme ces poissons sur la glace qui ne diront plus rien des vagues.
Alors les jours de sécheresse je retourne dans les bras de Calaciura, de Sepúlveda,
je retrouve les mots de Claudel, ceux de Baricco,
j’écoute Gaëlle Josse de longues heures silencieuses.
Quand je n’écris pas, je touche au génial.
Alors je finis par y retourner, comme je peux.
Quand je crée, je cherche des équilibres.
Je passe d’un pied sur l’autre, rarement dans le rythme,
mais ça me fait danser.
C’est déjà ça, je prends, c’est vital.
Quand j’écris, c’est bancal.
(illustrations de Hugues Baum)
Gilles Baum est auteur. Il sort aujourd’hui même Au marché des bambini, un album illustré par Amandine Piu aux éditions Gautier Languereau.
Bibliographie sélective :
- Au marché des bambini, album illustré par Amandine Piu, Gautier Languereau (2022).
- Rue de la peur, album illustré par Amandine Piu, Amaterra (2021).
- Si loin de Noël, album illustré par Thierry Dedieu, Seuil jeunesse (2021).
- Kumiai. Le dragon et le bambou, album illustré par Yukiko Noritake, Albin Michel Jeunesse (2021).
- Mon Cher ennemi. Correspondance entre un lapin et un renard, album illustré par Thierry Dedieu, Seuil Jeunesse (2021).
- Le nombril, album illustré par Sébastien Chebret, Frimousse (2020).
- Fechamos, album illustré par Régis Lejonc, Les Éditions des Éléphants (2020).
- Le secret du clan, album illustré par Thierry Dedieu, HongFei (2020).
- Maløk, album illustré par Rémi Saillard, Gautier Languereau (2019).
- Furio, album illustré par Chiara Armellini, Les éditions des éléphants (2019), que nous avons chroniqué ici.
- La nuit des géographes, roman, Amaterra (2019).
- Mon grand-père s’efface, album illustré par Barroux, Albin Michel Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Palmir, album illustré par Amandine Piu, Amaterra (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Le piège parfait, album illustré par Matthieu Maudet, Seuil Jeunesse (2017).
- D’entre les ogres, album illustré par Thierry Dedieu, Seuil Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le grand incendie, album illustré par Barroux, Les éditions des éléphants (2016).
- Camille est timide, album illustré par Thierry Dedieu, Seuil Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Pousse Piano ou la symphonie des nouveaux mondes, album illustré par Rémi Saillard, Le Baron Perché (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Série La nature te le rendra, albums illustrés par Thierry Dedieu, GulfStream Éditeur (2012-2014), que nous avons chroniqué ici et là.
- Un royaume sans oiseaux, album illustré par Thierry Dedieu, Seuil Jeunesse (2013).

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !