Aujourd’hui, on reçoit d’abord l’autrice-illustratrice Fanny Dreyer qui vient d’illustrer le magnifique Collections publié par La Partie. Puis c’est un auteur qu’on aime beaucoup à La mare aux mots, Till the Cat, qui est l’invité de la rubrique Quand je crée.
L’interview du mercredi : Fanny Dreyer
Pouvez-vous nous parler du magnifique album Collections sorti chez La partie ?
Collections brosse le portrait de sept enfants et de leurs collections respectives, et d’un adulte, l’artiste Christian Boltanski, collectionnant les battements de cœur. Au fil du livre et des saisons, on fait la connaissance d’Omar qui collectionne les trésors de l’automne, Cléo qui collectionne les représentations de mains, Lise les cheveux, Suzanne les pierres, Pio les fleurs, Louise les coquillages et Bastien les galets. Toutes ces collections font battre leur cœur pour des raisons diverses.
Comment avez-vous travaillé sur l’illustration du texte de Victoire de Changy ?
Victoire et moi sommes amies depuis très longtemps. Lorsque Victoire m’a proposé de travailler ensemble sur un album jeunesse, je lui ai suggéré de partir du thème des collections (sujet qui me tient à cœur depuis très longtemps). Cette proposition a tout de suite raisonné chez elle (nous sommes toutes les deux collectionneuses dans l’âme). Dans un premier temps, nous nous sommes partagé énormément de références, d’images, de textes, d’information scientifique, tout ce qui pouvait documenter de près ou de loin avec notre sujet. Nous avons également décidé de placer nos collections personnelles dans le livre (petite, je collectionnais les pierres et j’ai une appétence pour les petits chevaux — Victoire collectionne les représentations de mains). Nous avons imaginé ensemble la structure du livre, le découpage en chapitres correspondant aux jours de la semaine, nous avons défini les collections et leur ordre pour évoquer le changement des saisons, et Victoire est arrivée avec l’idée de cette dernière collection qui boucle le livre et qui m’a tout de suite conquise. Une fois cette structure en place, Victoire s’est mise à écrire les différents chapitres, elle me les envoyait au fur et à mesure, c’était une vraie joie de découvrir chaque histoire. Je me suis ensuite emparée du texte pour commencer la mise en images, dans un premier temps sous la forme de crayonnés assez précis puis, après quelques essais en couleur, j’ai démarré les images du livre. Plutôt que de travailler les images chronologiquement, j’ai travaillé par chapitre, en illustrant plusieurs images simultanément.
Quelles techniques d’illustration avez-vous utilisées ici et quelles autres techniques utilisez-vous pour vos autres projets ?
Je travaille de façon « traditionnelle » sur papier. J’ai toujours du mal à me limiter à un seul médium, mais j’essaie cependant de garder une ligne directrice en définissant ma gamme colorée pour l’ensemble du livre. Pour Collections, j’ai travaillé à l’acrylique et aux crayons de couleur pour les paysages, aux feutres pour les personnages et en papiers découpés pour certaines collections. Venir découper dans la matière et jouer avec les contreformes me permettait d’évoquer la trace ou l’empreinte laissée lorsque l’on vient prendre quelque chose dans la nature. Cette notion était importante à mes yeux et par le jeu du découpage j’ai pu la symboliser graphiquement. Pour mes précédents livres, j’ai travaillé à peu près de la même façon. Pour La Colonie de Vacances, j’ai beaucoup utilisé les feutres, le papier découpé n’était pas présent mais pour La Poya, au contraire, il était très présent, car ce livre évoque une tradition populaire suisse, une imagerie de la montée à l’alpage qui est souvent représentée en papier découpé. Pour Moi, canard l’aquarelle et le papier découpé étaient dominants, car il était question d’inventaire et de collections en quelque sorte. En résumé, c’est souvent le sujet de l’album qui me mène vers une technique ou une autre.
Comment choisissez-vous vos projets ?
J’ai eu tendance plus jeune à accepter beaucoup et à regretter ensuite. À présent, je fais des choix plus réfléchis, il faut que les projets proposés soient stimulants, qu’il y ait une part de défi à relever, mais, surtout, je choisis des projets qui me permettent de travailler avec des personnes bienveillantes et que j’estime. En édition, je n’accepte plus de commande. Je souhaite travailler sur des projets personnels, que ce soit en tant qu’autrice-illustratrice ou en équipe, mais toujours bien accompagnée.
Parlez-nous de votre parcours.
J’ai grandi à Fribourg en Suisse, pas loin des montagnes. Depuis toute petite j’ai voulu être illustratrice jeunesse, ce désir m’a tenu tout au long de mon parcours scolaire. Après avoir obtenu mon bac, je suis partie m’installer à Bruxelles pour suivre une formation en illustration à l’Académie royale des Beaux-Arts, atelier dirigé par Anne Quévy, qui m’a beaucoup marquée et avec qui je garde de très bons contacts. Lors de ma dernière année d’études, j’ai commencé à présenter mon travail à des maisons d’édition, c’est ainsi que j’ai rencontré les éditions La Joie de Lire, qui m’ont permis d’illustrer plusieurs livres. Lorsque j’ai commencé à publier, j’ai également cofondé notre projet « Cuistax » avec mes amies Chloé Perarnau et Sarah Cheveau. Cuistax est un fanzine jeunesse et un collectif d’illustratreurices basé à Bruxelles. Et puis au fil des livres et des rencontres, les projets m’ont amenée à travailler avec d’autres maisons d’édition : Cambourakis, Albin Michel et à présent La Partie.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai toujours aimé lire, dans ma famille il y a toujours eu beaucoup de livres : des albums jeunesse, des bandes dessinées, des livres scientifiques et de la littérature classique. En plus des livres à disposition, je passais beaucoup de temps dans la bibliothèque à côté de chez moi. Petite, j’avais un goût certain pour les livres de vulgarisation scientifique : sur les pierres (justement), les mammifères, les fonds marins, etc. J’étais aussi une grande fan de Beatrix Potter, de Roald Dahl et Quentin Blake. Vers 12, 13 ans je me suis tournée vers des classiques de la littérature, au départ par défi, car j’avais de grosses difficultés en orthographe et pour me prouver que je n’étais pas « bête » je me suis mise à lire des livres dans la section adulte, par exemple tous les tomes du Comte de Monte-Cristo et À la recherche du temps perdu, mais aussi Harry Potter et Le Seigneur des anneaux, je prenais tout du moment que l’histoire était bien et que c’était bien écrit.
Actuellement, y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Il y a énormément d’illustrateurs que j’admire et dont j’adore le travail, je peux citer mes amies Sarah Cheveau, Chloé Perarnau, Loren Capelli, Amélie Fontaine et tellement d’autres talents ! Je trouve qu’il y a un vivier d’illustrateurs incroyable en ce moment. Toutefois, pour mon travail, j’évite de m’inspirer directement des illustrateurs, par crainte de ne pas digérer ces influences et de restituer la même chose en moins bien… Je me tourne principalement vers des photos de mes archives familiales ou des collections de photos anciennes. Dernièrement, j’ai beaucoup regardé les peintures des impressionnistes et les nabis. Pour Collections je me suis aussi intéressée à André des Gachon, un aquarelliste et météorologue du début du 20e qui a fait une série d’aquarelles de ciels qui sont sublimes. Les peintures de Félix Vallotton, un peintre suisse de l’école des nabis, m’ont énormément inspirée.
Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?
Actuellement je suis en train de travailler sur une grande série d’illustrations pour une nouvelle gare du Grand Paris Express, la gare Saint-Maur — Créteil. Dernièrement j’ai également travaillé sur des grandes fresques pour un nouvel hôpital en Belgique, j’ai eu la chance d’illustrer toutes les salles d’attente du secteur pédiatrique. Depuis quelques mois je travaille régulièrement pour le MUCEM à Marseille, je fais les illustrations des brochures jeunes publics. Au printemps je vais démarrer des nouveaux albums jeunesse, j’ai hâte !
Aujourd’hui, je ne passe pas une journée sans lire (romans, essais, critiques littéraires et bien sûr albums pour la jeunesse).
Bibliographie :
- Collections, illustration d’un texte de Victoire de Changy, La Partie (2023), que nous avons chroniqué ici.
- La colonie de vacances, texte et illustrations, Albin Michel Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Jour de fête, illustration d’un texte de Blaise Hofmann, La Joie de lire (2019).
- Moi, canard, illustration d’un texte de Ramona Badescu, Cambourakis (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La Poya, texte et illustrations, La Joie de lire (2015).
- La dame de l’ascenseur, illustration d’un texte d’Olivier Sillig, La Joie de lire (2014).
- Les Musiciens de Brême, illustration d’un texte des frères Grimm, La Joie de lire (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Le Mystère du Monstre, illustration d’un texte de Stéphanie-Corinna Bille, La Joie de lire (2012).
Quand je crée… Till the Cat
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour celles et ceux qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Till the Cat qui nous parle de quand il crée.
Je ne suis pas illustrateur mais j’aime me représenter mon bureau comme un atelier dans lequel tous les outils sont à ma disposition pour que la créativité s’exprime.
Dans ce bureau, il y a une foule d’objets qui participent à la conservation de mon âme d’enfant. Cette âme qui me permet de trouver les mots justes et d’imaginer les meilleures histoires possibles. J’y suis entouré de figurines, de jouets, d’illustrations et d’un joyeux bordel (même si, sur la photo, le bureau semble plutôt bien rangé).
Je considère cette pièce de la maison comme une sorte de cabane parce que c’est dans les cabanes qu’on imagine les meilleures histoires.
Mais le bureau ne fait pas tout. Pour que la magie opère, j’ai également besoin de (trop de) caféine, d’un peu de sucreries et, surtout, de la playlist musicale que j’ai spécialement conçue pour faciliter mon écriture.
Une playlist uniquement composée de 250 bandes originales de films, de séries et de quelques jeux vidéo. Des morceaux instrumentaux, sans chant, pour ne pas perturber mon cerveau par d’autres mots. Grâce aux écouteurs, cette musique me permet de m’entourer d’une véritable bulle propice à la création. Je lance la lecture de la playlist en mode aléatoire pour ne pas m’habituer à l’enchaînement des morceaux mais il peut aussi m’arriver d’écouter un unique titre, en boucle, quand celui-ci fonctionne particulièrement bien à l’instant T ou qu’il correspond parfaitement à l’univers de mon histoire.
Et quand la bulle créative ne fonctionne pas, je passe à une autre activité qui va la nourrir indirectement. Une balade avec les chiens, des travaux d’entretien ou du bricolage, de la cuisine et les corvées du quotidien, toujours en écoutant un ou plusieurs podcasts.
J’ai remarqué que j’étais plus facilement productif le matin, assez tôt, dès qu’il n’y a plus aucun humain dans la maison.
J’aime comparer mon processus de création à celui d’un sculpteur. On en revient donc à cette idée de bureau/atelier.
D’abord, il y a l’envie de créer autour d’un thème. Puis il y a la recherche de la matière brute pendant laquelle je note tout ce qui me passe par la tête, sans aucun filtre. Ensuite, vient le moment d’utiliser des outils pour travailler cette matière. Je coupe, je taille, j’affine, j’ajoute, je soustrais, je change les formes jusqu’à obtenir une base qui me plaît. Je détruis, aussi…
Souvent, à ce stade de la création, je laisse reposer le projet, parfois plusieurs mois. Puis je m’y remets avec des outils plus fins, en repassant par les phases de modelage, de coupe ou d’ajout de matière. Enfin, après l’avoir examiné sous toutes les coutures, quand je suis satisfait du rendu final, je le soumets à un premier regard extérieur qui est souvent celui de mes filles ou de mon épouse.
De la première idée notée dans mon téléphone pour ne pas l’oublier jusqu’au moment de la dernière relecture avant l’envoi à l’éditeur, j’aime tout le processus d’écriture même s’il est sans pitié et qu’il faut souvent beaucoup d’endurance pour le mener jusqu’au bout, en alternant phases de découragement et de jubilation.
J’ai la chance de pouvoir écrire pour les enfants et je prie tous les dieux possibles pour ne jamais avoir à inscrire le mot fin à cette incroyable histoire.
Till the Cat est auteur. De nouvelles aventures de Martin, son héros phare, sont sorti cette année aux éditions Hachette : Martin et son papy. Il a également sorti un album en juin, toujours chez le même éditeur, Le dentiste qui avait peur des enfants.
Bibliographie :
- Le dentiste qui avait peur des enfants, illustré par Gérald Guerlais, Gautier-Languereau (2021).
- Série Martin, illustrée par Carine Hinder, Hachette (12 tomes actuellement, 2020-2023), qu’on a chroniqué ici, là, ici et là.
- Mamie rêve, illustré par Gérald Guerlais, Gautier-Languereau (2021).
- Les recettes drôles et savoureuses de Papa, Larousse (2016).
- Le journal de moi… papa, Larousse (2015).
Retrouvez Till the Cat sur son site : http://www.tillthecat.com et sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !