Dans son dernier album, Les musiciens de l’orage, j’avais beaucoup aimé l’univers et les personnages aux grands yeux en amande de Juliette Barbanègre. J’ai donc eu envie de lui poser quelques questions sur son travail d’illustratrice, auxquelles elle a accepté de répondre très gentiment. Ensuite, glissons-nous dans l’atelier de Seng Soun Ratanavanh qui a accepté de nous en ouvrir les portes pour nous expliquer comment elle crée.
L’interview du mercredi : Juliette Barbanègre
Pouvez-vous nous parler de votre dernier album Les Musiciens de l’orage. Comment s’est passée la collaboration avec Céline Person ? Il me semble que c’est votre premier travail commun avec cette autrice.
En effet c’est la première fois que je travaille avec Céline Person. La collaboration s’est faite de manière très naturelle. À vrai dire nous n’avons pas tellement été en contact direct pendant la réalisation des images. L’éditrice lui transmettait mes croquis et images définitives au fur et à mesure que je les envoyais. Je savais juste qu’elle en était satisfaite.
Ce n’est qu’ensuite que nous nous sommes rencontrées et avons pu échanger à propos du livre. C’est amusant à quel point nous avons été en accord sans même nous concerter. Les images qui me sont venues naturellement pendant mon travail, et les sources d’inspiration qui les ont enrichies étaient étonnamment proches de ce qu’avait Céline en tête ! C’est très agréable de voir comment nos univers se sont mêlés, avec facilité et sincérité.
D’où vous est venue l’idée de ces personnages aux grands yeux en amande ?
Ah ça à vrai dire… je ne sais pas du tout ! Mes sources d’inspirations sont tellement diverses qu’il m’est parfois difficile de retracer le chemin de mes idées quand je commence à dessiner un nouvel univers.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
J’ai été formée à l’école Émile Cohl à Lyon, dont je suis sortie diplômée en 2011. S’en est suivi une période difficile de refus, de doutes et de remises en question… Parcours classique d’un jeune artiste je dirais !
C’est pendant cette période assez sombre que j’ai développé mon univers (qui en a hérité sa part d’obscurité sans doute). J’ai fait une quantité innombrable de projets personnels qui n’ont jamais été édités, démarché dans les salons avec mon book sous le bras, fait quantité de rendez-vous qui n’ont rien donné. Et un beau jour on m’a proposé du travail, dans la presse. Miracle. À partir de là ça s’est débloqué et j’ai pu commencer à vivre de mon métier.
Quelles techniques d’illustrations aimez-vous utiliser ?
Je travaille au crayon, tout simplement, sur papier. Avec des jeux de texture je module mon image en gris. Ensuite, si le projet est en couleur, je scanne mes dessins et reviens avec quelques aplats simples de couleur sur ordinateur. C’est cette technique que j’ai utilisée pour Les musiciens de l’Orage.
Mais j’aime aussi développer de nouvelles techniques. Mon dernier livre, qui n’est pas encore paru (il est prévu pour novembre 2021 aux éditions Pastel), a été entièrement réalisé à l’aquarelle. Un beau challenge, en collaboration avec Carl Norac, qui m’a permis de découvrir de nouveaux aspects de mon univers.
Récemment, je me suis mise à la gravure. Changer de technique c’est inconfortable au début, on sort de sa zone de confort, mais ça fait aussi beaucoup avancer. On découvre de nouvelles contraintes et de nouvelles manières de dessiner, et ça enrichit tout son univers.
Qu’est-ce qui vous inspire ? Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire tout particulièrement ?
Bien sûr, il serait difficile de tous les citer ! Des auteurs de mon enfance comme Maurice Sendak ou Claude Ponti par exemple. Des peintres, comme le Douanier Rousseau. Des écrivains, comme Boulgakov, Garcia Marquez… D’une manière générale, tout m’inspire, la peinture, le cinéma, le théâtre, la littérature, les gens tout simplement…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ? Occupent-elles encore aujourd’hui une place dans votre travail et votre vie d’adulte ?
Oui, mes lectures sont sans doute ma plus ancienne et plus grande source d’inspiration. Ce n’est pas pour rien que je fais de l’illustration. J’aime le texte, j’aime travailler d’après un texte, mêler mon univers à celui d’un autre. Mettre un pied là où je ne serais pas allée toute seule.
Sans doute Roald Dahl, comme beaucoup, aura été ma rencontre la plus marquante avec la littérature de mon enfance. Il y en a eu tant d’autres après. À l’adolescence c’est les Américains qui m’inspiraient, Harisson, Kerouac, Irving… Puis les Russes. Là j’ai découvert Boulgakov, qui a changé ma vie. Et Gabriel Garcia Marquez, Borges, Goethe…
Je lis et me nourris encore beaucoup de littérature, j’essaye toujours de découvrir de nouveaux auteurs, de toutes origines.
Un auteur avec qui vous aimeriez collaborer ?
Pas particulièrement, je suis curieuse de toutes les propositions. J’aimerais aussi m’essayer à écrire mes propres histoires, si j’en trouve le temps…
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je travaille sur un nouvel album, avec les éditions Bayard. C’est aussi un challenge, car il traite d’un sujet difficile : le deuil.
Je prends également du temps pour m’initier à des techniques d’estampe, la gravure en taille douce notamment. Peut-être cela fera l’objet d’un futur projet, en jeunesse ou pas, car je fais aussi des expositions en parallèle de mon travail d’illustratrice.
Bibliographie :
- Les musiciens de l’orage, illustration d’un texte de Céline Person, Glénat jeunesse (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Cornelius Premier, l’enfant qui ne voulait pas être roi, illustration d’un texte de Dominique Périchon, (2020)
- Casse-noisette, illustration d’un texte de Agnès Desarthe, musique de Tchaikovsky, Gallimard jeunesse (2019).
- Histoire du pommier qui rêvait d’être un sapin, illustration d’un texte de Joanie Desgagné, Seuil jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- L’enfant de la pluie, illustration d’un texte de Sandra Le Guen et Pog, Frimousse (2018).
- Philibert Merlin, apprenti enchanteur, illustration d’un texte de Gwladys Constant, Le Rouergue (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Mon gros-mouton-noir, illustration d’un texte de Corinne Lovera Vitali, Albin Michel jeunesse (2017).
- À la poursuite de Niurk-Niurk, illustration d’un texte de Grégoire Kocjan, Atelier du Poisson Soluble (2016).
Retrouvez Juliette Barbanègre sur son site : https://juliettebarbanegre.com.
Quand je crée… Seng Soun Ratanavanh
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Seng Soun Ratanavanh qui nous parle de quand elle crée.
Je dirais que mon processus de création en tant qu’illustratrice-autrice, se distingue en 3 étapes de création :
La première étape est celle de la recherche :
Je réfléchis à la fois, à l’ambiance de l’album que je veux créer, à la technique plastique/médium qui conviendrait le mieux, et au style graphique et coloré de l’ensemble.
Je commence donc des croquis de recherches sur l’ambiance/décor/éléments/personnages.
Pour cette étape, j’ai besoin uniquement d’un carnet, de crayons alors je peux dessiner un peu partout mais j’ai besoin d’être concentrée, de réfléchir et de faire des choix importants alors j’ai besoin de silence.
La deuxième phase est celle de la construction ou mise en forme :
Je compose à partir de mes croquis de recherches les images de l’album (composition/mise en page avec le texte/essai de couleur) pour établir le chemin de fer de l’album.
Pendant cette étape je n’écoute rien ou sinon de la musique.
La dernière étape est celle de la réalisation des illustrations définitives de l’album et elle se déroule obligatoirement dans l’atelier car j’utilise beaucoup de matériels différents et en général, je dois préparer et tendre mon papier sur une grande planche de bois.
Ce temps d’exécution, nécessite moins de réflexion et de prise de décision mais une concentration et précision mécanique, et comme c’est très long et laborieux, j’écoute des podcasts d’émissions de radio, de la littérature audio ou encore de la musique.
En règle générale, pratiquement la totalité de la création se fait dans mon atelier ou dans mon salon car contrairement à d’autres illustrateurs, je n’ai pas un carnet de dessin constamment sur moi, je n’ai pas cette habitude de dessiner tout le temps et partout.
Je ne dessine et ne crée que lorsque j’ai en tête un projet bien précis.
Mon rythme de travail est continu, je travaille tout au long de la journée en jonglant avec le planning logistique d’avoir deux ados.
Plus jeune j’avais tendance à mieux travailler le soir et même la nuit, maintenant je trouve que le matin offre une qualité de travail bien meilleure et malheureusement, je ne suis pas suffisamment lève-tôt à mon goût.
Seng Soun Ratanavanh est autrice et illustratrice
Bibliographie :
- Propre de la tête aux pieds —Mon imagier pour bien me laver, texte et illustrations, De la Martinière jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Gaspard dans la nuit, texte et illustrations, De la Martinière jeunesse (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Un câlin tout doux, texte et illustrations, De la Martinière jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Sur le nez du chiot, une sauterelle… – Haïkus pour les quatre saisons, illustrations d’un texte de Rodoula Papa, Cambourakis (2019)
- Merci, Miyuki, illustrations d’un texte de Roxane Marie Galliez, De la Martinière Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les jours heureux, illustrations d’un texte d’Antoine Dole, Nobi Nobi (2018).
- Mon île, illustrations d’un texte de Stéphanie Demasse-Pottier, De la Martinière Jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Au lit Miyuki, illustrations d’un texte de Roxane Marie Galliez, De la Martinière Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Fleurs de princesses, illustrations d’un texte de Christelle Huet Gomez, De la Martinière Jeunesse (2016).
- Attends Miyuki ! illustrations d’un texte de Roxane Marie Galliez, De la Martinière Jeunesse (2016) que nous avons chroniqué ici.

Fille des années 80, amoureuse des livres depuis toujours. La légende raconte que ses parents chérirent le jour où elle sut lire, arrêtant ainsi de les réveiller à l’aube. Sa passion des livres, et plus particulièrement des livres jeunesse, est dévorante, et son envie de partage, débordante. Elle est sensible aux mots comme aux images, et adore barboter dans les librairies et les bibliothèques. Elle aime : les albums au petit goût vintage et les romans saisissants, les talentueux Rebecca Dautremer et Quentin Gréban, les jeunes pousses Fleur Oury et Florian Pigé, l’humour d’Edouard Manceau et de Mathieu Maudet, les mots de Malika Ferdjoukh et de Marie Desplechin.