J’ai adoré la BD Feminists in progress de Lauraine Meyer, j’avais donc envie d’en savoir plus sur l’autrice de cet ouvrage hyper documenté et passionnant. Ensuite, j’ai proposé à l’autrice illustratrice Géraldine Cosneau de nous ouvrir les portes de chez elle pour nous montrer comment elle crée… elle a accepté !
L’interview du mercredi : Lauraine Meyer
Pouvez-vous nous parler de Feminists in progress ?
Feminists in progress est une sorte de guide ou d’introduction au féminisme. Je voulais faire un livre drôle, léger et inclusif pour aborder ce thème si sérieux et complexe pour beaucoup de personnes. Donc le but de ce livre est d’aider à comprendre tout ce qu’il y a derrière le mot « féminisme » (qui peut faire peur encore) et à prendre conscience du sexisme qui se cache partout dans notre société. Sous forme de bande dessinée, il reprend les bases et démonte un par un les stéréotypes qui collent encore aux féministes.
Comment est né ce projet ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de le faire ?
Ce projet est né de ma propre prise de conscience de ce qu’est le féminisme. En lisant Ainsi soit-elle de Benoîte Groult, je me suis rendue compte que ce qui était vrai dans les années 70 l’est encore aujourd’hui et j’ai eu envie d’aborder ce thème lors du challenge inktober sur Instagram. À la fin du mois j’avais une série de 30 images illustrant divers sujets féministes comme la maternité, les violences conjugales, le sexisme ordinaire etc. Cette série a été la base du livre tant sur le plan graphique (le choix des couleurs et du style de dessin) que des sujets abordés.
Petit à petit le projet s’est développé, j’en ai d’abord fait un essai graphique avec des illustrations pour chaque chapitre, puis j’ai rencontré Nathalie Van Canpenhoudt, mon éditrice chez Casterman, qui m’a proposé d’en faire une BD ! Et voilà, trois ans plus tard, le livre est enfin sorti en librairie !
J’aimerai que vous nous parliez de vos recherches pour réaliser cet ouvrage.
Au tout début du projet, je travaillais en anglais et je voulais juste illustrer des stéréotypes, des phrases choc et sexistes pour pouvoir ensuite expliquer le point de vue féministe sur la question. J’ai donc fouillé internet à la recherche de citations, d’articles sur les divers sujets. Puis mon intérêt a grandi et j’ai commencé à écouter de nombreux podcasts comme Les couilles sur la table, La poudre, Un podcast à soi et bien d’autres encore. Le podcast, c’est super pratique pour se cultiver tout en travaillant ou en cuisinant par exemple ! J’ai aussi lu beaucoup de BD et de livres sur le sujet pour étayer ma connaissance mais aussi des comptes Instagram comme noustoutes.org et des films et séries comme Sex Education ou Océan. À la fin du livre, j’ai d’ailleurs consacré plusieurs pages à ces références de livres, podcasts, magazines, BD, films et séries pour aller plus loin.
En résumé, j’ai vécu, pensé, rêvé féminisme non-stop pendant trois ans ! (Et encore maintenant !).
Qui ont été vos premier·ères lecteur·rices ?
Mon tout premier lecteur, c’est mon partenaire, Duncan, il a relu et corrigé chacun de mes textes au début car c’était en anglais (il est canadien). Par la suite j’ai envoyé des extraits du livre à ma mère, des jeunes adultes et quelques ami·es pour voir si cela se tenait. J’ai travaillé avec deux éditrices durant cette aventure (un des projets d’édition est tombé à l’eau à cause du Covid) et elles m’ont toutes deux relue et conseillée avec beaucoup de bienveillance et d’intelligence.
La BD contient de nombreuses références, auriez-vous quelques coups de cœur à nous partager ?
Outre les références dont j’ai parlé précédemment, je conseille fortement Sorcières et tous les livres de Mona Chollet qui est très forte pour pointer et déconstruire tous les aspects sexistes de notre société. Un film qui m’a fait l’effet d’un électrochoc, c’est Je ne suis pas un homme facile d’Eléonore Pourriat, sorti en 2018. C’est une comédie romantique un peu banale sauf que le héros de l’histoire est très sexiste et se retrouve propulsé dans un monde où les rôles de genre sont inversés, ce qui m’a vraiment ouvert les yeux sur les aberrations des injonctions que subissent les femmes. En BD, j’ai un faible pour Le problème avec les femmes de Jacky Fleming qui traite avec beaucoup de simplicité et de dérision de la condition des femmes au fil des siècles.
J’aimerai maintenant que vous nous parliez de votre parcours.
J’ai grandi en région parisienne, j’ai fait mes études supérieures à l’école Estienne à Paris en Mise à niveau des métiers d’art, puis j’ai raté l’entrée en DMA illustration et du coup j’ai fait le BTS graphisme. C’était un peu par dépit car le dessin était ma grande passion mais je n’étais pas très technique et puis j’avais plus de facilités dans le graphisme : j’aimais manier les concepts, les images et les mots. À l’époque (en 2005), en illustration il fallait surtout être un·e virtuose de la gouache, de l’acrylique, tout se faisait à la main et les blogs BD n’existaient pas encore, tout s’est libéré d’un coup juste après. Je me suis donc spécialisée en graphisme et direction artistique et après le BTS j’ai enchainé avec un master multimédia intéractif à l’université Paris 1. Mais j’ai continué à dessiner tout le temps et plus tard j’ai créé plusieurs blogs pour partager mes dessins et de courtes bandes dessinées. Cela tournait surtout autour de petites histoires qui m’étaient arrivées et de recommandations de restos, voyages, expos, ciné etc. J’ai toujours aimé faire partager mes découvertes et coups de cœur et raconter le quotidien de manière humoristique.
En parallèle, j’ai commencé à travailler comme graphiste et au fur et à mesure je me suis spécialisée dans la direction artistique culinaire. En 2015 je suis partie à Amsterdam où j’ai continué dans cette voie, en travaillant pour de grandes marques de produits culinaires comme Magnum, Carte d’or, Maille, Lipton etc. J’ai toujours gardé une petite activité d’illustratrice freelance à côté : j’ai dessiné pour la presse, des couvertures de livres, quelques projets pour enfants etc. Mais au fond mon plus grand rêve ça a toujours été de faire de la BD, il a donc fallu attendre 2022 pour publier ma première BD ! Comme quoi, il ne faut jamais perdre espoir !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Mes lectures d’enfant ça a été d’abord des livres que mes parents aimaient comme les Tomi Ungerer, La grosse bête de monsieur racine, Pas de baiser pour maman, ensuite j’ai dévoré la bibliothèque rose et verte, j’étais fan de Fantômette et Langelot. Je collectionnais aussi les pages des Triplés découpés dans Madame Figaro par ma grand-mère. Puis j’ai eu accès à la Bibliothèque et à toutes les BD qu’on pouvait emprunter : les Tintin, Astérix, Spirou, etc. On était abonnés à Spirou magazine à la maison, donc on a vraiment grandi avec ça. En vacances, l’activité principale dans ma famille c’était lecture, donc j’ai passé beaucoup de temps le nez dans les livres et les BD.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Un nouvel album à venir ?
Feminists in progress est mon tout premier album, je l’ai fait en parallèle de mon travail de directrice artistique, donc la grosse étape pour moi c’est de trouver comment pouvoir devenir illustratrice et autrice à plein temps. Bien sûr, je commence déjà à réfléchir à plein d’autres projets. J’aimerais beaucoup écrire une autofiction, ça serait un énorme challenge, et puis faire un genre de « suite » à Feminists in progress qui s’adresserait plus directement aux hommes, toujours dans l’idée de vulgariser le féminisme et de le rendre plus inclusif.
Bibliographie :
- Feminists in progress, scénario et dessins, Casterman (2022), que nous avons chroniqué ici
Retrouvez Lauraine Meyer sur Instagram : https://www.instagram.com/laurainemeyer.
Quand je crée… Géraldine Cosneau
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour celles et ceux qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Géraldine Cosneau qui nous parle de quand elle crée.
Je travaille chez moi, à la campagne, dans mon atelier situé à l’étage de la maison. Travailler chez moi me convient bien, cela me procure une agréable sensation de liberté et de souplesse, sans stress.
Le matin, ma journée commence par un petit tour dans le jardin avec mon premier mug de café et mes deux chats, une brève visite à mes poules, j’observe le temps qu’il fait et le paysage alentour.
Puis je monte dans mon atelier jusqu’à la fin de la journée, parfois le début de soirée mais je n’aime pas dessiner à la lumière artificielle et je ne travaille jamais le soir.
Mon atelier est une grande pièce chaude et lumineuse, accueillante et multifonction. J’aime bien que cette pièce soit ouverte et animée, même lorsque je n’y travaille pas : on y étend le linge, elle sert de coin lecture avec la bibliothèque, de salle de yoga, de coin sieste et s’y installent également les amis de passage.
J’aime néanmoins que ce lieu soit assez ordonné et les murs sont nus, un peu comme une page blanche, car dans ma tête les idées ne sont pas très bien rangées. Cela m’aide à y voir plus clair et à me concentrer. Lorsque je travaille, ça déborde, je m’éparpille et j’en mets partout.
Je bois du café toute la matinée et suis une boulimique d’émissions de radio que j’écoute du matin au soir : histoire, culture, société, écologie, actualité, économie, sciences, gastronomie, géopolitique… tous ces sujets m’intéressent.
Au cours de la journée, je m’autorise quelques sorties régénérantes dans le jardin, voire un tour à vélo d’une demi-heure dans l’après-midi.
Les idées peuvent surgir d’ailleurs à l’occasion de ces balades, Elles apparaissent un peu n’importe où et n’importe quand, en particulier dans des moments d’attente ou de désoeuvrement, comme dans le train par exemple, Je les notes dans un carnet dédié ou bien sur un bout de papier, que je range ensuite dans une chemise avec plein d’autres notes.
J’y ajoute quelquefois de minuscules gribouillis pour me souvenir exactement de ce que j’avais imaginé.
Parfois les idées mettent des années à mûrir avant d’aboutir à un projet, et parfois cela ne donne rien du tout. Elles restent là, présentes, en suspens en attendant d’être peut-être, un jour, utilisées.
Ce sont les petits événements de la vie qui infusent inconsciemment et me soufflent l’inspiration, les voyages particulièrement. Ces idées ressurgissent dans mes illustrations de façon toujours inattendue et surprenante pour moi.
Au début d’un projet d’album, je fais mes recherches de personnages en crayonnés. Les objets, constructions et végétation également, mais plus succinctement. Je passe ensuite beaucoup de temps à définir la gamme de couleurs que je vais utiliser.
Lorsque je suis satisfaite de mes personnages et comme je suis très impatiente de manipuler les couleurs méticuleusement choisies, j’ai nettement tendance à passer outre l’étape des illustrations crayonnées : j’ai toujours pensé et réalisé mes illustrations directement en couleur, sur une idée à peine esquissée, même lorsque j’étais étudiante, avant l’avénement de l’ordinateur. Je passe donc beaucoup de temps à chercher et à construire mes illustrations avec les masses de couleurs sur ma tablette Cintiq, à ajouter au fur et à mesure des éléments crayonnés et scannés, jusqu’à ce que je sois satisfaite de la composition de l’image.Quitte à devoir tout refaire ensuite, c’est un risque assumé, mais finalement cela n’arrive pour ainsi dire jamais. L’ordinateur permet cette liberté, cette possibilité de modifier l’illustration à l’infini et de revenir en arrière. J’imagine que cela peut paraître effrayant au début pour un éditeur qui n’a jamais travaillé avec moi mais finalement cela fonctionne bien comme cela.
Je m’organise d’ailleurs pour être toujours un peu en avance sur le planning prévu, de façon à pouvoir faire mes recherches et dessiner sereinement, tranquillement, sans stress. Créer dans l’urgence n’est pas du tout ma tasse de thé.
Echanger avec l’éditeur est fondamental. J’aime bien le ping pong qui se met en place lorsqu’on élabore un album, son regard et ses remarques constructives me permettent d’avancer et d’aborder parfois les illustrations d’une façon différente de celle que j’avais envisagée à l’origine.
Après tout ce travail de recherche arrive ensuite la dernière étape, celle de la mise au point définitives des illustrations et des éventuelles corrections. C’est pour moi un moment de détente assez récréatif, où il n’est plus nécessaire de chercher des idées, c’est plus un travail de petits ajustements et d’exécution.
Lorsque le projet est terminé, je range tout mon bureau pour faire place nette, dans mon esprit également. La photo montre mon bureau inhabituellement bien rangé, correspondant à ce moment de transition.
Géraldine Cosneau est autrice et illustratrice. Plusieurs livres sont son actualité, tout d’abord deux pop-up chez Nathan, Pop pop pop Noël et Pop pop pop les animaux sauvages, et Qui a volé toutes mes crevettes ? chez Amaterra.
Bibliographie :
- Collection Pop pop pop, éditions Nathan (2021-2022).
- Collection Une enquête de Loulou, Amaterra (2022), que nous avons chroniqué ici.
- La vraie véritable et véridique histoire des trois petits cochons, Casterman Jeunesse (2022).
- La pré-histoire de boucle d’or, Casterman Jeunesse (2021).
- À l’heure de la sieste – écoute les animaux, Amaterra (2021).
- Les habits neufs du Père Noël, Père Castor (2019).
- Oh ! La queue du loup, Fleurus (2019).
- Toc toc toc – les jolies maisons des contes, Fleurus (2018).
- Noctambules – écoute les animaux la nuit, Amaterra (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Un vent de panique pour Charline, illustration d’un texte de Kochka, Père Castor (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Le livre le plus extraordinaire du monde, Père Castor (2017).
- La ferme à toucher, illustration d’un texte de Christel Denolle, Nathan (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Léon le petit matelot & Marie la mouette, Nathan (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Chut, c’est une surprise !, illustration d’un texte de Virginie Aladjidi, Hatier Jeunesse (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Panoramas du monde, Mila Editions (2009), que nous avons chroniqué ici.
- L’été, Mila Editions, (2007), que nous avons chroniqué ici.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !