J’aime beaucoup le travail de Léa Larrieu et son engagement, j’ai eu envie d’en savoir plus sur elle et sur son travail à l’occasion de la sortie de l’album La tarte aux fraises d’Albert qu’elle vient de sortir chez Delachaux et Niestlé. Ensuite, je vous propose de vous glisser dans l’atelier de l’illustratrice Julia Spiers, dont l’expo débute aujourd’hui à la Galerie Robillard, afin de voir comment elle crée.
L’interview du mercredi : Léa Larrieu
Parlez-nous de votre parcours.
Après des études d’arts graphiques, j’ai commencé à travailler dans l’édition en tant qu’illustratrice, maquettiste et directrice artistique.
Le freelance m’a permis de voyager et de prendre du temps pour développer ma pratique en tant qu’illustratrice.
De faire de belles rencontres aussi, car en 2016 j’ai pu exposer à l’institut français d’Estonie à Tallinn.
Pouvez-vous nous présenter La tarte aux fraises d’Albert, qui vient de sortir aux éditions Delachaux & Niestlé et nous dire comment vous avez travaillé sur cet album ?
C’est un album écrit par la talentueuse Jeanne Cochin !
On se sent toutes deux très concernées par les problématiques environnementales et les changements que cela entraîne dans notre vie de tous les jours, et on voulait traiter l’un de ces sujets dans un premier album jeunesse.
L’idée est de permettre une première approche des notions d’agriculture biologique, locale et durable.
Ce sont des notions de plus en plus présentes dans nos vies mais que les enfants peuvent avoir du mal à décrypter.
Cet album est entièrement réalisé en papier découpé.
L’engagement (environnemental mais aussi social) semble avoir une grande importance dans votre travail, pouvez-vous nous en parler ?
C’est une pierre à l’édifice que j’ai envie d’apporter.
Ce sont des sujets qu’il me semble plus que nécessaire d’aborder avec les enfants et qu’à travers les mots et les images, on peut mieux appréhender.
Les livres que nous lisons enfant font partie de nous, ils forgent notre esprit critique et d’analyse.
Je pense donc que plus tôt on se sent concernés par les enjeux environnementaux, plus on a de chance d’avoir une action bénéfique pour la planète.
Les éditions Delachaux et Niestlé ont développé à la fin de chaque ouvrage une rubrique « à l’attention des parents » qui enrichit l’idée générale du livre. C’est une très bonne approche je trouve car ce sont aussi des sujets complexes pour les adultes !
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
J’ai longtemps réalisé mes illustrations par ordinateur, en privilégiant la forme en silhouette simple, souvent noire et blanche. Avec comme souci de trouver la juste expression.
Mais depuis quelque temps, j’ai préféré revenir à une technique plus manuelle et je réalise donc mes illustrations en papier, que je découpe puis photographie.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
J’adore espionner les animaux. Je n’illustre presque qu’eux d’ailleurs.
J’ai grandi avec Wallace et Gromit et je vois le monde sous le prisme d’un humour anthropomorphique très anglo-saxon : un héron qui rate son envol, un chat qui loupe une marche et qui se sent un peu bête. À Paris, les parcs à chiens sont aussi une mine de situations comiques.
Sinon je m’intéresse aussi beaucoup à l’art naïf américain mais aussi russe ou scandinave.
Il y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Il y en a tant ! Thierry Dedieu, Phillipe de Kemmeter et Olivier Tallec pour ne citer qu’eux.
J’aime aussi beaucoup le travail des illustrateurs animaliers comme Jean Chevallier.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai dévoré les livres de Nadja, de Solotareff et toute L’école des loisirs.
J’étais aussi très fan des petites bêtes d’Antoon Krings, d’Olivier Douzou et plus tard je ne décollais plus des Max et Lili de Serge Bloch.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Un nouveau livre aux éditions Delachaux et Niestlé sur la prédation chez les animaux expliquée aux enfants.
Bibliographie :
- La tarte aux fraises d’Albert, illustration d’un texte de Jeanne Cochin, Delachaux et Niestlé jeunesse (2021).
- Qu’est-ce qui se passe ?, texte et illustration, Delachaux et Niestlé jeunesse (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Les petits problèmes de la vie, illustration d’un texte de Michel Larrieu, Delachaux et Niestlé jeunesse (2020), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Léa Larrieu sur son site : http://www.lealarrieu.com et sur instagram.
Quand je crée… Julia Spiers
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Julia Spiers qui nous parle de quand elle crée.
Depuis mon diplôme en Image Imprimée à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs en 2013, je travaille chez moi. Jusqu’ici une des pièces de mon appartement était mon atelier, mais depuis la naissance de mon bébé à l’été 2020, mon bureau a atterri dans ma chambre… Se pose maintenant la question d’un atelier extérieur pour les années à venir.
Avoir une pièce à moi entièrement dédiée à l’illustration me manque déjà, j’aime débuter un nouveau projet dans un espace organisé, avec les aquarelles classées par couleurs, des photos, des cartes postales, des illustrations que je dispose devant moi et que je change très régulièrement. Derrière moi se trouve une grande bibliothèque remplie d’albums jeunesse, de romans graphiques, de livres sur des artistes que j’adore (pour n’en citer que quelques-uns Paul Cox, Bruno Munari, Katsumi Komagata, Blex Bolex, Nathalie Parain, Elisabeth Ivanovsky, Fanette Mellier, Winsor McCay…). Je ne me lasse pas de feuilleter tous ces livres, d’en admirer l’ingéniosité, le dessin, la narration ou les ambiances colorées. J’ai aussi quelques objets dans ces étagères que je déplace et remplace sans arrêt, certains rapportés de mes voyages (beaucoup du Japon), d’autres sont des souvenirs de famille, des cadeaux et il y a aussi les archives de mes réalisations : livres, magazines, cartes, etc. En général à la fin d’un projet de livre, mon bureau est un vrai bazar recouvert de papiers, palettes, tasses à café, planches terminées… Je cultive volontiers ce débordement pour mieux savourer le moment de tout remettre en ordre et passer à autre chose. Je suis très attachée à cet environnement mais je peux aussi faire sans pour un temps.
L’avantage d’être freelance c’est de pouvoir bouger, partir un peu à la campagne ou à l’étranger, changer d’air. Par exemple, en 2018 je suis partie vivre au japon pendant une année, je travaillais sur la table basse d’un tout petit appartement de Tokyo entre deux voyages. C’était assez inconfortable mais j’ai fait deux livres dans ces conditions et honoré plusieurs commandes de presse. Le fait de n’avoir que l’essentiel était finalement plutôt reposant. Mais je ne peux jamais me passer du matériel indispensable à savoir mon ordinateur, un scanner, une table lumineuse, mon papier, mes pinceaux, mes gouaches et mes aquarelles japonaises.
Je réalise la plupart de mes projets en deux étapes, la phase des crayonnés que je fais en majorité sur Photoshop, ça me permet de composer, dupliquer, agrandir, supprimer des éléments plus facilement. Là j’ai besoin de calme pour rester concentrée et trouver des idées, être efficace. Une fois le crayonné validé je l’imprime et je le redessine grâce à ma table lumineuse, j’ajoute alors un peu plus de détails.
Ensuite commence la mise en couleur, c’est le moment que je préfère. Si je ne suis pas trop stressée par les deadlines c’est un moment très apaisant. Je choisis les couleurs au fur et à mesure, c’est un jeu d’équilibre pour créer une ambiance, une température, une harmonie. J’aime en particulier peindre les animaux et les personnages, choisir la couleur de leurs cheveux, les motifs de leurs vêtements… C’est très satisfaisant. Je suis parfois surprise dans le bon ou le mauvais sens, je pense souvent pouvoir faire mieux ou un peu différemment, c’est ce qui fait que je ne m’ennuie pas et suis impatiente de la suite.
Pour accompagner un projet, je choisis une émission de radio sur France culture ou France inter comme par exemple Affaires sensibles, Les pieds sur Terre, À voix nue ou La Série Documentaire, et d’autres podcasts : Les couilles sur la table, la Matrescence… En fin de journée, quand je suis bien lancée, il m’arrive aussi de regarder d’un œil des vidéos documentaires (sur Arte +7) ou des films que j’ai déjà vus 100 fois.
Je mets par contre peu de musique quand je travaille, ça finit par me faire perdre la notion du temps, je pars dans mes pensées et finalement ça me déconcentre.
En général, je commence à travailler vers 9h30, je m’occupe de répondre aux mails avec un café avant de passer aux commandes ou aux projets de livres en cours (souvent j’alterne plusieurs projets dans la même semaine) si je suis enthousiaste dans l’avancement, je poursuis jusque dans la nuit. Par ailleurs, à côté de mon activité d’illustratrice je donne des cours du soir à Estienne, ponctuellement à l’École du Paysage de Versailles et je fais régulièrement des ateliers avec différents publics. Ces interventions me permettent de transmettre et de partager ma passion pour l’image et de lever un peu le nez de mes peintures, c’est très important pour moi, tout comme les salons, rencontres, expositions ou les résidences.
L’année passée n’ayant pas de place en crèche, je n’ai pu travailler que le soir et pendant les siestes. Je ne me suis pas beaucoup reposée et le rythme a été très dur à tenir. Pour la première fois de ma vie d’illustratrice, j’ai rendu les choses en retard, et j’ai dû décliner plusieurs propositions de projets. Dorénavant je dois dissocier ma vie familiale de ma vie professionnelle, et m’imposer un rythme avec des horaires fixes, des vacances, etc. C’est juste un nouveau rythme à prendre, je sais que beaucoup d’illustratrices y arrivent très bien !
Julia Spiers est illustratrice. Son exposition Jeux d’enfants débute aujourd’hui même à la Galerie Robillard (elle sera d’ailleurs présente ce soir pour l’inauguration), plus d’info sur cette expo-vente ici. Son dernier album, AnimoMuseum, vient de paraître aux éditions Saltimbanque.
Bibliographie :
- AnimoMuseum, illustration d’un texte de Nadja Belhadj, Saltimbanque (2021).
- Les secrets du potager, illustration d’un texte de Virginie Le Pape, Casterman (2021).
- Les recettes du quatrième trimestre au naturel, illustration d’un texte de Julia Simon, First (2021).
- Les nuits de Mona, illustration d’un texte d’Anne Cortey, Thierry Magnier (2020).
- Casse-Noisette, illustration d’un texte de Pierre Coran, Didier Jeunesse (2019).
- Bien vivre le quatrième trimestre au naturel, illustration d’un texte de Julia Simon, First (2019)
- Une sieste à l’ombre, illustration d’un texte de Françoise Legendre, Seuil Jeunesse (2019).
- Contes à jouer, pop-up, Albin Michel Jeunesse (2018).
- La fusée, illustration d’un texte d’Étienne Mineur, Ynnis (2014).
- La soucoupe volante, illustration d’un texte d’Étienne Mineur, Ynnis (2014).
- Le safari en ballon, illustration d’un texte d’Étienne Mineur, Ynnis (2014).
- Constellations, illustration d’un texte d’Étienne Mineur, Ynnis (2014).
Retrouvez Julia Spiers sur son site : http://www.juliaspiers.com et sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !