Aujourd’hui j’ai choisi de recevoir l’autrice Maiwenn Alix dont j’ai aimé chaque roman et tout particulièrement Noblesse oblige, paru en début d’année. Ensuite, c’est l’autrice et illustratrice Ilya Green qui est l’invitée de Véronique Soulé pour sa rubrique (sonore !) Du tac au tac qu’elle réalise pour nous une fois par mois à l’occasion de la parution de Ida et Martha des bois, sorti chez Didier Jeunesse.
L’interview du mercredi : Maïwenn Alix
En début d’année est paru Noblesse oblige, un récit haletant et révoltant qui met en avant les dérives de la télé-réalité. Pouvez-vous nous raconter ce projet et comment vous avez travaillé dessus ?
Noblesse oblige est un roman qui m’est venu d’un coup, alors que nous discutions de La Sélection avec mes amies Maëlle Desard, Déborah J. Marrazzu et Bleuenn Guillou. J’avais lu cette saga, mais je la trouvais un peu naïve, surtout concernant le côté régime autoritaire. De fil en aiguille, la discussion a dérivé, je me suis mise à réfléchir à voix haute sur comment articuler une monarchie et la télé-réalité comme moyen de propagande, le tout de manière crédible. J’ai fini par proposer l’idée d’une uchronie où la révolution de 1789 avait échoué. Louis XIV se mettant constamment en scène afin de contrôler les nobles, traumatisé par la fronde, je voyais bien le jeune Louis XVII, marqué par ce soulèvement manqué, utiliser les mêmes tactiques afin de se protéger du peuple… Avec des technologies modernes, cela donne un souverain, Louis XXI, qui a hérité de l’obsession de son ancêtre pour la popularité, et qui se met donc en scène avec la noblesse dans des émissions de télé-réalité. Quoi de plus naturel, alors, que d’avoir un show qui soit centré sur l’amour et qui mette en scène des roturières à qui l’on promet un mariage avec un héritier des plus grandes familles ? Noblesse oblige devait pour moi être une des clés de la propagande royale : l’un des rares moments où l’on fait miroiter au peuple la promesse d’une vie meilleure, où on le laisse espérer, pour mieux l’endormir. Il m’a paru alors intéressant de mettre une héroïne là-dedans qui serait tout sauf enchantée par les jolies robes et la promesse d’un beau mariage. Une espionne républicaine, qui débarquerait là avec la ferme intention de montrer l’envers du décor afin de faire voler en éclat ce système… À force de discuter des différents concepts avec mes amies, j’ai réalisé qu’en quelques minutes, j’avais déjà construit une grosse partie de mon univers ainsi que toute ma trame. Je n’ai ensuite plus eu qu’à affiner.
Comment naissent vos histoires ?
Mes histoires se cristallisent toujours autour d’une idée qui me titille. C’est parfois un article, une balade ou, comme dans le cas de Noblesse oblige, une conversation qui génère un concept que je trouve intéressant. Je sais que je tiens quelque chose quand me viennent déjà des images, des scènes, qu’à chaque fois que l’idée revient, cela entraîne la génération de nouveaux développements possibles. Je laisse souvent un concept mûrir ainsi, en toile de fond à mes moments perdus, souvent pendant plusieurs années. C’est un processus très long, que je ne presse pas : de toute façon, comme mon planning d’écriture est généralement établi pour les douze prochains mois, je ne peux pas tout lâcher pour un nouveau roman, même si j’en avais envie. Je me contente donc de noter des morceaux d’intrigue dans mon carnet — que j’ai ensuite le plus grand mal à déchiffrer. Quand je me mets à travailler sur l’intrigue proprement dite, j’ai déjà énormément d’éléments en tête, il ne me reste plus qu’à les articuler correctement et trouver quels sont ceux qui me manquent.
Savez-vous à l’avance comment vont se terminer vos romans ?
Absolument. Ma méthode pour écrire s’est affinée avec le temps et, désormais, je n’écris pas une ligne d’un roman sans savoir précisément où je vais. Toute mon intrigue est travaillée structurellement en amont — thème, personnages, arcs, etc. — sur des fichiers Excel et des carnets, puis développée dans un synopsis de vingt à trente pages, qui est ma feuille de route ultime pour écrire mon premier jet. C’est en quelque sorte un mini-roman, qui me permet de m’assurer que tout est cohérent, tout s’emboîte, tout s’écoule parfaitement. Je passe presque autant de temps à travailler mon intrigue qu’à rédiger le roman proprement dit : je trouve plus simple d’avoir à réécrire deux ou trois pages si je sens que quelque chose cloche, plutôt que de devoir reprendre six chapitres. Cette méthode me permet d’avoir des premiers jets très aboutis, très proches de la version finale du livre.
Vous avez écrit une trilogie et une duologie avant Noblesse oblige, préférez-vous écrire des séries ou des one-shot ?
Je n’ai pas de préférence, les uns et les autres ont des avantages comme des inconvénients. Une série, c’est génial, parce qu’on peut vraiment développer ses personnages, son univers, se permettre d’exploiter tout à fond… Mais c’est un travail à la fois très long et très exigeant : il ne peut pas s’écouler trop longtemps entre la sortie de deux tomes, donc vous avez une contrainte de temps assez forte, ce qui oblige à travailler souvent en flux tendu. Et puis quand on a des idées pour d’autres histoires, c’est dur de se dire qu’il va falloir attendre des années avant de s’y attaquer. C’est aussi un risque, pour l’auteur comme pour l’éditeur : si le premier tome ne marche pas, la suite pourra-t-elle être publiée ? Un one-shot, c’est agréable à développer, ça donne l’impression qu’on est plus efficace, car on peut boucler l’histoire plus rapidement, mais c’est frustrant de sortir aussi vite de l’univers. C’était le cas avec Noblesse oblige : je rêvais de pouvoir continuer à écrire Gabrielle, de parler de l’« après » émission, j’avais déjà toute une intrigue en tête. J’ai donc été particulièrement heureuse que Slalom me commande une suite, Liberté oblige !
Qui sont vos premier·ères lecteur·rices ?
Mon père est toujours mon premier lecteur. C’est un dévoreur de livres, écrivain lui aussi à ses heures perdues, et comme il ne mâche pas ses mots, il m’offre toujours de précieux retours. Dès que je termine un synopsis ou un premier jet, je le lui envoie sans corriger : il lit donc des trucs souvent très bruts et truffés de fautes. Bien sûr, il y a aussi mes sœurs, qui ont eu la primeur de la suite de Noblesse oblige, et mon amie Maëlle Desard qui me donne parfois son avis sur certains de mes synopsis : elle a un regard très affûté qui m’a beaucoup aidée lors de l’élaboration de celui de Liberté oblige.
Quelles étaient vos lectures d’enfant ? Certaines œuvres vous ont-elles inspirée ?
Difficile de répondre à cette question, car beaucoup trop de titres me viennent en tête ! Enfant, j’adorais bien sûr Harry Potter — que j’ai dû lire une cinquantaine de fois, au point de connaître les trois premiers tomes presque par cœur. Je développais déjà un goût pour la fantasy, avec Le livre des étoiles d’Erik L’Homme, la série du Chrestomancie de Dianna Wynne Jones, et puis bien sûr la trilogie À la croisée des mondes de Philip Pullman, ou encore la génialissime Peggy Sue et les fantômes de Serge Brussolo. À l’adolescence, je me suis plongée dans la science-fiction, avec Dune de Frank Herbert, Un bonheur insoutenable d’Ira Levin, 1984 d’Orwell, la saga des robots d’Asimov. J’y suis retournée avec délice, quand j’étais jeune adulte, avec les Hunger Games, Divergente, la 5ème Vague. Les Hunger Games m’ont particulièrement inspirée pour la manière dont la propagande est utilisée par le pouvoir, puis contre le pouvoir, pour tisser un narratif qui vise à manipuler les foules. C’est un thème central de Noblesse oblige.
Depuis quand écrivez-vous ?
J’ai toujours écrit enfant, mais je ne suis jamais allée au-delà du sixième chapitre des livres que je commençais. J’ai repris l’écriture, cette fois avec méthode et discipline, fin 2014, alors que je me remettais d’une maladie tropicale qui m’a laissée alitée plusieurs mois. J’avais un début de roman qui traînait dans un tiroir, débuté quelques années plus tôt, et je m’étais promis que si je m’en sortais, je le terminerais. Je n’ai jamais cessé d’écrire depuis.
Pensez-vous qu’il y a des thèmes qu’on ne peut pas aborder en littérature jeunesse ?
Non, pour moi on peut parler de tout en littérature jeunesse. On doit faire attention au message, bien sûr, à la moralité du propos — c’est la loi — mais je trouve qu’on a une liberté énorme, à la fois dans les thèmes comme dans la manière dont on peut les exploiter. On peut mêler de l’intrigue politique, du thriller, de la science-fiction, de la romance, tout cela dans un seul livre, un livre qui serait probablement inclassable en littérature adulte. C’est ce qui m’a toujours attirée dans le genre jeune adulte et la raison pour laquelle je continue d’écrire des livres pour ce public : je ne me sens pas limitée.
Que lisez-vous en ce moment ? Un coup de cœur à partager ?
Je suis en plein dans le préquel des Hunger Games : La ballade du serpent et de l’oiseau chanteur, en livre audio. J’ai très longtemps repoussé sa lecture, car j’avais peur d’être déçue — j’avais tellement adoré la trilogie originale ! Je suis à fond dedans pour l’instant. En livre papier, je viens de commencer Central Station de Lavie Tidhar, c’est déroutant et poétique. Mon dernier coup de cœur, c’est Divines rivalités : j’ai été emportée par cette histoire très douce, par l’univers très sombre et les deux personnages principaux. Je me réjouis de lire bientôt la suite !
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Une nouvelle parution est-elle prévue prochainement ?
Je suis en plein dans les dernières corrections de la suite de Noblesse oblige : Liberté oblige. Il paraîtra en mars 2025 ! Je me réjouis que les lecteurs puissent suivre Gabrielle dans la suite de ses aventures, j’ai eu énormément de plaisir à travailler sur ce roman et j’espère qu’il leur procurera autant d’émotions fortes que le premier opus ! À côté de ça, je travaille sur deux projets de fantasy et un de science-fiction, mais il est trop tôt pour en parler.
Bibliographie :
- Série Noblesse oblige, roman, Slalom (1 tome, 2024).
- Série Clones de la nation, roman, Naos (2 tomes, 2022-2023).
- Série In Real Life, roman, Milan (3 tomes, 2018-2020).
Retrouvez Maiwenn Alix sur Instagram.
Du tac au tac… Ilya Green
Une fois par mois, Véronique Soulé (de l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin) nous propose la capsule sonore Du tac au tac. Avec la complicité du comédien Lionel Chenail, elle pose des questions (im)pertinentes à un·e invité·e que nous avons déjà reçu·e sur La mare aux mots. Aujourd’hui, c’est Ilya Green qui répond à ses questions.
Ilya Green est une autrice et illustratrice donc nous aimons particulièrement le travail (le nombre de ses livres que nous avons chroniqués en atteste). Son dernier album, Ida et Martha des bois, dont elle signe texte et illustrations, est paru chez Didier Jeunesse.
Bibliographie sélective :
- Ida et Martha des bois, album, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2024), que nous avons chroniqué ici.
- Série Bulle et Bob, livres-CD, illustrations de textes de Natalie Tual, Didier Jeunesse (10 tomes, 2011-2022), que nous avons chroniqués ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici.
- Happy Jazz, livre-CD, illustration de textes de Carl Norac, Didier Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Olga, Gabriel, Sophie et les autres, recueil d’albums, textes et illustrations (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Petit jardin de poésie, album, illustration de textes de Robert Louis Stevenson, Grasset Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Berceuses & balladines, livre-CD, illustrations de textes de Murielle Szac, Didier Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Tout autour, album, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La dictature des petites couettes, album, texte et illustration, Didier Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Nos beaux doudous, album, illustration d’un texte de Stéphane Servant, Didier Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Mon arbre, album, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Les plus belles berceuses jazz, livre-CD, Didier Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Peter Pan et Wendy, livre-CD, illustration d’un texte de Jean-Pierre Kerloc’h (d’après James Matthiew Barrie), Didier Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Le masque, album, illustration d’un texte de Stéphane Servant, Didier Jeunesse (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Achile et la rivière, album, illustration d’un texte d’Olivier Adam, Actes Sud Jeunesse (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Marre du rose, album, illustration d’un texte de Nathalie Hense, Albin Michel Jeunesse (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Le pestacle, album, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Sophie et les petites salades, album, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2008), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Ilya Green sur son site et sur Instagram.
![](https://lamareauxmots.com/wp-content/uploads/2021/09/DELPHINE.jpg)
Née un livre à la main, elle aime les mots et leur résonance, s’évader et découvrir de nouveaux univers. Elle fait partie de ces gens qui croient fermement qu’un livre peut changer une vie.