J’ai eu envie de réunir aujourd’hui l’illustratrice et l’autrice du très joli Le monde est immense , sorti chez Grasset Jeunesse. On commence donc par une interview de Marion Cockliko, puis on se glisse, telles des petites souris, près de l’autrice Anne Cortey pour l’observer quand elle crée.
L’interview du mercredi : Marion Cocklico
Pouvez-vous nous parler de Le monde est immense ?
Le monde est immense est une douce balade à hauteur d’enfant écrite par Anne Cortey, illustrée par mes soins et éditée par les éditions Grasset Jeunesse. Dans cet album, on suit un petit dans sa découverte du monde qui l’entoure et même au-delà…
De sa chambre à l’appel du dehors, de sa curiosité et sa soif de découvrir à sa joie de retrouver les bras réconfortants d’un parent aimant.
Comment s’est passée la collaboration avec Anne Cortey ?
J’avais très envie de travailler avec Anne depuis longtemps. Quand on s’est rencontrées, elle découvrait tout juste mon travail en collages et j’ai profité d’un compliment de sa part pour lui parler de mon souhait. Quelques semaines ou mois plus tard, je ne sais plus très bien, elle m’a proposé le texte « Le monde est immense » qui m’a aussitôt plu. Dès la première lecture les images venaient à moi simplement, c’était touchant, poétique, je visualisais très bien mes papiers colorés répondre à ses mots. J’ai proposé des crayonnés à Anne assez rapidement. Nous avons beaucoup discuté, c’était la première fois que j’étais en contact directement avec l’auteur·e sans l’intermédiaire d’un éditeur. Cela a été un réel plaisir de collaborer avec Anne qui, par son expérience, a pu me guider avec bienveillance et enthousiasme tout en me laissant beaucoup de liberté.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Depuis plusieurs années maintenant, j’aime alterner les projets réalisés à l’ordinateur et les projets en collages. Peu importe la technique, je commence toujours par faire quelques recherches, des crayonnés rapides puis plus poussés dans des carnets ou sur iPad. Après cette étape, c’est là que la méthode change : pour l’ordi, je passe directement à la mise en couleurs. L’ordinateur est un médium qui facilite les étapes de correction. C’est bien pratique de ne pas refaire entièrement l’image (contrairement aux techniques tradis…).
Pour le collage, après la validation des crayonnés, je me mets en quête de la gamme de couleurs. À cette étape aussi, j’utilise l’iPad pour faire quelques essais. (Quelles couleurs serviront le mieux le texte et les images ?) J’essaie également d’imprimer le livre à taille réelle pour me faire une idée de ce que cela va rendre, si l’ensemble est cohérent et si le rythme est bon. Ensuite, je décalque toutes les formes sur les papiers choisis. Soit j’utilise des papiers unis ou à motifs teints dans la masse (ceux qu’on trouve dans le commerce) soit je « fabrique » moi-même mes papiers colorés. Quand je ne trouve pas les couleurs que je veux dans les magasins, je les réalise à la gouache et je les applique sur des papiers grand format.
Ensuite, je découpe à l’aide de ciseaux, cutter et autres exactos les formes que j’assemble tel un puzzle. Colle et scotch m’aident à fixer mon image tout en donnant plus ou moins de profondeur à ma composition.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
C’est très variable… Ça peut être un échange avec un·e proche, un voyage, une balade dans la nature, un morceau de musique, l’écoute d’une émission radio/d’un podcast, un documentaire, un film, mais aussi les infos. J’ai déménagé près de la mer il y a bientôt trois ans et je sens que ce nouvel environnement infuse doucement sur moi… C’est réjouissant.
Comment choisissez-vous vos projets ?
Quand j’ai commencé, il n’était pas question de choix mais plutôt de trouver des commandes, j’ai donc envoyé mon book à de nombreuses maisons d’édition. Les réponses étaient rares et souvent négatives, mais avec de la persévérance les contrats ont fini par arriver. Depuis quelques années, j’ai la chance de pouvoir choisir, c’est très agréable. Le sujet, le texte, le principe du livre (mécanismes, matières à toucher), la relation avec un·e éditeurice (qui me connaît bien et avec qui j’aime travailler) sont des éléments essentiels pour ma prise de décision… et les conditions du contrat aussi.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Après l’obtention de mon bac, j’ai intégré l’école Pivaut à Nantes ; deux années d’arts appliqués et deux années de graphisme plus tard j’en sortais diplômée. Pour valider ce cursus nous devions
effectuer un stage. C’est ainsi que je me suis retrouvée assistante de la directrice artistique des éditions Deux Coqs d’or pendant trois mois. Cette expérience fut très enrichissante, car j’ai pu découvrir comment fonctionne une maison d’édition tout en mettant en pratique ce que j’avais appris à l’école. Ensuite, j’ai trouvé un boulot de graphiste, ce qui me permettait de continuer en parallèle mon travail d’illustration. Les projets se multipliant, j’ai quitté ce premier travail pour me consacrer seulement à l’illustration. J’ai essayé d’en vivre, mais les revenus n’étaient pas assez réguliers et conséquents. J’ai donc dû prendre un autre travail pour vivre sereinement. Pendant plusieurs années, j’ai bossé dans un magasin d’alimentation biologique et lorsque le moment est venu, que j’ai senti que je pouvais vivre seulement de l’illustration jeunesse, j’ai quitté ce boulot. Voilà bientôt cinq ans.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Mes premiers souvenirs d’images sont celles de Gyo Fugikawa dans Babies, Jouons ensemble chez Gautier-Languereau, puis les albums du Père Castor, Roule galette, Michka, chez Flammarion, Les belles histoires avec sa couv au blanc tournant et son o en forme de lune, Le petit chaperon vert de Solotareff et Nadja à l’école des Loisirs. Plus grande, j’adorais Astrapi, J’aime lire et ses incontournables Tom-Tom et Nana (merci Bernadette Desprès), quelques titres de la collection Neuf de l’école des loisirs avec mon chouchou : La sixième de Susie Morgenstern. Pendant mon adolescence, je lisais très peu, mais je me souviens de m’être enthousiasmée par la lecture de quelques romans Star Wars aux éditions Pocket.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Le travail de Tove Jansson me touche, Elisabeth Ivanovsky, Carson Ellis, Isabelle Arsenault me touchent beaucoup, je pense qu’ils m’inspirent aussi, forcément ; tout comme celui de Kitty Crowther, Nathalie Parain, Richard Scarry et Alain Grée, mais aussi des artistes comme Nathalie du Pasquier, Paul Cox.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
En ce moment, je me régale, je travaille avec la géniale Émilie Chazerand qui m’a offert deux textes aussi drôles que touchants.
Je me sens très chanceuse de cette collaboration. Travaillant pour la toute petite enfance, j’étais jusqu’alors dans le registre de la tendresse (que j’adore, hein…), là, je me plais à aborder l’humour en m’adressant à des enfants un peu plus grands…. C’est grisant !
Je travaille également sur un imagier et pour des jeux dans la presse. C’est important pour moi de diversifier les types d’ouvrages et les styles : j’espère ainsi élargir le panel social des enfants que j’accompagne dans leurs premiers apprentissages.
Bibliographie sélective :
- Le monde est immense, album, illustration d’un texte d’Anne Cortey, Grasset Jeunesse (2024), que nous avons chroniqué ici.
- Les petits bonheurs de la vie, album, texte et illustrations, Milan (2023).
- Kooki, que d’émotions !, album, illustration d’un texte d’Astrid de Moussac, Fleurus (2023).
- Au dodo sous les étoiles !, album, texte et illustrations, Milan (2023).
- Contes et musiques d’Afrique pour les tout-petits, album musical, illustration de textes de Souleymane Mbodj, Milan (2022).
- Pia et la fabrique à doudous, album, texte et illustrations, Casterman (2022).
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Pia et le plus beau des Noëls, album, texte et illustrations de Marion Cocklico, Casterman (2022).
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Bonne nuit Kooki ! , album, illustration d’un texte d’Astrid de Moussac, Fleurus (2022).
- Les instruments de la fanfare, livre musical, illustration des musiques de Jef Cahours de Virgile, Didier Jeunesse (2021).
- Mon recueil de comptines pour faire la fête, album, co-illustré avec Anna Guillet, Marie Paruit et Alexandra Pichard, Milan (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Le Petit Chaperon rouge, album, illustration d’un texte de Delphine Blétry, Gallimard Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les princesses, album, texte et illustrations, Nathan (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Dis-moi comment ?, boîte, textes d’Isabelle Fougère, co-illustrés avec Julien Akita, Rebecca Galera et Delphine Renon, Larousse (2012), que nous avons chroniqué ici.
Quand je crée… Anne Cortey
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour celles et ceux qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Anne Cortey qui nous parle de quand elle crée.
Quand mes enfants étaient petits, le temps m’était compté pour écrire. Mais j’étais alors une fille très organisée. À peine je les avais déposés à l’école que je filais avec mon sac de travail au Café de la Place. Je commençais à travailler à huit heures trente pétantes ! Je commençais à relire mes textes écrits la veille devant un café-verre d’eau. Je commandais un deuxième expresso, une carafe d’eau, et je continuais ainsi à travailler. Je quittais le café vers 10 h 30 avec le sentiment d’avoir bien avancé. Puis je retravaillais jusqu’à l’heure de récupérer mes enfants à l’école. Étrangement, quand j’avais des pannes d’inspiration, il fallait toujours que les idées surgissent vers 16 h 15. Je notais à toute vitesse ce qui venait et j’arrivais en retard à l’école.
Maintenant mes enfants sont très grands, ils se débrouillent, et moi, j’ai tout mon temps… Mais ce n’est pas forcément simple. Mes journées sont devenues plus floues. Et moi, je suis parfois flottante. La plupart du temps, je travaille chez moi. Dans ma pièce atelier. Mais je n’aime pas travailler tous les jours au même endroit. L’hiver, mon bonheur est d’écrire devant le poêle à bois. J’ai alors l’impression de vivre dans une cabane au fond des bois et j’aime beaucoup ça. J’ai aussi un génial canapé où m’allonger. Mais qui dit canapé, dit danger… Une envie de sieste ? Un thé ? Un petit tour sur Instagram ? Le canapé deviendrait-il le diable incarné ?
Alors, pour sortir de cette mollesse passagère, je fais une machine à laver. Je fais beaucoup de machines à laver ! J’étends ensuite le linge, je le plie, je le range. Mais où est la littérature dans tout ça ? Mais oui, où est-elle ? Je m’en veux, je culpabilise. Je me parle à moi-même : comment veux-tu créer ton œuvre, ta Grande œuvre si tu trouves toujours de bonnes raisons pour faire des tâches ménagères ? Alors, je lis. Je lis. C’est bon, c’est beau. Et ces écrivains que je lis, font-ils eux aussi des machines à laver alors qu’ils devraient écrire ? Mais non, bien sûr que non, ils écrivent, eux ! Ils passent leurs journées plongés dans leur propre littérature. Alors, de rage je prends enfin mon carnet et j’écris ce qui sort, peu importe si c’est bon ou pas bon, je deviens combattante, et peu à peu, ça glisse, ça file entre mes doigts, c’est limpide.
Quand une histoire résiste, j’ai des petites stratégies. Ça ne marche pas toujours, mais j’essaye. Il y a les journées où je pars marcher dans la campagne. Parfois, sans prévenir, la petite voix que je cherchais depuis des jours m’arrive dans les oreilles. Je prends des notes sur mon minuscule carnet ou bien je m’enregistre sur mon téléphone. Il y a aussi les jours où j’ai besoin de sortir de chez moi et de mon village. Je vais en ville, dans un atelier partagé, ou dans un café que j’adore, je retrouve une amie, un copain, j’échange, on parle créations, de nos difficultés, mais aussi de la joie parfois d’atteindre la justesse.
Anne Cortey est autrice. Son dernier album, Le monde est immense, est illustré par Marion Cocklico (voir ci-dessus) et est publié chez Grasset Jeunesse.
Bibliographie sélective :
- Le monde est immense, album illustré par Marion Cocklico, Grasset Jeunesse (2024), que nous avons chroniqué ici.
- Chat, montre-toi, album illustré par Anaïs Massini, Thierry Magnier (2023).
- Les ébouriffés, album illustré par Thomas Baas, Grasset Jeunesse (2023), que nous avons chroniqué ici.
- L’envol de Miette, album illustré par Ghislaine Herbéra, À pas de loups (2022).
- La vie en rouge, roman illustré par Vincent Bourgeau, L’école des loisirs (2019), que nous avons chroniqué ici.
- En émois, roman illustré par Cyril Pedrosa, L’école des loisirs (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Les petits mots d’Amos, album illustré par Janik Coat, Grasset Jeunesse (2018).
- L’année ordinaire de l’extraordinaire Olga, album illustré par Marion Piffaretti, Thierry Magnier (2018).
- Le souffle de l’été, album illustré par Anaïs Massini, Grasset Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le voyage d’Ignacio, album illustré par Vincent Bourgeau, Grasset Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Avec des lettres, album illustré par Carole Chaix, À pas de loups (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Petite, album illustré par Audrey Calleja, À pas de loups (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les petits jours de Kimi et Shiro, album illustré par Anaïs Massini, Grasset jeunesse (2015).
- Une vie d’escargot, album illustré par Janik Coat, Autrement jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Muette, album illustré par Alexandra Pichard, Autrement jeunesse (2011), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Anne Cortey sur Instagram.
![](https://lamareauxmots.com/wp-content/uploads/2024/03/LUCAS-petit.jpg)
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !