Aujourd’hui, pour la dernière interview « classique » de la saison (à partir de mercredi prochain, vous retrouverez notre rubrique d’été, Du berger à la bergère) on a la chance de recevoir l’illustratrice Marion Piffaretti. Ensuite, pour la rubrique Ce livre-là, c’est Mathilde, libraire chez À livre ouvert à Chagny (71) et instagrammeuse sous le nom @littlecookiie, qui nous parle d’un livre qu’elle aime particulièrement.
L’interview du mercredi : Marion Piffaretti
J’aimerais que vous nous présentiez votre collection Les cache-cache émotions sortie chez Nathan.
La collection présente quatre livres sur diverses émotions, la tristesse, la joie, la colère et la peur.
On peut les manipuler tôt, mais ils sont compréhensibles à partir de 18 mois. Ce sont des livres cartonnés avec une feutrine qui dévoile une émotion différente à chaque fois, des histoires du quotidien, et le parent accompagne le petit à la découverte de ses émotions.
Comment est née cette collection ?
La directrice artistique de chez Nathan en petite enfance avec qui j’avais travaillé il y a de nombreuses années m’a contactée suite à un dessin que j’avais fait et montré sur mon Instagram. La collection avait déjà été créée en interne et ils cherchaient quelqu’un·e pour la mettre en images.
J’avais des livres de cette collection pour mon petit garçon, je les appréciais beaucoup, et je voulais justement dessiner dans le style sur lequel elle avait accroché (au gros pinceau noir et couleurs vives).
J’ai donc dessiné sur des feuilles au pinceau et encre de Chine, puis scanné mes illustrations pour ensuite faire des couleurs vives, en aplat sur l’ordinateur.
J’ai un style de dessin très lisible et simple qui s’accommode bien avec ce type de livre.
Récemment, vous avez également illustré Le cauchemar du loup. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Le cauchemar du loup est un conte revisité par l’auteur François Vincent, sorti cette année chez Didier jeunesse.
J’ai aimé illustrer cette histoire très loufoque et j’ai accentué ce côté caricatural d’une fratrie de loups voulant manger un pauvre paysan. L’histoire est drôle, il fallait que les images en rajoutent une couche, j’ai mis des détails amusants dans les scènes et les cadrages.
Cette fois-ci, je l’ai illustrée en technique traditionnelle, tout est fait au feutre pinceau noir et mis en couleur avec des feutres à alcool.
Si la collection Cache-Cache émotions s’adresse aux tout-petits, Le cauchemar du loup est destiné aux enfants un peu plus grands. Est-ce que vous prenez le même plaisir en dessinant pour ces deux publics ?
C’est ce que j’aime dans mon métier d’illustratrice. Je fais des choses très variées, j’aime changer d’âge de lectorat, je dessine pour les bébés, des albums pour 4-6 ans,
et pour les lecteurs jusqu‘à l’âge de 7-8 ans j’illustre des petits romans.
Ce sont des façons de travailler très différentes.
Comment travaillez-vous avec les maisons d’édition ?
En édition jeunesse je travaille à la commande, c’est-à-dire qu’un éditeur ayant déjà validé un texte me contacte pour que je l’illustre. Je trouve cela très enrichissant, car ce sont des histoires toujours très différentes, qui me sortent de mon propre univers et parfois de ma zone de confort.
Le fait d’avoir des commandes variées me plaît beaucoup. Ceci dit j’aimerais écrire mes propres livres, j’ai plusieurs demandes d’éditeurs à ce sujet. J’espère avoir du temps cette année pour me lancer dans ce projet.
Comment choisissez-vous vos projets en tant qu’illustratrice ?
Si c’est un livre, il faut que le texte m’inspire au moment où il arrive à moi, que j’aime le style d’écriture.
Pour les autres projets, il faut que je me sente à l’aise avec le médium Par exemple, j’aime travailler pour la décoration, je viens d’illustrer un papier peint, et j’ai adoré.
Aussi, il faut que le travail soit rémunéré correctement et que cela rentre dans mon planning.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Je dessine souvent sur ordinateur, avec une tablette numérique, mais j’ai deux techniques que j’affectionne et que j’utilise pour mes livres : l’aquarelle et les feutres.
Lorsque je rencontre des enfants dans leurs classes, je leur montre aussi que j’ai fait des images en cousant des tissus, en papier découpé, ils adorent voir ça, ça leur donne des idées de création.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Je suis très (trop ?) curieuse et je puise mon inspiration dans les livres d’art, arts graphiques, peinture, dans les musées et sur Internet.
Je fais chaque année des stages d’artisanat pour m’ouvrir à d’autres techniques (linogravure, art floral, bijouterie, céramique)…
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai toujours voulu faire un travail artistique, je viens d’une famille très portée sur les arts plastiques, mon oncle est peintre, mon grand-oncle était sculpteur.
Mon père est très manuel, il sait dessiner et fait des céramiques.
J’ai vraiment baigné là-dedans.
J’ai donc commencé par une section arts appliqués (std2a) pour mon bac, ensuite je me suis dirigée vers du graphisme, puis finalement je suis partie dans une école sur Lyon, à Émile Cohl, pour me spécialiser en illustration et BD, car c’est ce qui me plaisait le plus.
Ensuite, je me suis lancée en freelance, j’ai illustré mon tout premier livre la dernière année de mes études, une grande joie pour moi à l’époque. Avec ces premiers droits d’auteur je m’étais offert une machine à laver, le top !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’adorais les Caroline de Pierre Probst, mon goût pour les animaux humanisés vient certainement de là et des livres de Richard Scarry.
À la bibliothèque de l’école, je relisais sans cesse Le géant de Zeralda de Tomi Ungerer, et je dévorais les Tom-Tom et Nana. Mon livre favori était Le têtard mystérieux de Steven Kellogg paru à l’école des loisirs. Et un peu plus tard on m’a offert les livres de la comtesse de Ségur, je crois les avoir tous lus.
Puis, au début du collège, ma saga préférée était Les enfants Tillerman de Cynthia Voigt, surtout les Castor poche illustrés par Yves Beaujard, j’adorais le style de cet illustrateur.
Et puis j’étais très BD, des amis de mes parents avaient des collections assez conséquentes et je me réjouissais quand on allait chez eux.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Mes goûts pour les dessinateurs comme Ungerer, Sempé, Blake n’ont pas changé, j’adorais le trait génial de Cabu aussi.
Et je suis très touchée et inspirée par les artistes japonais comme Taro Gomi, les livres de la famille souris de Iwamura que je trouve indémodables comme ceux de Mitsumasa Anno, et les œuvres de Kazue Takahashi me plaisent énormément par leur simplicité.
Les histoires qui me touchent sont souvent sur le quotidien.
Et je suis fan des biographies.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Mon prochain album sortira en juillet, j’ai illustré un texte de Christine Naumann-Villemin,
Cette fois, on parle de la peur du noir. Célestin et le monstre paraîtra aux éditions Nathan.
Et puis avec les éditons Tourbillon nous sortons une nouvelle collection pour les bébés, BÉBÉLI. Le premier livre sera un très grand cartonné avec des choses à toucher et manipuler dès les premiers mois de l’enfant.
Bibliographie sélective :
- Célestin et le monstre, album, illustration d’un texte de Christine Naumann-Villemin, Nathan (à paraître le 4 juillet).
- Série Les cache-cache émotions, albums, illustrations (auteur·rice non crédité·e), Nathan (2024).
- Le cauchemar du loup, album, illustration d’un texte de François Vincent, Didier Jeunesse (2024).
- La petite poule rousse, album sonore, illustration (auteur·rice non crédité·e), Gallimard Jeunesse (2023).
- Série Mémé, albums, illustration de textes de Vincent Cuvellier, Nathan (2019-2021), que nous avons chroniquée ici.
- Série Les bébimagiers, albums, illustration (auteur·rice non crédité·e), Larousse Jeunesse (2019), que nous avons chroniquée ici.
- J’ai descendu dans mon jardin, livre-CD, illustration d’un texte d’Aimée de La Salle et Serena Fisseau, Didier Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Dokéo les animaux, album documentaire, illustration d’un texte de Cécile Jugla, Nathan (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Paris, album documentaire, illustration d’un texte de Sophie Crépon, Larousse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Mon livre d’éveil Dokéo, album documentaire, illustration d’un texte de Cécile Jugla, Nathan (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Hue, Poney !, album documentaire, illustrations (auteur·rice non crédité·e), Nathan (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Mizou le petit chat noir, livre-CD, illustration d’un texte d’Aimée de la Salle, Didier Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Pakita, la maîtresse magique !, livre-CD, illustration d’un texte de Pakita, Nathan (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Vive l’école, album documentaire, illustrations (auteur·rice non crédité·e), Nathan (2012), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Marion Piffaretti sur son site et sur Instagram.
Ce livre-là… Mathilde
Ce livre-là… Un livre qui touche particulièrement, qui marque, qu’on conseille souvent ou tout simplement le premier qui nous vient à l’esprit quand on pense « un livre jeunesse ». Voilà la question qu’on avait envie de poser à des personnes qui ne sont pas auteur·trice, éditeur·trice… des libraires, des bibliothécaires, des enseignant·e·s ou tout simplement des gens que l’on aime, mais qui ne font aucun de ces métiers. Cette semaine, notre invitée est Mathilde, libraire chez À livre ouvert (Chagny) et Instagrammeuse (@littlecookiie).
« Si vous deviez conseiller aux autres un seul livre qui a vraiment marqué votre rapport à la lecture, lequel choisiriez-vous ? »
J’ai posé cette question aux ados du club lecture que j’anime à la librairie et j’ai adoré écouter leurs réponses variées, mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils me la retournent. Comment n’en choisir qu’un, alors que j’en aime tellement ? Alors que plusieurs titres défilaient dans ma tête, une de mes participantes s’est exclamée d’un ton très surpris, presque offusqué : « Tu ne réponds pas Magic Charly ? », et d’un seul coup, l’évidence s’est imposée. Apparemment, j’ai tellement parlé de cette trilogie à mes clients qu’elle restera pour toujours associée à moi dans leur esprit… et je ne pourrais pas en être plus fière !
Magic Charly, c’est donc l’histoire d’un adolescent noir, aussi doux et gentil qu’il est grand et imposant, qui découvre tout à coup que sa grand-mère disparue depuis des années est non seulement en vie, mais également un membre éminent de la société des magiciers, dont il ignore évidemment tout. Ou plutôt, il a oublié, car la vieille dame lui avait appris des tas de choses dans sa petite enfance. Dame Mélisse, aujourd’hui, n’est plus que l’ombre d’elle-même : atteinte d’amnésie, elle risque fort de perdre les derniers souvenirs qui la maintiennent en vie. Charly n’a donc pas le choix, il lui faut devenir apprenti magicier afin de sauver sa grand-mère. Heureusement, il pourra compter sur un certain nombre d’alliés pour l’accompagner dans cette aventure : son chat et compagnon de toujours, Mandrin, sa nouvelle camarade, Sapotille, et même une serpillière apprivoisée répondant au curieux nom de Pépouze…
Concrètement, qu’est-ce qui fait que j’aime autant cette saga jeunesse que j’ai pourtant découverte à l’âge adulte ? C’est un mélange d’attachement aux différents personnages et de fascination pour cette intrigue saugrenue et captivante, et surtout une admiration sans bornes pour la subtilité avec laquelle l’autrice parvient à aborder des sujets pas si légers au fil de l’histoire, sans jamais se départir de l’humour et de la tendresse qui font la magie de son univers. Je ne vais pas tous les lister ici, ces thèmes importants, mais ils s’étendent de l’inégalité sociale à la définition même de la justice, en passant par la question primordiale du consentement.
C’est ce qui fait la force de la littérature jeunesse à mes yeux : la capacité d’aborder tous les sujets, même les plus délicats, sans jamais heurter la sensibilité d’un jeune public. Un exercice difficile, sans doute, mais dont le résultat est absolument fabuleux !
Si l’histoire de Magic Charly est particulièrement inclusive, je voudrais souligner que le format non plus ne laisse personne de côté : la trilogie est disponible en édition poche pour les petits budgets, en grand format pour le confort visuel, et en version audio pour une accessibilité plus grande encore.
Mathilde est libraire chez À livre ouvert (12, rue du bourg à Chagny en Saône-et-Loire). Vous pouvez également suivre ses conseils — ce que je vous recommande chaudement — sur son magnifique compte Instagram @littlecookiie.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !