Quand j’ai reçu le très beau La belle échappée (sorti chez Le Diplodocus), je me suis dit que ça serait l’occasion d’avoir pour invitées son autrice et son illustratrice. J’ai proposé à la première, Maylis Daufresne, de répondre à mes questions et à la seconde, Magali Dulain, de nous parler de quand elle crée. Toutes deux ont accepté, pour mon plus grand plaisir. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Maylis Daufresne
Parlez-nous de La belle échappée, que vous venez de sortir aux éditions Le diplodocus
Il y a des projets qui voient le jour très vite (ceci étant évidemment relatif compte tenu des délais liés à l’édition) et d’autres qui « murissent » pendant… plus ou moins longtemps !
La belle échappée fait partie de ces derniers.
Je me souviens précisément du moment où l’idée m’est venue de ce petit chat facétieux qui va réussir à convaincre les animaux de la forêt de laisser Alice sortir de chez elle pour passer une nuit de rêve et de jeux avec eux.
C’était il y a pratiquement 4 ans, sur un bateau de nuit entre Marseille et la Corse. La mer était un peu forte et je n’arrivais pas à dormir. Et tout à coup j’ai imaginé ce parallèle, que je trouvais amusant, entre le discours que pourraient tenir des animaux sur le comportement des enfants dans la forêt et celui de la maman quant à celui d’un petit animal sauvage qu’on laisserait entrer dans une maison… Et l’aventure qui se dédouble, chacun finalement ayant accès à l’univers de l’autre, créant une formidable complicité entre l’enfant et le chaton.
J’ai écrit l’histoire très vite mais ensuite il a fallu du temps pour trouver une maison d’édition qui l’adopte. Ça a été le cas avec Floriane et Matthieu, du Diplodocus. D’un commun accord nous avons ensuite proposé à Magali Dulain de donner vie à Alice et à ses compagnons.
À propos de Magali Dulain, ses illustrations sont absolument magnifiques, quelle a été votre réaction quand vous les avez reçues et comment avez-vous travaillé avec elle ?
Oui les illustrations de Magali sont très belles. C’est toujours extraordinaire de voir une histoire que l’on a écrite prendre vie grâce au talent d’une illustratrice ou d’un illustrateur, à chaque fois que je recevais une nouvelle image c’était un peu Noël ! Un mélange d’émotion et de ravissement…
Nous n’avons pas (encore) eu l’occasion de nous rencontrer avec Magali, tous les échanges se sont donc faits par mails interposés, et nous avons travaillé tout au long en étroite collaboration avec Floriane et Matthieu.
Peut-être pouvez-vous nous glisser aussi quelques mots sur Fanny et la nuit, sorti chez Alice Éditions (là encore vous avez été gâtée côté illustrations !)
C’est vrai que j’ai eu la chance de publier deux albums l’un à la suite de l’autre. Le hasard a fait que les deux abordent le thème de la nuit, mais traité très différemment.
Alice, l’héroïne de La belle échappée, regrette de ne pas pouvoir continuer à jouer dehors malgré la nuit qui approche. Elle ne va pas hésiter une seconde lorsque l’occasion se présentera de s’échapper dans les bois et de suivre les animaux sauvages pour y passer la nuit.
Fanny, à l’inverse, est une petite fille qui a peur de la nuit. Sur les conseils de sa maman elle va aller à la rencontre de la nuit. Une discussion va alors s’engager entre l’enfant et une nuit pleine de bienveillance et d’imagination, qui, à travers le jeu, va aider Fanny à l’apprivoiser et ouvrir une réflexion sur « les peurs » en général…
Ian de Haes a magnifiquement illustré cet album, il a une façon de traiter la lumière tout à fait particulière qui donne envie, je trouve, d’aller comme Fanny se glisser dans « sa robe de Nuit semée de poudre d’or »…
Comment naissent vos histoires ?
Oh là là je n’ai pas vraiment de « méthode » et c’est très variable d’une histoire à l’autre ! Il m’arrive de tourner très (très !) longtemps autour d’une idée et de ne jamais réussir à tirer le fil jusqu’au bout. J’ai de temps en temps des bribes d’histoires qui me viennent et que je note sur des petits papiers, qui aboutissent ou pas…
Il m’arrive aussi d’avoir tout à coup, sans avoir besoin de beaucoup y réfléchir, une idée qui tient la route tout de suite. Dans ce cas j’arrive à écrire très vite parce que pour moi c’est vraiment ça, la difficulté : trouver la « bonne » idée initiale. Une fois que je la tiens, l’histoire se déroule facilement.
Parfois c’est ma famille qui est à l’origine d’une histoire, ou qui m’aide à « débloquer » une situation sur laquelle je bute…
J’ai quand même remarqué que de « longues » périodes d’inaction forcée (plusieurs heures de trajet en voiture, une soirée assise dans une salle de concert…) favorisaient le travail d’imagination.
Ça peut donc être « fulgurant » ou au contraire le résultat d’une longue maturation !
Mais il y a aussi des thèmes qui me tiennent à cœur et sur lesquels, logiquement, j’écris plus spontanément.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Déjà toute petite je rêvais de vivre entourée de livres et je trimballais un bouquin à peu près partout. J’ai donc très naturellement choisi de faire des études littéraires, sans avoir d’idée très précise sur ce vers quoi j’allais m’orienter ensuite.
Ayant vécu quelques années dans différents pays africains, j’ai choisi de faire un 3e cycle de « Français Langue Étrangère » me permettant de partir dans des instituts français à l’étranger.
J’ai fait un premier séjour à Fès, au Maroc, où je partageais mon temps entre la médiathèque liée au centre culturel français et l’institut français où je donnais des cours.
J’ai enchainé avec une année à Bamako, au Mali, où j’ai travaillé là aussi pour différents projets initiés par le centre culturel, et sur un « wagon bibliothèque » qui circulait entre Bamako et la frontière du Sénégal. C’était une expérience extraordinaire, dans tous les sens du terme.
J’ai ensuite été libraire dans les locaux de Bayard presse-édition et dans la foulée dans la librairie de l’agence Voyageurs du Monde à Paris, spécialisée dans le voyage au sens large.
Toujours pour Voyageurs du Monde je suis partie à Toulouse ouvrir une librairie que j’ai gérée pendant 3 ans.
Les hasards de la vie m’ont ensuite amenée jusqu’à Bruxelles, où j’ai travaillé dans la très belle librairie Tropismes, au rayon jeunesse.
Et puis de fil en aiguille je me suis dit : « pourquoi ne pas essayer d’écrire » ? Même si cela me paraissait un rêve inaccessible… J’ai envoyé des textes à des éditeurs pendant 3 ans, en vain. Je commençais à me décourager quand j’ai été primée et éditée dans le cadre d’un concours de nouvelles. À partir de là, comme par miracle, les portes ont commencé à s’ouvrir. Bayard a retenu une première, puis une deuxième histoire pour « mes premiers j’aime lire », un de mes projets d’albums a bénéficié d’une bourse et a donc trouvé un éditeur…
Et de fil en aiguille j’ai pris de l’assurance, j’ai osé contacter des illustratrices et des illustrateurs dont j’admirais le travail, certains ont accepté un texte… et petit à petit ce travail d’écriture est devenu de plus en plus régulier !
Mais je ne m’en lasse pas, loin de là. À chaque fois que je trouve un·e binôme c’est le même grand bonheur, et à chaque fois que je reçois un de mes albums imprimés c’est… indescriptible.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Je me souviens avoir adoré, petite, les histoires de Béatrix Potter. J’étais aussi une fervente lectrice de J’aime lire et ça a été très émouvant de voir mes histoires publiées dans les magazines Bayard !
Enfant j’avais aussi une passion pour Alice aux pays des merveilles, Mary Poppins, les histoires de Roald Dalh (encore aujourd’hui l’eau me monte à la bouche lorsque je pense à Charlie et la chocolaterie), et les histoires du Petit Nicolas. Il y avait aussi Les contes du chat perché qui m’amusaient beaucoup… et bien d’autres encore !
Adolescente mes goûts étaient assez éclectiques. Je pense avoir lu tous les livres d’Agatha Christie, de Gaston Leroux, de Daphné du Maurier mais j’aimais aussi énormément les romans de Paul Auster, Le Clezio, Joseph Kessel, John Irving, Dino Buzzati. Je lisais aussi Gabriel Garcia Marquez, Sepulveda…
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
L’année 2020 est une très belle année pour moi d’un point de vue professionnel !
Mon premier roman jeunesse, La voie des loups, devait paraitre début avril aux éditions Magellan. L’actualité fait qu’il n’a pas pu partir à l’impression cette semaine et que sa parution va donc être retardée. Mais il est sur la ligne de départ. C’est une nouvelle page qui s’ouvre pour moi parce que c’est tout à fait différent d’écrire un roman ou d’écrire un album. Mais je me suis vraiment prise au jeu et cela m’a donné envie de renouveler l’expérience. Je commence d’ailleurs à en écrire un second…
En juin paraitra l’album Gabriel, illustré par Juliette Lagrange, aux éditions La Joie de Lire. Là aussi les illustrations de Juliette promettent d’être extraordinaires… Nous avons d’ailleurs un second projet en commun, pour lequel nous commençons à chercher un·e éditeur·rice.
Et puis un peu plus loin paraitra Au fil de l’eau, illustré par Stéphanie Augusseau, aux éditions Les p’tits bérets. Je me sens extrêmement chanceuse d’être entourée de personnes tellement talentueuses, qui donnent un tel souffle à mes textes. C’est un grand bonheur, renouvelé à chaque album.
Bibliographie :
- La belle échappée, album illustré par Magali Dulain, Le Diplodocus (2020).
- Fanny et la nuit, album illustré par Ian de Haes, Alice jeunesse (2020).
- Les vacances de Côme le fantôme, roman illustré par Pierre Van Hove, Bayard (2019).
- Boléro et Musette, album illustré par Baptistine Mésange, éditions Magellan (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Amath et le Lwas, avec Nathalie Paulhiac, éditions du Jasmin (2018).
- Un slouf dans la classe, roman illustré par Marion Puech, Bayard (2018).
- De l’autre côté, album illustré par Nathalie Paulhiac, éditions Cépages (2017), que nous avons chroniqué ici.
Quand je crée… Magali Dulain
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Magali Dulain qui nous parle de quand elle crée.
Mon atelier est à la maison depuis plusieurs années maintenant. Avant je partageais un lieu de travail avec d’autres artistes mais je n’arrivais pas à me concentrer et à me discipliner correctement ! Depuis, j’ai un espace dédié chez moi et tout est plus simple. C’est un endroit calme où sont tous mes livres, mes références, mes crayons, ma peinture, mon ordinateur, tout est à portée de main…
Mais je ne suis pas tout le temps toute seule pour autant car il m’arrive de travailler avec d’autres corps de métier tels que des compagnies de marionnettes avec qui je crée des décors, ou bien des écoles où j’interviens pour partager ma pratique.
Lorsque j’illustre un album, les personnages me viennent en tête tout de suite à la lecture du texte, ainsi que les paysages et l’ambiance qui les accompagnent. Je commence par dessiner les personnages de façon assez approfondie avant de me mettre à la construction du chemin de fer. Les croquis sont tous dessinés dans mon grand carnet, de sorte que je ne perde pas une seule idée, je ne gomme jamais, je garde toutes les traces de mes recherches. Mon chemin de fer tient souvent sur deux pages maximum, les croquis sont vraiment minuscules ! Mais l’idée est posée, je peux ensuite faire les dessins à la bonne taille, dans les bonnes proportions.
Je fonctionne à l’intuition, mes premières recherches sont souvent les bonnes. Seulement, des fois cela ne marche pas, ce serait trop facile ! L’élaboration d’un album issu d’un projet personnel par exemple est plus fastidieuse, je n’ai ni repères ni accompagnement, ni même l’assurance qu’il sera édité ! Je n’écris pas mais je collabore régulièrement avec une amie auteure qui a une plume que je n’aurais probablement jamais ! Je prends beaucoup de plaisir à réaliser ce genre de projets car ils me permettent d’avancer dans ma pratique et dans ma réflexion, c’est un moment où l’on peut se détacher du format livre et de ses conventions, c’est-à-dire que tout est possible et envisageable.
D’ordre général, je travaille mieux dans le silence et en journée mais il me faut régulièrement soit de la musique, soit une bonne émission de France Culture pour ne pas me sentir trop seule. Mon moment préféré dans toutes ces étapes reste quand je peux enfin partir dans les détails de mon illustration que je viens de réaliser pendant plus ou moins 8 h, le tout dernier trait de crayon m’offre un sentiment de grande satisfaction à chaque fois !
Magali Dulain est illustratrice.
Bibliographie sélective :
- Monsieur Reste-Ici et Madame Part-Ailleurs, illustration d’un texte d’Agnès de Lestrade, Kilowatt (2020).
- Où tu lis, toi ?, illustration d’un texte Céclile Bergame, Didier Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Louise, illustration d’un texte de Stéphanie Demasse-Pottier, L’étagère du bas (2017), que nous avons chroniqué ici.
- La roulotte de Zoé, illustration d’un texte de Claude Clément, Les éditions des éléphants (2015).
- Le renard perché, illustration d’un texte de Simon Quitterie, Casterman (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Je m’appelle Nako, illustration d’un texte de Guia Risari, Le Baron perché (2014).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Bonjour,
Merci pour ces éclairages sur ces auteurs. A la maison, nous avons et aimons beaucoup “La roulotte de Zoé”, une langue savoureuse, de délicats dessins …et la magie opère !