Aujourd’hui, je vous propose de découvrir le parcours de l’autrice-illustratrice Nina Neuray dont j’ai adoré le premier album À la lisière. Elle nous parle de ses premiers amours littéraires, de ses inspirations et de ses projets avec passion. Puis, c’est Clémence Sabbagh qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule !
L’interview du mercredi : Nina Neuray
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai toujours adoré dessiner. Dès mes 6 ans, j’ai commencé à remplir des carnets et ça ne m’a pas quittée depuis ! J’étais poussée par mes parents (tous deux artistes) à continuer dans cette direction et à l’adolescence, il était évident pour moi que je me tournerais vers des études créatives. Je suis donc entrée à l’Institut Saint-Luc secondaire à Bruxelles. Après trois années de formation à l’image, j’ai rejoint la section illustration à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, sous la direction d’Anne Quevy. C’est là que j’ai développé mon intérêt pour la narration et le rapport texte-image. Le dessin me vient de façon évidente, mais l’écriture représente un challenge pour moi et ces études m’ont vraiment permis de m’ouvrir à cette partie-là du métier.
Quelles étaient vos lectures enfant et adolescente ?
Mon apprentissage de la lecture a commencé avec la découverte de ma dyslexie, mes débuts ont donc été assez laborieux. J’étais très timide étant enfant et j’ai donc fini par trouver un vrai refuge dans l’univers qu’ouvrent les livres, bien qu’il reste teinté d’une part de défi. J’adorais les histoires d’animaux, j’étais complètement fan du livre de Geoffroy de Pennart, Le loup est revenu !, et de De la taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête de Wolf Erlbruch et Werner Holzwarth. Les livres de Mario Ramos et de Kitty Crowther m’émerveillaient aussi. Quand j’ai commencé à lire par moi-même, ce sont plutôt des livres d’aventures, comme ceux de Jean-Claude Mourlevat, qui m’ont passionnée. J’adorais aussi les romans de Marie-Aude Murail, qui amenaient une touche de fantastique dans le quotidien. Adolescente, j’ai commencé à lire plus de BD, grâce au journal Spirou.
Quels sont les illustrateurs et illustratrices qui vous ont inspirée ?
J’ai découvert le travail de Marine Schneider pendant mes études en illustration et je suis très vite devenue fan. Selon moi, la force de sa narration se situe au niveau de ses paysages. Les émotions des personnages transparaissent à travers ses masses de couleurs et ses atmosphères. Elle représente si bien les terres vastes, où le mystère reste accueillant. Les albums d’Anne Brouillard m’ont aussi fascinée, ses grandes illustrations qui se déploient entre la carte et le paysage me donnent toujours envie de me mettre à dessiner. Le travail de ces deux autrices a confirmé mon désir de créer un album où les lieux ont une place centrale dans le récit. Bien sûr, les livres de Kitty Crowther et de Tomi Ungerer m’ont aussi accompagnée de mon enfance jusqu’à la vie professionnelle. Plus récemment, j’ai aussi découvert les histoires de Camille Jourdy, qui m’ont bouleversée et me donnent maintenant envie de me lancer dans la BD !
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Je travaille en mélangeant plusieurs techniques pour avoir accès à un large panel de matières différentes. J’utilise souvent de la gouache, de l’encre de Chine, des encres acryliques, des ecolines et parfois, des crayons de couleur. Le plus important pour moi est d’arriver à créer des ambiances distinctes, par exemple, le passage du jour à la nuit, le roulement des saisons ou les variations d’émotions que je veux transmettre dans une scène.
Comment choisissez-vous vos projets ?
Lorsqu’on me propose des textes à illustrer, mon réflexe est d’observer si des images me viennent en tête lorsque je lis une première fois l’histoire. Je m’attache au texte lorsque je me dis : « J’ai envie de savoir à quoi ressemble ce personnage ! » ou « Comment représenter cet univers ? ». Je choisis également des projets qui génèrent une émotion chez moi.
Le premier livre que j’ai illustré est celui d’Elisa Sartori, Les polis Topilins, sorti chez Thierry Magnier en 2023. J’ai eu envie de travailler sur cet album, car le texte est très drôle, des images me sont rapidement venues en tête, mais aussi parce que j’ai lu un sous-texte dans l’histoire. À première vue, c’est une aventure rigolote d’animaux inconnus qui cherchent à se faire connaître, mais le récit parle aussi d’invasion du territoire et des travers de la célébrité. J’ai eu envie d’insister sur ces points-là dans mes illustrations et Elisa m’a donné l’espace pour développer cette partie de la narration.
À la lisière est votre premier album en tant qu’autrice-illustratrice. Comment le projet est-il né ? Pourquoi avoir choisi de travailler sur cette thématique ? Pouvez-vous nous le présenter ?
À la lisière a germé dans mon esprit en automne 2020, lorsque j’étais encore aux études. Nous étions en pleine période de confinement et j’habitais dans un quartier très boisé de Bruxelles. Ces mois de réclusion m’ont permis de découvrir la forêt, les vallons, les petites ruelles et les coins cachés autour de chez moi. À cette période, j’ai lu un article qui racontait qu’à la sortie du premier confinement, en Allemagne, une école maternelle avait retrouvé le terrier d’une famille de renards, creusé dans le bac à sable de leur plaine de jeux. Ce petit fait divers m’a amusée, et j’ai eu envie d’imaginer ce qu’il pourrait se passer quand nous ne sommes pas là. Mon intention était de créer des situations dans lesquelles les animaux découvrent ces espaces vides et inventent une façon de s’adapter à leur environnement. Ensuite, le sujet de la place du sauvage en ville et de notre relation au territoire s’est un peu imposé à moi. Le retour des humains dans le parc déserté vient briser le petit monde idyllique que les animaux se sont créé. Il m’a semblé important de refléter une certaine réalité dans ce projet, puisque les questions autour de la gestion des lieux inoccupés, des frontières et de la migration sont des sujets sensibles et politiquement engagés. J’ai voulu représenter l’indécision qui fait souvent face à ces sujets-là, car finalement, dresser une frontière est une manière de ne pas se confronter, mais seulement de camoufler.
Les paysages que je représente ressemblent beaucoup aux abords de Bruxelles, à la lisière entre ville et banlieue, mais aussi à la frontière entre la région francophone et flamande. Les discussions autour du vivre ensemble et de la mixité culturelle ont une grande place à Bruxelles. À travers cet album, j’ai eu envie de représenter un petit bout de tout ce climat politique qui m’habite depuis longtemps.
Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets ?
Je travaille en ce moment sur un projet de roman graphique pour adultes. C’est un travail assez dense, où je développe des métaphores autour du contrôle exercé sous plusieurs formes : à travers le corps, les liens sociaux au travail et dans la bulle familiale, ainsi que par la gestion et la rentabilisation des espaces naturels. C’est donc un gros projet de livre qui me tient beaucoup à cœur et pour lequel je suis encore à la recherche d’une maison d’édition !
Bibliographie jeunesse :
- À la lisière, texte et illustrations, La Partie (2024), que nous avons chroniqué ici.
- Les polis Topilins, illustrations d’un texte de Elisa Sartori, Thierry Magnier (2023).
Retrouvez Nina Neuray sur Instagram.
Le coup de cœur et le coup de gueule de Clémence Sabbagh
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Clémence Sabbagh qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule…
Un coup de gueule d’abord ! Un coup de gueule contre les groupes de niveaux qui doivent être mis en place dans les classes de 6e et de 5e à la rentrée prochaine. Beaucoup d’articles ont été publiés sur le sujet, je ne vais donc pas redire ce qui a déjà été fort bien argumenté ailleurs. Mais cette idée de trier les élèves me met en rogne ! Pourquoi toujours chercher à se comparer les uns aux autres, à s’opposer, quand on pourrait, en groupe, construire des projets qui nous réunissent ?
La forte mobilisation de la communauté éducative et des parents contre ce tri social des élèves n’a changé en rien le projet de réforme. Ah si, son nom : ce sont maintenant des « groupes de besoins »… Grrr !
Un gros coup de cœur pour la compagnie franco-catalane Baro d’evel.
Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias savent décidément tout faire ! Danse, musique, chant, théâtre, cirque, dessin, clown, poterie… Ces deux-là mélangent les genres pour nous proposer un spectacle total, qui se poursuit parfois en fanfare dans la rue après les représentations. Là, Falaise, Mazut, La cachette : leurs pièces sont inclassables, tellement les comédiens-danseurs-musiciens jouent avec les langues, les corps, les animaux, les sons et l’espace. Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias ont construit un univers singulier qui questionne notre humanité, toujours avec humour et tendresse. À chaque instant, une surprise, un rire, une question. Un cheval blanc traverse un décor noir. Un corbeau noir survole un espace blanc. Une fresque en mouvement qui se dessine sur les murs noirs ou blancs, selon les pièces. Du noir et du blanc qui s’opposent, qui se complètent et s’entrelacent. Dans ces instants suspendus, je savoure, émerveillée, ces tableaux poétiques. Pour moi, le spectacle vivant n’a jamais aussi bien porté son nom ! Je ressors de chacune de leurs pièces éblouie, habitée de leur énergie créatrice. Et avec une envie, celle d’embrasser l’art à plein corps et de le partager.
Clémence Sabbagh est autrice. Le truc bidule, son dernier album en date, est sorti aux éditions Casterman ce mois-ci. Il est illustré par Adrienne Barman.
Bibliographie sélective :
- Le truc bidule, album illustré par Adrienne Barman, Casterman (2024).
- Comme les animaux, album illustré par Delphine Renon, Casterman (2024).
- Les fruits et les légumes de mon assiette, album illustré par Carole Barraud, Casterman (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Mauvaise graine, album illustré par Teresa Arroyo Corcobado, Maison Eliza (2023).
- Orange jardin, album illustré par Magali Dulain, Le Diplodocus (2023).
- Brun jardin, album illustré par Elo, Le Diplodocus, que nous avons chroniqué ici.
- Une histoire de regards, album illustré par Bérengère Mariller-Gobber, Le Diplodocus (2022).
- Poulette, album illustré par Magali Le Huche, Les fourmis rouges (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Vert jardin, album illustré par Teresa Arroyo Corcobado, Le diplodocus (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Les Grrr en vacances, album illustré par Agathe Moreau, Le Diplodocus, que nous avons chroniqué ici.
- Rouge jardin, album illustré par Teresa Arroyo Corcobado, Le Diplodocus (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Bleu jardin, album illustré par Teresa Arroyo Corcobado, Le Diplodocus (2021), que nous avons chroniqué ici.
- La grande course des Jean, album illustré par Magali Le Huche, Les fourmis rouges (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Bonjour le monde !, album illustré par Margaux Grappe, Maison Eliza (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Les Grrr, album illustré par Agathe Moreau, Le Diplodocus (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Rose cochon, album illustré par Françoise Rogier, À pas de loups (2017), que nous avons chroniqué ici.
Née au début des années 90s, tour à tour professeure, amoureuse de la vie, de la littérature, de la musique, des paysages (bourguignons de son enfance, mais pas que…), des films d’Agnès Varda, des vers de Cécile Coulon et des bulles de Brétecher. Elle a fait siens ces mots de Victor Hugo “Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent”.