Aujourd’hui, on reçoit Olivier Dupin, auteur et illustrateur, qui vient de sortir Bouc Bleu (chez Gautier-Languereau) et Comment ça marche un conte ? (chez Les 400 coups). Ensuite, c’est Juliette Vallery, autrice dont on suit le travail depuis longtemps et dont l’album Peluche, Boule de poils et Noël blanc vient de paraître au Seuil Jeunesse, qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule.
L’interview du mercredi : Olivier Dupin
Pouvez-vous nous parler de Bouc Bleu, votre album sorti il y a quelques mois chez Gautier-Languereau ?
Il s’agit d’une parodie du conte de Perrault Barbe bleue. Le texte y est évidemment adapté, modernisé, avec énormément d’humour. Je me moque un peu des mœurs de l’époque en exagérant les situations, pour les rendre absurdes, et en ajoutant des détails rigolos. Bien entendu, pas de meurtre dans cette version, mais tout de même un terrible secret dévoilé.
Une nouvelle fois, vous partez d’un conte, une de vos spécialités ! D’où vient cette passion pour les contes détournés ?
Je ne suis pas a priori un spécialiste de la question, mais à force de travailler dessus, ça commence à bien fournir ma bibliographie. La principale raison de ce choix est mon amour des contes traditionnels. J’ai adoré en lire à mes enfants ou à mes élèves quand j’enseignais encore. Détourner ou parodier les contes, c’est à la fois leur rendre hommage, les dépoussiérer, mais aussi relever les aspects qu’on aime un peu moins (les visions sexistes notamment). Il y a tellement à dire et à faire autour des contes !
Les contes, c’est aussi le sujet de Comment ça marche, un conte ?, votre dernier album aux 400 coups. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Celui-ci est plus pédagogique. L’album met en avant, de façon simplifiée et, autant que possible, humoristique, la structure du conte. Sur la page de gauche, on explique qu’il y a d’abord la situation initiale, l’élément déclencheur, etc., et sur la page de droite, l’exemple à travers quatre contes connus (Le Petit Chaperon rouge, Blanche-Neige, Le Petit Poucet et Le Vilain Petit Canard). De cette façon, on saisit bien la constance de certains éléments. On peut lire les quatre histoires en même temps, mais on peut également parcourir le livre quatre fois pour suivre chaque histoire indépendamment des autres. Chaque conte est raconté avec un maximum d’humour. C’est un album qui me tient à cœur, d’une part parce qu’il cristallise un peu tout le travail que j’effectue sur les contes depuis des années (à la fois en tant qu’auteur ou qu’enseignant), et d’autre part car je l’ai également illustré.
Vous n’y êtes pas tendre avec le Vilain Petit Canard, une vengeance personnelle ?
Pas du tout. Le conte de base est sacrément cruel. Beaucoup de contes le sont. J’aime bien apporter des touches d’humour noir dans mes récits, alors je ne m’en prive pas.
Vous aimez aussi parler de sujets forts. Je pense notamment à Un renard dans mon école sur le harcèlement ou Pendant que le loup y est dans lequel vous abordiez la maladie. C’est important pour vous de traiter ce genre de sujet dans les livres pour enfants ?
Il y a plusieurs fonctions aux livres jeunesse, mais les deux qui me touchent le plus sont : divertir et parler de sujets difficiles. C’est essentiel de proposer aux jeunes lecteurs et à leurs parents des albums sur tous les obstacles qu’ils peuvent rencontrer dans leur vie. Tous les sujets ne touchent pas tous les lecteurs, bien sûr, mais il est indispensable qu’une famille touchée par la maladie, par exemple, puisse trouver au moins une histoire qui leur permettra d’aborder le sujet en douceur, et pourquoi pas avec un peu de poésie.
Y a-t-il des thèmes qu’on ne peut pas aborder en littérature jeunesse ?
Je crois que tous les thèmes peuvent être abordés. C’est le traitement qui doit être adapté au lectorat. Les albums ont souvent plusieurs niveaux de lecture. Le thème est parfois caché et n’est pas accessible frontalement par un jeune lecteur. C’est ce que j’essaie de faire dans mon album Barbouillé, où la peinture et les taches sur les vêtements symbolisent respectivement les violences domestiques et les hématomes. Sans la clé de décodage, un jeune lecteur ne saisira pas le fond. Mais avec un accompagnement, le sens se révèle.
Intervenez-vous sur le travail des illustrateur·rices ?
S’ils me sollicitent pour avoir mon avis, oui. Sinon, je m’en tiens à vérifier si des éléments ne sont pas en contradiction avec le texte. Pour le reste, je les laisse illustrer comme ils interprètent le texte.
Qui sont vos premier·ères lecteur·rices ?
Ce sont généralement mes enfants ou ma compagne. Pour corriger mes fautes d’orthographe ou me dire si quelque chose ne va pas. Comme ils sont très gentils, ils trouvent généralement l’histoire très bien. Leur faire lire me permet de me rassurer.
Parlez-nous de votre parcours.
Je ne me suis pas lancé dans la littérature jeunesse très tôt, j’avais 30 ans. C’est un monde que je ne connaissais pas avant de devenir maître d’école. J’ai lu beaucoup de romans et d’albums avec mes élèves et ça m’a donné envie de me lancer. J’ai cumulé ces deux activités pendant une dizaine d’années, et j’ai fini par arrêter d’enseigner pour me consacrer à la littérature. Je garde quand même un petit orteil dedans, car je travaille régulièrement avec des éditeurs scolaires sur des manuels ou des cahiers de devoirs de vacances. Petit à petit, je me suis lancé dans l’illustration, afin de faire des albums entièrement. Ça ne représente qu’une petite partie de ma production, mais j’en suis très fier.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Je lisais très peu. Je m’y suis mis doucement à l’adolescence avec Stephen King, notamment. Je composais avec les romans de la bibliothèque familiale. J’ai lu Pagnol, Barjavel, Philip K Dick. En somme, pas trop de littérature jeunesse.
Je sais que vous avez plein d’histoires dans les tiroirs, quelles sont les prochaines que l’on va découvrir ?
En septembre est sorti un projet assez nouveau pour moi, puisqu’il s’agit d’une BD documentaire sur l’espace aux éditions Fleurus. C’est un travail très différent de ce que je fais d’habitude. C’est très pédagogique et les contraintes sont nombreuses. Au final, c’est un livre très intéressant.
J’aurai bientôt quelques nouvelles déclinaisons du Petit Chaperon rouge (c’est mon conte favori), avec une version samouraï, chez Circonflexe (Aka la samouraï, illustré par Éloïse Mutter), et une version bikers chez Frimousse (Sally Chopper, illustré par Mickaël Roux). J’ai également eu le plaisir de (re)collaborer avec Layla Benabid sur l’album Tant que l’on s’en souviendra, au Pas de l’échelle.
Et dans quelques mois, l’une des sorties que j’attends particulièrement est un album très émouvant qui paraîtra chez Glénat avec l’un des illustrateurs que j’admire le plus, Barroux.
Bibliographie sélective :
- Comment ça marche, un conte ?, album, texte et illustrations, Les 400 coups (2023).
- Cerise à travers l’espace, album illustré par Grégoire Mabire, Mijade (2023).
- Aka la samouraï, album illustré par Éloïse Mutter, Circonflexe (2023).
- L’abécédaire des animaux patates, album, texte et illustrations, Les rêves d’Ily (2023).
- Bouc Bleu, album illustré par Florent Bégu, Gautier-Languereau (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Red Lili, album illustré par Hervé Le Goff, Gautier-Languereau (2022).
- Le vigile, album illustré par Élodie Duhameau, Les 400 coups (2022).
- 7 histoires de pirates, album illustré par Charlotte Bruijn, Fleurus (2022).
- Les mouzes, album illustré par Gwenaëlle Doumont, Alice Jeunesse (2022).
- Le Petit Chaperon rouge, album, texte et illustrations, Les 400 coups (2021).
- Un renard dans mon école, album co-écrit avec Lola Dupin, illustré par Ronan Badel, Gautier-Languereau (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Cette fois, c’est la guerre !, album illustré par Élodie Duhameau, Gautier-Languereau (2019).
Retrouvez Olivier Dupin sur Instagram.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Juliette Vallery
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Juliette Vallery qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule…
Hop, une tribune, je m’en empare ! Merci, Gabriel, merci, la Mare ! C’est de cette fameuse phrase dont je veux vous parler. Entendue encore la semaine dernière à une rentrée littéraire.
« Je n’écris pas de la littérature pour la jeunesse. J’écris de la littérature, tout court. » La phrase fait suite à une question du public. Le romancier vient de présenter avec brio son dernier roman et d’en lire un extrait bouleversant. Oui, c’était bel et bien de la littérature de haut vol. Mais ses seuls mots suffisaient à le prouver. Fallait-il vraiment brandir cette opposition parfum naphtaline pour s’en assurer ? Il y aurait donc encore des gens pour croire que prononcer le mot « jeunesse » enlève au mot « littérature » ses lettres de noblesse… Et pire, chez les auteurs eux-mêmes qui en portent l’étendard !
Là, j’avoue, je me suis demandé si nous n’étions pas revenus en l’an moins 24 avant Timothée de Fombelle et Maurice Sendak.
Et une irrésistible envie m’est venue de sauter à pieds joints dans la Mare pour crier à tous les canards : oui, j’écris pour la jeunesse ! Parce qu’elle est ma fenêtre ouverte sur un monde où l’humour et la poésie s’engouffrent avec une grâce qui devrait faire pâlir les adultes de jalousie. Oui, c’est à la jeunesse que je m’adresse parce qu’elle est le sésame contre une réalité tout étiquetée qui endort notre imaginaire et notre liberté. Oui, j’écris de la littérature jeunesse, parce que, si la littérature est cette capacité de donner à percevoir avec un autre regard, celui des enfants est mon plus précieux espoir.
Si tout cela est encore un débat, alors, allons-y, je vous attends. Prenons gaiement le pouls de notre temps.
Juliette Vallery est autrice. Une seconde aventure pour Peluche, Peluche, Boule de poils et Noël blanc, toujours illustré par Chloé Malard, vient de paraître au Seuil Jeunesse.
Bibliographie jeunesse
- Peluche, Boule de poils et Noël blanc, album illustré par Chloé Malard, Seuil Jeunesse (2023).
- Peluche, Un grand bain d’automne, album illustré par Chloé Malard, Seuil Jeunesse (2023).
- Les pieds en l’air, album illustré par Héloïse Solt, Mango (2023).
- Ma maman seulement, album illustré par Charles Dutertre, Mango (2023).
- Un chien à la récré, album illustré par Aki, Mango (2022), que nous avons chroniqué ici et là.
- La sorcière du potager, album illustré par Maurèen Poignonec, Bayard jeunesse (2022).
- Monstre du placard, bonsoir !, album illustré par Maurèen Poignonec, Bayard jeunesse (2021).
- Trois fantômes pour un anniversaire, album illustré par Maurèen Poignonec, Bayard jeunesse (2021).
- Mission dragon, Trésor à Bâbord, album illustré par Anna Aparicio Català, ABC Melody (2021).
- Mission dragon, Princesse en détresse, album illustré par Anna Aparicio Català, ABC Melody (2020).
- Série Patabulle, albums illustrés par Tristan Mory, Actes Sud junior (2011-2016), que nous avons chroniqués ici, là et ici.
- Au chat et à la souris, album illustré par Rémi Saillard, L’élan vert (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Caché dans la mare, album illustré par Sébastien Pelon, Amaterra (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Victor et les brigands, album illustré par Magali Bardos, L’Étagère du bas (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Croque-moi si tu peux !, album illustré par Clémentine Sourdais, Amaterra (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Série Les Pops, albums illustré par Tristan Mory, Albin Michel (2014), que nous avons chroniqué ici et là.
- Coucou chatouilles !, album illustré par Yu-Hsuan Huang, Albin Michel Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !