La première invitée du jour, c’est Orane Sigal, qui vient de sortir Dans ma maison aux éditions L’Agrume. Elle a accepté de répondre à mes questions. La seconde invitée, c’est Madeleine Brunelet, qui vient de sortir un nouvel opus de sa série Les années crèche sous le titre Les écrans, c’est pour les grands dont le texte est signé Flore Brunelet. Elle nous ouvre grand les portes de son atelier pour nous faire découvrir comment elle crée .
L’interview du mercredi : Orane Sigal
Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Illustratrice depuis cinq ans, c’est aux Arts décoratifs de Strasbourg (HEAR), que j’ai développé et adopté mon propre style graphique.
Mon expérience professionnelle et personnelle m’amène à travailler dans différents corps de métiers liés à l’illustration : l’édition, le design textile, la peinture murale, la céramique, ainsi que différents supports de communication.
J’expose mon travail en collection permanente à la Slow Galerie à Paris, et mon parcours a été rythmé par plusieurs expositions dans des galeries françaises.
J’ai été lauréate du concours Jeunes Talents organisé par Les Agents Associés en 2019, et je suis depuis ce jour représentée par La Slow Agence à Paris.
En 2020 je crée La Sigalerie, galerie en ligne de tirages d’art en éditions limitées de mes illustrations, qui se déploie physiquement très prochainement à Lyon.
Le Grand Voyage, publié en 2019, aux éditions L’Agrume, est mon premier projet éditorial. Il signe le début d’une grande aventure. En 2021 j’illustre La Danse de l’Oiseau, aux éditions de La Martinière Jeunesse, écrit par l’auteure Céline Ripoll. Enfin, mon dernier album jeunesse, Dans ma Maison, vient d’être publié.
Dans le cadre du programme Création en Cours, mis en place par Les Atelier Médicis, je rentre d’une résidence artistique à la Réunion, où j’ai commencé à travailler sur un quatrième album, L’île aux mille couleurs, en parallèle d’un projet artistique mené avec une classe de primaire.
J’aimerais justement que vous nous disiez quelques mots sur Dans ma maison, votre album qui vient de sortir chez L’Agrume.
J’ai écrit Dans ma maison durant le premier confinement. Mon univers habituel est lié au monde vivant, au végétal et à la nature et au voyage. Je me suis intéressée cette fois-ci à l’univers du chez-soi, de l’intimité en me lançant un nouveau défi.
Dans un livre en forme de maison, je raconte l’univers d’un petit garçon et toutes les maisons qu’on y rencontre. Léon nous fait pénétrer dans son univers où chacun a sa petite maison à soi : le chien a sa niche, maman la serre fleurie et papa son atelier.
Quand on est enfant, on passe aussi beaucoup de temps à l’école, c’est un peu comme une deuxième maison. Et quand sonnent les grandes vacances, on embarque dans la petite maison roulante, direction la maison des grands-parents où il y a encore tout un nouveau monde à découvrir : la cabane au fond du jardin, celle du bord de mer.
Quand les vacances sont finies, on rentre tous à la maison, car c’est là où on se sent le mieux.
Comment est né ce projet et comment avez-vous travaillé dessus ?
En face de chez moi, il y a une maison de ville magnifique avec une grande verrière qui évoque une serre, un toit en triangle et de grandes fenêtres qui laissent percevoir l’intérieur. Je la regardais beaucoup durant ces temps de confinement, elle me faisait m’évader et elle m’a inspiré ce projet.
J’ai toujours aimé la forme de la maison, cette maison au toit pointu que l’on dessine lorsque l’on est enfant. Dans mon processus créatif, la contrainte m’aide beaucoup à produire. Elle était toute trouvée, le récit devait être construit dans cette forme.
Où trouvez-vous l’inspiration ? Comment naissent vos histoires ?
L’inspiration vient de mon quotidien. Je voyage beaucoup, je photographie énormément de choses, d’objets, de moments. Cela a fait naître nombre de mes créations.
Cette fois-ci c’était différent, nous étions figés dans l’espace. Le voyage était toujours là mais il était sensoriel. J’ai redécouvert des objets de mon quotidien. Dans ce dernier album il y a même mon chat Zephyr et plein de références à des objets de ma propre maison.
Je rassemble beaucoup d’idées sur des feuilles volantes, je les trie, je les laisse errer dans un coin de ma tête, et je reviens dessus plus tard. Je mets beaucoup de temps à faire un album, il doit mûrir doucement pour que je puisse finalement coucher les choses sur le papier.
Qu’est-ce qui est arrivé en premier, les dessins ou l’histoire ?
Pendant longtemps, j’ai créé mes images en même temps que le texte. Ce dernier devenait presque un prétexte à créer de belles images et c’était une grande perte de temps et d’énergie car on se rend compte à la fin de la création que plusieurs de nos planches ne peuvent pas servir le récit qui s’est finalement imposé.
Ces dernières années, j’ai vu les processus s’inverser et se construire différemment, le travail en étroite collaboration avec un éditeur aidant à cela. La visualisation d’un ouvrage devient plus claire dans mon esprit avant de passer à la création pure. Pour Dans ma maison, j’ai donc créé le texte en pensant bien sûr à la forme de l’ouvrage et les images sont venues ensuite.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Je varie les techniques entre Posca, gouache, et papiers découpés, dans un jeu de formes et de couleurs, associant des tons francs et contrastés. En m’inspirant de grands peintres impressionnistes, naïfs et expressionnistes (Le Douanier Rousseau, Matisse, Gauguin) je crée des scènes de vie, végétales ou animalières. Ces décors sont teintés aux couleurs des voyages physiques ou imaginaires qui rythment mon quotidien.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire actuellement ?
Magali Attiogbé et Lil Sire pour leurs univers merveilleux, Anne Laval pour sa poésie, Virginie Morgand pour sa fraîcheur, Adria Fruitos pour la force de ses images, Leona Rose pour ses fresques et son engagement.
Et tant d’autres encore !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Le livre qui m’a le plus marquée enfant, c’est un classique, Petit-Bleu et Petit-Jaune de Leo Lionni, et je le considère toujours comme l’un des plus beaux livres jeunesse qui soit.
J’emportais également Arc-en-ciel de Marcus Pfister partout avec moi. Peut-être que ces deux albums ont marqué le début de mon rapport fort avec la couleur.
Dans ma chambre d’enfant j’avais une immense affiche de L’Oiseau de Ciel de René Magritte et c’est une image qui reste gravée dans ma mémoire.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
J’espère que L’île aux mille couleurs, fruit de ma résidence à la Réunion sera publié. Pour l’instant, c’est un travail que j’ai voulu solitaire car très introspectif. Je l’ai laissé de côté pour me consacrer à d’autres projets actuellement mais il continue de mûrir dans ma tête.
J’aimerais également revenir sur mon projet de diplôme aux Arts décoratifs, inspiré par un magnifique conte d’Andersen, Le Rossignol et l’Empereur de Chine. J’avais créé un livre avec des ouvertures et des jeux de découpe allant dans le sens du récit. C’est un projet que j’aime toujours autant même si j’ai énormément évolué dans mon style depuis.
Je pense donc que l’année 2022 sera rythmée par l’avancée de ces deux ouvrages.
Bibliographie :
- Dans ma maison, texte et illustrations, L’agrume (2022).
- La danse de l’oiseau, illustration d’un texte de Céline Ripoll, La Martinière Jeunesse (2021).
- Le grand voyage, texte et illustrations, L’agrume (2019).
Retrouvez Orane Sigal sur son site et sur son compte Instagram.
Quand je crée… Madeleine Brunelet
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Madeleine Brunelet qui nous parle de quand elle crée.
Le processus commence par la découverte d’un texte. Un cadeau qu’on me fait, et qui, si il est trop beau peut m’inquiéter un peu au premier abord ! Qu’ajouter à cela ?
Comment rester proche de l’intention, en ajoutant un brin de trahison sans lequel l’image n’aurait pas grand intérêt ?
Il faut ingurgiter l’histoire et se l’approprier. Cette étape peut durer un certain temps sans que je touche un crayon ou presque, je peux poser un bout d’idée sur papier, mais surtout, j’y pense beaucoup : quand je m’endors, quand je me réveille, quand je barbotte à la piscine, quand je fais brûler le dîner… J’ai en général besoin de ce sas pour m’y mettre en confiance.
Et puis quand le précédent projet se termine, il faut bien commencer !
– Silence et concentration !
Je travaille chez moi, alors, hormis le chien qui me propose une balade avec parfois un peu d’insistance, et le chat qui, quand il décide que c’est l’heure du repas, se balade sur mon clavier, je suis au calme.
Je commence toujours par la recherche des personnages.
Ensuite, je m’attaque à la construction d’un chemin de fer, d’abord mal gribouillé en recherchant un rythme général.
Puis viennent les crayonnés, ils sont assez précis et il arrive que mes gribouillages me donnent du fil à retordre : ça avait l’air simple comme ça mais quand il faut aller plus loin ! Ça bute, ça renâcle et je m’acharne toujours un peu trop longtemps avant d’être raisonnable et de lâcher l’affaire pour une heure ou deux en passant à une autre image.
Il arrive aussi que trop de concentration me nuise. Un p’tit coup de fil auquel je réponds tout en continuant à dessiner sans y penser peut faire des miracles !
Tout au long de ce processus, je remets régulièrement tout en question. Je doute beaucoup, je recommence, je m’énerve ou alors ça coule tout naturellement et sans effort et ce sont toujours les meilleures images.
Quand je suis à peu près satisfaite, car je ne le suis jamais vraiment, vient l’échange avec l’éditeur. Chouette ! Un autre regard ! Un délice quand il m’emmène plus loin avec intelligence et talent.
Après quelques allers-retours, vient la mise en couleur.
• En avant la musique !
Depuis assez longtemps maintenant je travaille à la tablette graphique. Je ne gagne pas de temps, mais il y a tant de choses à explorer ! C’est très amusant, on bidouille autant qu’en tradi. Il faut juste éviter de se noyer dans la masse de possibilités, mais avoir travaillé longtemps avec des crayons et des pinceaux permet de garder sa ligne.
Pour la mise en couleur, j’écoute beaucoup de musique, parfois un peu trop fort aux dires de certains, mais c’est tellement joyeux !
Et voilà c’est fini ! Et comme je suis un peu monomaniaque et que je n’aime pas travailler sur plusieurs projets à la fois, j’ai parfois un léger baby blues quand je dois quitter une histoire qui me plaisait tant !
Mes journées de travail sont longues. Trop probablement. Alors le soir, je me détache de l’écran et je passe à mon dernier dada, la gravure : de la vraie patouille, de la vraie matière avec de l’encre plein les doigts et comme je suis un peu brouillon parfois plein les cheveux et la figure. J’adore !
Madeleine Brunelet est autrice et illustratrice. Elle vient d’illustrer Les écrans c’est pour les grands !, le nouveau tome de sa série Les années crèche chez Père Castor écrite par Flore Brunelet.
Bibliographie sélective :
- Série Les années crèche, illustration de textes de Flore Brunelet, Flammarion jeunesse — Père Castor (2021-2022).
- L’imagier du Père Castor — En langue des signes, texte et illustrations, Flammarion jeunesse — Père Castor (2022).
- À pas de loup, illustration d’un texte de Zemanel, Flammarion jeunesse – Père Castor (2021).
- L’arbre des jours heureux, illustration d’un texte de Josette Wouters, Gautier-Languereau (2021).
- L’imagier géant du Père Castor – La maternelle, texte et illustrations, Flammarion jeunesse — Père Castor (2021), que nous avons chroniqué ici.
- La naissance, illustration d’un texte d’Hélène Grimault et d’Emilie Beaumont, Fleurus (2019).
- La petite fille qui voulait voir le désert, illustration d’un texte d’Annie Langlois, Flammarion jeunesse — Père Castor (2018).
- Petite poule noire comme nuit, illustration d’un texte de Jo Hoestlandt, Flammarion jeunesse — Père Castor (2018).
- La Sieste de Moussa, illustration d’un texte de Zemanel, Flammarion jeunesse – Père Castor (2018).
- Au château, texte et illustrations, Flammarion jeunesse — Père Castor (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Comptines anglaises, illustration de chansons, Flammarion jeunesse – Père Castor (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Le loto de la petite poule rousse, illustration d’un texte de Caroline Bouche, Flammarion jeunesse — Père Castor (2015), que nous avons chroniqué ici.
- A pas de loup, illustration d’un texte de Zemanel, Flammarion jeunesse – Père Castor (2013).
- La Maîtresse, elle m’a puni !, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2002).
- L’école, j’irai pas !, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2002).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !