Aujourd’hui, je vous propose l’interview de l’autrice Perrine Joe qui vient de sortir coup sur coup trois albums, puis j’ai proposé à Myren Duval, dont le roman Délit de solidarité figure dans nos coups de cœur du mois, de nous livrer ses coups de cœur et coup de gueule.
L’interview du mercredi : Perrine Joe
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Le goût de la lecture m’est venu à l’adolescence. Puis, tout naturellement, je me suis inscrite à la faculté de lettres de Bordeaux, où les professeurs étaient aussi passionnés que passionnants. Ensuite, je suis rentrée à l’Éducation Nationale. Ce n’était pas un rêve que je caressais depuis petite, mais dès mon premier remplacement, j’ai compris que j’étais dans mon élément.
En parallèle, à force de lire, j’ai eu envie d’écrire. Des poèmes, une pièce de théâtre puis une histoire d’araignée dans une cathédrale. C’est ce texte qui m’a donné envie d’être publiée. J’y avais passé un temps considérable, je le trouvais abouti, et j’étais sûre qu’il plairait à un éditeur. Mais il faisait 30 pages, police 12, soit beaucoup trop long pour le public visé (les 4-6 ans). Ça me fait sourire aujourd’hui. Heureusement, avec le temps, j’ai compris mon erreur. Et, en 2010, je décrochai mon premier contrat, ô joie !
En un mois et demi, vous avez sorti trois albums, Balthazar, mamie et le train (Auzou), Ardi chasseur d’éléphant (Le diplodocus) et Lyre la mouche qui habite dans l’oreille d’un musicien (Dyozol). C’est rare autant de sorties d’un coup, la faute au Covid ?
Pas du tout. Depuis quelque temps, je suis très sollicitée je n’y peux rien ! Je plaisante, bien sûr. Oui, c’est le Covid. Ces parutions devaient s’étaler sur l’année 2020, mais la pandémie a tout chamboulé. Alors, ça fait beaucoup d’un coup, et malheureusement, ce qui devait être organisé autour de ces sorties a été annulé. Je croise toutefois les doigts pour que ces albums trouvent leurs lecteurs. Et ce qui importe maintenant, ce sont les projets suivants.
Pouvez-vous nous présenter chacun de ces trois albums ?
Balthazar, mamie et le train raconte comment une grand-mère parvient à distraire son petit-garçon pour qu’il ne trouve pas le trajet trop long. Ce qu’elle propose n’est pas forcément réalisable par toutes les grand-mères, mais ça fonctionne bien.
Ardi, chasseur d’éléphants aborde les thèmes des préjugés et des non-dits. Ardi ne va pas à l’école car il n’a qu’une idée en tête : chasser les éléphants. Pourquoi les éléphants ? Mystère… d’autant plus que l’histoire révèle qu’il sait à peine ce que c’est.
Lyre, la mouche qui habite dans l’oreille du musicien évoque un de mes thèmes préférés : la musique. Le titre est suffisamment parlant par ailleurs. Une mouche mélomane, un pianiste dans les environs, une fausse note, beaucoup de bonnes, et l’amour qui résout tout.
On sent à la lecture de ces albums que les mots comptent pour vous, que vous aimez jouer avec eux.
Oui, c’est vrai. Mais n’est-ce pas le cas de tout ceux qui, un jour, se mettent à écrire ? J’ajouterai que, de manière générale, j’aime jouer tout court. Adulte, on dispose d’un peu moins de jeux que les enfants, mais les mots sont toujours là. Et, pour peu qu’on y pense, ils peuvent nous amuser dans toutes les circonstances.
L’art aussi est important souvent dans vos livres, quelle place occupe-t-il dans votre vie ?
Sans l’art, sans la création, la vie serait d’un ennui mortel. Et même ceux qui se disent insensibles à l’art en profitent. (Qui n’a pas été un jour bouleversé par une chanson, un film, une photo ?) Personnellement, je place la musique au-dessus de tout. Mais la littérature n’en est pas si éloignée. Les mots sont aussi porteurs d’une musicalité. À ce propos, il y a une phrase de Paul Valéry que j’aime beaucoup : « Le poème, cette hésitation prolongée entre le son et le sens ».
Vous parlez beaucoup de musique, vous n’avez jamais eu envie d’écrire des chansons ?
Oui, l’idée a déjà virevolté dans ma tête mais, parmi plein d’autres envies. Écrire du théâtre par exemple, ça me botterait bien également. Mais pour le moment, j’ai choisi de me consacrer à l’écriture d’albums car c’est ce qui me plaît le plus. Et je ne veux pas me disperser. Écrire une chanson, une vraie belle chanson n’est pas donné à tout le monde. Mais la vie est longue…
Avec Ardi, vous retrouvez Aude Brisson qui avait déjà illustré votre album Bougeotte, quel rapport entretenez-vous avec les illustrateur·rices, les choisissez-vous, intervenez-vous sur leur travail ?
Cela dépend des projets. Parfois, je ne les choisis pas mais je n’ai jamais été déçue. Avec Aude Brisson, comme avec Élice, c’est parti d’une volonté commune. Je suis fan de leur style et on a démarché les éditeurs ensemble. Une fois le contrat signé, je reçois les illustrations au fur et à mesure. Alors, oui, je peux faire des suggestions. On échange, on s’interroge et l’éditeur nous aide aussi à faire des choix. C’est très agréable de travailler ainsi ; ça vient rompre la solitude dans laquelle nous plonge l’écriture.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Enfant, je me rappelle des Belles Histoires. Ma mère nous les lisait et relisait à moi et mon frère chaque soir avant de se coucher. On adorait. Adolescente, je me souviens essentiellement d’avoir dévoré les Agatha Christie. Je faisais même des fiches de lecture. De plus, ma mère m’avait acheté un dictionnaire de citations dans lequel je découvrais plein de formules qui m’interpellaient par leur justesse ou/et leur beauté. Elles étaient signées de noms que je ne connaissais pas encore : Voltaire, Ionesco, Alain, Aragon.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos projets en cours ou sur les livres à sortir ?
Je suis en train de terminer une histoire qui m’est, pour ainsi dire, tombée dessus dans les embouteillages. C’était il y a plus d’un an. Je revenais de la plage et je n’avais rien pour écrire. J’ai pris un carton d’emballage et, cadeau des muses, je me suis mise à noter toute la structure de l’histoire, péripéties et fin comprises. Mais l’étape de la mise en forme me prend beaucoup plus de temps que prévu. J’ai hâte de pouvoir l’envoyer aux éditeurs, car, par ailleurs, d’autres projets m’attendent.
Ma prochaine publication sera pour juin 2022. J’ai reçu la réponse positive d’un éditeur il y a quelques jours à peine. Ce sera pour un magazine de la presse. Hâte de signer ce nouveau contrat !
Bibliographie :
- Ardi chasseur d’éléphants, album illustré par Aude Brisson, Le diplodocus (2021).
- Lyre, la mouche qui habitait dans l’oreille d’un musicien, album illustré par Maureen Poignonec, Dyozol (2021).
- Balthazar, mamie et le train, album illustré par Élice, Auzou (2021).
- Bougeotte, album illustré par Aude Brisson, Le diplodocus (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Ma nounou est une girafe, album illustré par Anne-Soline Sintès, Père Fouettard (2016).
- Mazort Fugus, album illustré par Élice, Auzou (2015).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Myren Duval
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Myren Duval qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Coup de cœur pour la fantastique saga en quatre tomes de Pascale Quiviger : Le Royaume de Pierre d’Angle.
Des centaines de pages, des dizaines d’heures passées dans un univers merveilleux, accompagnée de personnages que j’ai désormais la chance de connaître personnellement. Un malade, je m’inquiète, un blessé, je souffre, un mort et j’envoie immédiatement un mail de réclamation à l’éditeur !
En tant que lectrice, j’ai adoré ces livres parce qu’ils appartiennent à ceux qui ne nous lâchent pas, qui habitent nos nuits et nos jours. Ceux qu’on ne pose que sous la contrainte et sur lesquels on se jette à la première occasion « Chouette, 4 minutes avant mon prochain Zoom, je vais pouvoir lire Pierre d’Angle :) »
En tant qu’auteure, je les ai aimés infiniment parce que j’ai admiré le travail et l’écriture de Pascale Quiviger, mais également parce que vivre avec ces/ses personnages pendant toutes les années de création a vraiment dû être une expérience fascinante.
Finalement, j’ai envie d’adresser mon coup de cœur au pouvoir inépuisable de la littérature/de l’écriture, aux émotions, au champ des possibles, aux métamorphoses. Les livres comme abris, pour faire des rencontres, se protéger de la pluie, pour expérimenter une liberté qui n’existe nulle part ailleurs. Vivre livre c’est vivre libre ! (oui c’est un slogan inventé à l’instant et globalement imprononçable).
Coup de gueule du moment, et le mot est bien faible, ce sont les 6000 — minimum — ouvriers, migrants, morts sur les chantiers de construction de la future coupe du monde de football au Qatar.
Événement planétaire, fédérateur et pourvoyeur officiel de liesse collective ; encore faut-il aimer courir sur des cadavres.
Cette réalité est niée par le gouvernement qatari, évidemment, et incroyablement bien acceptée par la FIFA qui, tranquillement, minimise : « la fréquence des accidents a été faible […] par rapport à d’autres grands projets de construction dans le monde ».
Catastrophe écologique, corruption, esclavage moderne et milliers de morts. Mais pas d’inquiétude, les stades seront climatisés.
Ces Sri-Lankais, Bangladais, Indiens, Pakistanais, Népalais, Kényans, Philippins, et autres travailleurs immigrés ont perdu leur vie pour permettre à d’autres de marquer des buts. D’en atteindre un, surtout, toujours le même, celui qui manifestement autorise toute violation des droits de l’Homme = gagner de l’argent.
Une fois de plus, on ne peut compter que sur les ONG pour surveiller, alerter, et venir en aide. Un gros coup de cœur (au milieu de ce coup de gueule) pour celles et ceux qui œuvrent, non pas à la construction d’un terrain de foot, mais à la protection des vies humaines. Le chantier est autrement plus vaste et les moyens tellement inférieurs. Cherchez l’erreur.
Bibliographie :
- Délit de solidarité, roman, Le Rouergue (2021).
- Mon chien, Dieu et les Pokétrucs, roman illustré par Charles Dutertre, Le Rouergue (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Emmène-moi Place Tahrir, roman, L’Harmattan Jeunesse (2014).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !