Aujourd’hui, je vous propose d’en savoir plus sur Philippe Godard, auteur de documentaires passionnants, puis de lire les coups de cœur et coups de gueule de l’auteur Arnaud Tiercelin. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Phillipe Godard
Parlez-nous de votre parcours et racontez-nous comment vous êtes arrivé au documentaire.
Auparavant, je travaillais pour l’encyclopédie Hachette multimédia. Vers 1999, je me suis rendu compte que l’encyclopédie allait disparaître sous cette forme multimédia, « vaincue » par le moteur de recherche, plus rapide et toujours à jour, donc aux résultats plus fiables. À la même époque, mes enfants arrivaient au collège. J’ai trouvé que leurs livres scolaires d’histoire n’étaient adaptés ni aux nécessités de comprendre le passé pour mieux aborder l’avenir, ni au développement de l’envie de la lecture ! J’ai donc proposé une première collection documentaire, qui a été aussitôt acceptée chez Autrement (maison d’édition alors prestigieuse qui a depuis disparu). Mon idée était très simple : choisir un fait ou un personnage qui marque une étape importante de l’histoire ; préciser le contexte ; décrire ce qu’il se passe et les conséquences de l’événement lié à ce fait ou ce personnage — ce que ne font pas les livres scolaires, qui pratiquent le survol pur et simple. Et la collection a marché ! Puis j’ai créé d’autres collections, chez Syros et La Martinière. J’ai poursuivi aussi mes réflexions, même si mes enfants étaient sortis du système scolaire. Car je pense — toujours et de plus en plus — que l’enjeu pédagogique autour des enfants est fondamental pour notre monde. Il faut absolument donner à penser aux jeunes, donner envie de l’avenir aux enfants !
Comment écrit-on un documentaire destiné aux enfants ?
Tout d’abord, un documentaire a beaucoup à voir avec l’écriture encyclopédique. Il faut que les faits soient avérés et indiscutables. Ensuite, il s’agit de les mettre à la portée des jeunes lecteurs, ce qui implique non pas de les simplifier (surtout pas !), mais de les mettre en perspective, de tracer le contexte (souvent les adultes ne se rendent pas compte qu’il y a beaucoup d’implicite dans les livres qui leur sont destinés, mais pour les jeunes, il faut à l’inverse décrire explicitement le contexte, le pourquoi et le comment des faits). Bien sûr, il faut choisir un vocabulaire adapté, et… ne jamais prendre les jeunes pour des incultes. Car les enfants savent tout un tas de choses, qui ne sont pas forcément ce qu’ils ont appris à l’école mais ce que leurs parents leur ont transmis. Il faut imaginer que nous construisons sur cette base, et ne pas les prendre pour des sous-lecteurs mais bien des lecteurs à part entière.
Pour ma part, je crois que le documentaire jeunesse devrait évoluer de plus en plus vers ce que j’appelle « l’essai documenté », c’est-à-dire un ouvrage type essai, développant donc un point de vue sur la base de documents de caractère encyclopédique, incontestables — ou très difficilement contestables, même si je sais qu’à la limite, on peut toujours tout contester —, le tout écrit pour de jeunes lecteurs. Mais si l’auteur est sérieux, appuie son point de vue sur des documents, des faits réels et attestés, etc., alors il peut « donner à penser » à des enfants, à des jeunes… et à des adultes, d’ailleurs !
Choisissez-vous les thèmes de vos documentaires (et si oui, comment) ou est-ce que ce sont les éditeurs qui vous passent commande ?
Les deux voies existent, mais on peut dire que, depuis cinq ans environ, alors qu’auparavant c’était toujours moi qui proposais, désormais, c’est à peu près moitié moitié. Les éditeurs passent de plus en plus souvent commande, mais il faut préciser : un éditeur me demande « est-ce que vous ne voudriez pas faire un livre sur tel sujet, tel thème ? » et c’est toujours moi qui prends ensuite les choses en main dès le sommaire. Alors, soit l’éditeur accepte mon sommaire, et c’est parti, soit il refuse et nous tâchons de trouver une autre solution, ou nous en restons là.
Lorsque c’est moi qui présente une proposition, c’est toujours avec le but de traiter un thème qui donne matière à réflexion. Pour élaborer la proposition, je donne l’axe de l’ouvrage, je propose d’emblée un titre, et je donne au minimum le sommaire, parfois aussi un essai d’écriture, pour que nous soyons bien d’accord dès le départ.
Intervenez-vous sur les choix de photos ou d’illustrations ?
Oui, en partie seulement. C’est l’éditeur qui propose un « pré-choix » et ensuite, je valide et je fais les légendes.
Vous avez sorti il y a peu Amazonie (qui nous a bien permis de nous évader pendant le confinement), pouvez-vous nous parler de cet album ?
Merci ! Et s’il vous a permis de vous évader, c’est un premier résultat, déterminant. Parce que ce livre est fondé… sur l’émerveillement, et je souhaite que le lecteur s’évade de notre monde, avant même d’aborder la question de la préservation de l’Amazonie. Je vous explique. Je suis allé en Amazonie il y a longtemps, et j’y ai passé trois semaines que je n’oublierai jamais. Or, la première chose que j’ai ressentie dans la forêt et sur le fleuve, c’est l’émerveillement : devant la beauté des arbres, des papillons, des oiseaux, l’émerveillement face aux sons, aux chants, aux grognements d’animaux, car, la nuit surtout, le concert est assourdissant et vous transporte dans un autre univers — l’évasion est garantie ! Et aussi, bien entendu, l’émerveillement sur le fleuve ainsi qu’une profonde considération pour les Amazoniens qui vivent là depuis des siècles.
Après l’émerveillement vient… le doute, la rage et l’envie que ce monde sauvage vive. Le doute : quel est le but des humains là-bas ? Ils tracent des routes, brûlent des arbres, détruisent des animaux, mais pourquoi ? La rage : nous détruisons l’Amazonie pour du bétail qui est engraissé au soja, car c’est la cause principale de la déforestation. C’est absurde, totalement absurde. L’envie : oui, l’envie enragée elle aussi, que vive l’Amazonie ! Parce que la planète Terre sans l’Amazonie, sans jaguars, sans aras, sans ce fleuve incroyable, sans l’immensité même de ce système écologique complexe, ne serait plus du tout la Terre. L’Amazonie, l’Océan ou les Pôles sont des lieux où se niche le rêve de milliers de générations d’êtres humains. Les détruire, ce serait un crime, pas seulement contre l’humanité, mais contre la planète. C’est une histoire de valeurs, d’émerveillement, de vie tout simplement aussi.
Quelque temps avant il y avait eu ce petit livre absolument passionnant sur les théories du complot (Croire ou pas aux complots chez Calicot), j’aimerais que vous en disiez quelques mots.
Ce qui m’a convaincu d’écrire ce petit livre est tout simplement ce que j’entendais dans les collèges il y a déjà dix ans. Lorsque j’intervenais dans une classe, j’avais une manière de « décomplotiser » qui consistait à ne pas nier avec les élèves l’existence de complot, mais d’en venir à poser la vraie question : « Est-ce vraiment fondamental de tout savoir, si au bout du compte, c’est pour croire que tout est décidé ailleurs, par des Illuminatis, des Reptiliens, des Dirigeants occultes ? Parce que le but, c’est de vivre sa vie, de nous prendre en main, et de faire en sorte que ce monde vive ! » L’idée du livre est venue vite, et j’ai commencé à l’écrire, puis il y a eu l’année 2015, et là, j’ai terminé l’écriture, l’ai proposé à une première maison d’édition, très grosse et hélas un peu frileuse, qui a fini par abandonner l’entreprise. Alors, j’en ai parlé à Éric Denniel, du Calicot, et lui a été enthousiaste. Et il a eu raison, car c’est, je crois, un ouvrage utile. Depuis qu’il est paru, cependant, une bonne partie des jeunes — et des adultes — se révèlent plutôt complotistes. Et l’affaire de la pandémie n’a rien arrangé, bien au contraire ! Donc, ce livre, qui n’a que quatre ans, reste encore très actuel, et, à mon avis, il le sera encore longtemps. Hélas, pourrait-on dire…
En tout cas, son but est modeste mais je crois que cela vaut le coup de l’avoir écrit. C’est un outil pour toute personne qui veut soit réfléchir au complot, soit avoir des arguments solides à opposer à des complotistes. C’est un « document-outil », en quelque sorte !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Pour vous dire, il y avait très peu de livres chez moi. Mais j’ai lu tout Jules Verne autour de dix-douze ans, l’encyclopédie pour enfants « Tout l’univers », puis je me suis mis à lire des livres d’histoire, beaucoup, grâce à mon grand-père que l’histoire passionnait (il avait fait toute la guerre de 1914-1918). À partir de quinze ans, j’ai commencé à lire beaucoup de livres politiques, et certains auteurs « fondamentaux », comme Stendhal, Flaubert ou Kafka.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Des albums à sortir ?
J’ai écrit un nouveau petit livre pour Le Calicot, sur la « catastrophe », car je pense qu’il faut arrêter de dire que « tout est foutu », ce n’est pas le moyen de résoudre les problèmes, qui sont réels, surtout au niveau écologique et social. Et puis j’ai écrit un essai de pédagogie. Maintenant, je voudrais continuer à écrire des ouvrages sur l’écologie, la nature, l’avenir… et surtout pour la jeunesse.
Bibliographie sélective :
- L’Amazonie racontée aux enfants, documentaire, De la Martinière Jeunesse (2020).
- La Guerre froide racontée à tous, documentaire, De la Martinière Jeunesse (2019).
- Mon cahier d’activités nature — Le potager, avec Marie-Christine Jacquet, cahier d’activité illustré par Isabelle Simler, Nathan (2019).
- Mai 68 raconté aux enfants, documentaire, De la Martinière Jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- L’anarchie ou le chaos, documentaire illustré par Vincent Odin, Calicot (2018).
- Croire ou pas aux complots ?, documentaire illustré par Vincent Odin, Calicot (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le potager, documentaire illustré par Benjamin Bécue, Nathan (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Ils et Elles ont changé le monde, avec Patrice Favaro, documentaire, De la Martinière Jeunesse (2016).
- Elles ont réalisé leur rêve, avec Jo Witek, documentaire, De La Martinière Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La Guerre de 14-18, documentaire, De la Martinière Jeunesse (2014).
- La toile et toi, documentaire illustré par Marion Montaigne, Gulf Stream (2012), que nous avons chroniqué ici.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Arnaud Tiercelin
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Arnaud Tiercelin qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Coup de cœur
Deux en fait. Des Astres de Séverine Vidal et Romance d’Arnaud Cathrine. Impossible d’en choisir un. Ce sont deux catapultes. Deux coups de poing. Deux poings. Deux mains. Deux yeux. Deux regards incroyables. Deux livres magnifiques d’une insolente liberté. Des livres qui font un bien fou, qui relancent quand on a des doutes, et quand on écrit, on passe sa vie à douter. Ce sont deux romans pour ados, grands ados, et quel souffle ! Quelle audace ! Plusieurs fois, j’allais relire leurs anciens livres et je ne retrouvais pas le même rythme. C’était neuf. Inédit. C’était de la dynamite. Les pages brûlaient. En ce moment, j’écris un roman pour adolescent qui d’ailleurs n’aboutira peut-être pas. Car on ne sait jamais où l’écriture nous mène. Et dans un coin de ma tête, j’ai ces deux livres. Comme deux piliers. Comme deux boussoles. Pour mon roman pilotis. Mon roman de bord de mer. Mon roman, balayé par les vents. Deux livres donc qui crient plus fort que les autres. Qui résonnent plus loin. Qu’on aperçoit à l’horizon. Deux livres qu’on garde avec soi, bien au chaud sur le sable. Sur la plage. Deux livres qu’on placarde sur les murs. Deux livres, assumés comme jamais. Deux phares qui éclairent mes mots, qui bousculent les miens, quand je retrouve mes carnets au milieu de la nuit.
Coup de gueule
Là, c’est plus compliqué. Je ne sais pas. Là, tout de suite. C’est vraiment pas dans ma nature. Je suis plutôt du genre à filer au bord de la rivière, à laisser les voix, les avis, les commentaires se mêler au courant. J’ai peut-être trop écouté Manset. Lui, l’artiste dégagé. Lui, en dehors de tout. C’est pas de l’indifférence générale, c’est surtout une manière de se protéger. De garder le cap. De rester dans sa bulle créatrice. Le monde est tellement fou. Tout va si vite. On a besoin de temps. La vie est courte. Alors, un coin de rivière, un soleil qui se baigne, un chant d’oiseaux, un carnet, trois accords de guitare. Comme quand on avait quinze ans. Comme quand on croyait au grand futur. Comme quand on avait dans ses mains le grand futur. Alors, si tiens, si j’ai un coup de gueule, ce serait peut-être pour moi. Pour ma faculté à m’éparpiller. À avoir du mal à boucler. À laisser courir. À écrire quand le vent se lève. À arrêter au moindre doute. À effacer, recommencer mille fois. Parce qu’écrire demande tellement. Et plus on vieillit, plus ça coûte. Plus on a épluché sa peau. Et qu’est-ce qu’il nous reste ? Être nu entre les lignes. Être nu au bord de l’eau. Être nu, face à soi-même. C’est difficile de se livrer. C’est compliqué de dire. Écrire au plus près de la peau, de la vérité épuise. La preuve, quand j’écris, j’ai faim. Comme après un marathon. Et parfois, on se disperse. On fait des ricochets. On essaie autre chose. D’autres mots. Des nouveaux. Des qu’on ne connaît pas. Des qu’on n’imaginait pas un jour. Et quand on a fini, on souffle, on attend pour ne pas se noyer dans la rivière. On garde des mots, jusqu’au jour où ils sont trop nombreux pour tenir sous le toit comme le chante Dominique A. Et on revient aux origines. Aux lacets. Au rythme lent. Aux marées. Aux silex. Peut-être qu’on écrit pour échapper au temps ? Peut-être pour ça que la Dordogne m’accompagne ?
Bibliographie sélective :
- C’est pas moi !, roman illustré par Maureen Poignonec, Kilowatt (à paraître en août 2020).
- Petit dentifrice blanc, album illustré par Marion Piffaretti, Mango Jeunesse (2020).
- En deux bouchées, album illustré par Marion Fournioux, Éditions Winioux (2019).
- Le silence du serpent blanc, roman, Le Muscadier (2019).
- Frère de passage, roman illustré par Aude Brisson, Kilowatt (2019).
- Pourquoi le soleil aime la soupe, album illustré par Olympe Perrier, L’initiale (2018), que nous avons chroniqué ici.
- J’adore pas trop, album illustré par Stéphanie Marchal, Kilowatt (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Des lions même pas en cage, roman illustré par Ella Coutance, Les éditions du pourquoi pas (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Dans mon cœur, album illustré par Csil, Frimousse (2018), que nous avons chroniqué ici.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !