Aujourd’hui, nos deux invités sont deux auteurs et illustrateurs. Tout d’abord, Siegfried de Turckheim — dont l’album Perlin. L’enfant qui faisait tomber la pluie vient de paraître au Seuil Jeunesse — a accepté de répondre à mes questions. Puis l’Iranien Reza Dalvand — dont l’album J’ai le droit vient de paraître aux Arènes — nous propose de partir en vacances avec lui.
L’interview du mercredi : Siegfried de Turckheim
Votre premier album, le superbe Perlin. L’enfant qui faisait tomber la pluie, vient de sortir au Seuil Jeunesse. J’aimerais tout d’abord que vous nous présentiez cet album.
Ce livre parle d’un enfant qui se découvre un pouvoir merveilleux, celui de faire tomber la pluie. Il met ce don au service des plus nobles intentions, soigne le monde de ses famines et sécheresses, et reçoit en retour une reconnaissance qui a une saveur particulière : la gloire. Mais le temps passant, Perlin tombant dans l’oubli, cette gloire lui fera défaut et pour la reconquérir, il lui viendra une idée folle…
Comment est née cette histoire ? Qu’est-ce qui est arrivé en premier, les dessins ou l’histoire ?
Il y a six ans, je suis devenu papa. L’enfance a resurgi dans ma vie, et avec, le bonheur des livres illustrés. Le désir d’en écrire un s’est imposé à ce moment-là.
J’ai tout de suite eu la précaution d’attendre d’avoir mon histoire avant de l’illustrer. J’ai déduit cela de mon expérience dans la musique : avant d’arranger, orchestrer ou produire, il est plus prudent d’avoir écrit la chanson.
J’étais très intimidé par l’écriture, mais l’histoire de Perlin, qui semblait définitivement se ranger dans la catégorie des fables, m’attirait dans la forme puisque, là encore, j’utiliserais ma petite expérience de parolier pour composer des vers et trouver des rimes chantantes.
Et toute mon ambition se poserait alors sur le dessin, où je me sentais le plus légitime, mais où il faudrait aussi être à la hauteur de mes espérances… J’ai beaucoup cherché : utilisé toutes les techniques possibles, exploré tous les styles que ma main me permettait. Mais le poids écrasant des illustrateurs que j’admirais me faisait systématiquement me dire que j’étais insuffisant.
Alors j’ai inconsciemment trouvé la solution dans mon amour pour les estampes japonaises. Au Japon, se revendiquer d’une filiation artistique n’est pas une faiblesse, au point qu’on peine parfois à savoir qui est l’élève du maître. Il n’est pas honteux de mettre ses pas dans ceux des autres. C’est ce rapport à l’admiration qui a débloqué le style de mon livre. Au départ, j’ai puisé allègrement dans les lignes, les matières et les couleurs des estampes, pour enfin, sans préméditation, trouver celles qui convenaient à mon histoire. Heureux hasard : j’avais un style.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les techniques d’illustration que vous avez utilisées ?
Je commence par des esquisses à la mine de plomb, que je photographie et que j’affine sur ordinateur avant d’y ajouter les couleurs à partir de pinceaux texturés que j’ai programmés dans Photoshop. Ce processus est très long… un peu trop d’ailleurs. Par la suite, j’aimerais retourner à une pratique entièrement matérielle.
Racontez-nous votre parcours.
Un père musicien et une mère dessinatrice. J’ai pu embrasser la musique et le dessin sans résistance. Plutôt autodidacte de tempérament, j’ai néanmoins fait une école d’arts appliqués qui m’a appris l’humilité qu’il faut avoir devant la pratique du dessin. Je ne parle pas d’académisme, mais d’exigence.
Je me suis toujours laissé guider par mon admiration ; ainsi Sempé, Maurice Sendak, Edward Gorey ou Quentin Blake, pour ne parler que d’illustrateurs, sont des phares que je guette au loin quand je me crois perdu.
Mon parcours, s’il y en a un, c’est le chemin que j’ai pris en cherchant à m’approcher d’eux.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Maurice Sendak, Chris Van Allsburg, Kazuo Iwamura, Posy Simmonds… et la collection Chair de Poule de R.L. Stine !
Adolescent, je me suis perdu dans la science-fiction et les classiques.
Curieusement, j’ai découvert la BD bien plus tard, à l’âge où il devient un peu honteux d’en lire. D’ailleurs, l’écriture d’une bande dessinée m’attire beaucoup…
Et aujourd’hui, en tant qu’adulte, y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
J’ai été très frappé par le travail de Bastien Vives. Il est de ma génération, ses histoires me font croire que lui et moi sommes un peu les mêmes… c’est le pouvoir qu’ont certains auteurs sur moi.
J’aime beaucoup l’univers de Lola Séchan.
Marie Dorléans fait des albums enchanteurs.
Instagram m’a révélé un nombre insoupçonnable d’illustrateurs merveilleux ; dans le désordre, François Maumont, Camille Broutin, Eliza Ivanova, Karolis Strautniekas et bien d’autres.
Des ouvrages en préparation ?
J’espère que dans un coin de ma tête, au moment où je vous parle, un petit groupe clandestin de neurones prépare secrètement la trame d’une nouvelle histoire…
Bibliographie :
- Perlin. L’enfant qui faisait tomber la pluie, texte et illustrations, Seuil Jeunesse (2022).
Retrouvez Siegfried de Turckheim sur Instagram : https://www.instagram.com/siegfrieddeturckheim.
En vacances avec… Reza Dalvand
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un·e, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… Cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte avec nous que ces choses-là, on ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… Sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’iel veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Reza Dalvand que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse
- The Shadow Elephant (Nadine Robert and Valerio Vidali) [NDLR sorti en France sous le titre L’éléphant de l’ombre (Saltimbanque, 2020)]
- The Promise (Nicola Davies and Laura Carlin)
- Bonsai (Simon Stranger and Hilde Hodnefjeld)
- Der große Schneemann (Ali Shodjaie and Elahe Taherian) [NDLR sorti en France sous le titre Le bonhomme de neige géant (Rue du monde, 2014)]
- O fim da fila (Marcelo Pimentel)
5 romans
- Norwegian Wood (Haruki Murakami) [NDLR sorti en France sous le titre La ballade de l’impossible]
- The Solitaire Mystery (Jostein Gaarder) [NDLR sorti en France sous le titre Le mystère de la patience]
- The Prophet (Kahlil Gibran) [NDLR sorti en France sous le titre Le prophète]
- The Blind Owl (Sadegh Hedayat) [NDLR sorti en France sous le titre La chouette aveugle]
- Blindness (José Saramago) [NDLR sorti en France sous le titre L’aveuglement]
5 DVD
- Amélie (Jean-Pierre Jeunet) [NDLR sorti en France sous le titre Le fabuleux destin d’Amélie Poulain]
- Interstellar (Christopher Nolan)
- Big Fish (Tim Burton)
- Forrest Gump (Robert Zemeckis)
- Coco (Adrian Molina, Lee Unkrich)
5 CD
- Think (Kaleida)
- Live at Third Man Records (Billie Eilish)
- Pop Collection (Kadebostany)
- 21 (Adele)
- Divoonegi (Sirvan Khosravi)
5 artistes
- David Hockney
- Henri Matisse
- Jean Mallard
- Sohrab Sepehri
- Valerio Vidali
5 lieux
- Krong Siem Reap (Cambodia)
- Cappadocia (Turkey)
- Sighnaghi (Georgia)
- Isfahan (Iran)
- phi phi island (Thailand)
Reza Dalvand est un auteur et illustrateur iranien. Plusieurs de ses livres ont été traduits en France. Son dernier album paru est J’ai le droit, album qui reprend les droits des enfants, il est édité chez Les arènes.
Bibliographie francophone :
- J’ai le droit, texte et illustrations, Les arènes (2022), que nous avons chroniqué ici.
- L’éléphant de madame Bibi, texte et illustrations, Kaléidoscope (2021).
- Valentin de toutes les couleurs, illustration d’un texte de Chiara Mezzalama, Les Éditions des Éléphants (2021).
- Le meilleur, illustration d’un texte de Payam Ebrahimi, Les 400 coups (2021).
- Bienvenue, mon trésor, co-écrit avec Dolores Brown, Gallimard Jeunesse (2021).
- Entre toi et moi, illustration d’un texte de Catherine Guegen, Les arènes (2020).
- Une étrange petite chose noire, texte et illustrations, Rue du monde (2019).
- Gratin d’hippopotame, texte et illustrations, Le Diplodocus (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Gulistan, illustration d’un texte de Saadi, Courtes et longues (2017).
Retrouvez Reza Dalvand sur son site et sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !