Depuis son livre Je suis qui ? Je suis quoi ?, je garde un œil sur l’actualité de Sophie Nanteuil… Et je dois dire qu’il y a de quoi faire ! J’avais envie de poser quelques questions à cette autrice et éditrice (entre autres) qui ne s’arrête jamais à l’occasion de la sortie de 10 idées reçues sur Internet chez Glénat. Elle a pu se poser quelques minutes pour me répondre (ouf !). Ensuite, c’est à une illustratrice qu’on adore à La mare aux mots que j’ai proposé de nous livrer ses coup de cœur et coup de gueule, Maureen Poignonec, dont l’album Hibou chou vient de paraître chez Little Urban.
L’interview du mercredi : Sophie Nanteuil
Pouvez-vous nous parler de votre dernier livre, 10 idées reçues sur internet ?
Documentaire très illustré, 10 idées reçues sur internet propose de déconstruire dix préjugés sur Internet de façon drôle, documentée (ça tombe bien pour un documentaire !), en essayant de ne pas être culpabilisant. Quelques exemples d’idées reçues ? « Je l’ai lu sur Internet, c’est forcément vrai ! Faire le buzz, rien de plus facile ! Le cyberharcèlement n’est qu’un e-mythe ! »
On fait connaissance avec la famille Lambda, qui au gré de ses usages découvre les coulisses d’Internet, guidée par Shiru, une geekette ultra-connectée qui prodigue des conseils et donne des chiffres. Des intervenants comme des créatrices de contenu (Charline Vermont @orgasme_et_moi), un docteur en neurosciences, des professionnels du web interviennent aussi tout au long du livre.
Comment est venue l’idée de ce livre ?
Nous sommes amies avec Camille [NDLR Camille Bonneau, co-autrice du livre] et lors d’un échange à propos de contenus sur Instagram accessibles aux plus jeunes, nous avons fait un triple constat : nous élevons des enfants qui ont toujours connu Internet et qui ont donc des habitudes innées avec les écrans, les réseaux. Face à cela, nous en tant que parents avons dû apprendre à devenir des internautes en tâtonnant et certain·es pensaient que l’école aiderait à sensibiliser les jeunes. Or les profs sont très peu voire pas formés à ces usages. Donc on a des jeunes internautes pas informés, accompagnés par des enseignants pas formés et des parents parfois totalement largués. On a pris le taureau par les cornes, on a discuté avec Aude Sarrazin, chez Glénat Jeunesse, et c’était parti !
J’aimerais que vous nous parliez des recherches que vous avez effectuées pour ce livre.
Les recherches ont été très longues d’autant qu’on s’est donné la contrainte de ne pas avoir des sources antérieures à 2018. Ce qui, dans la temporalité d’Internet, est presque déjà dépassé ! Entre septembre 2021, le début de l’écriture, et juin 2022, le départ en impression, certains chiffres qu’on avait reportés n’étaient plus bons ! De plus, on a appliqué ce qu’on dit dans la première idée reçue, on a vérifié plusieurs fois les sources et croisé les infos. On s’est beaucoup baladé sur Cairn ou des sites de recherches universitaires, mais aussi d’associations comme ALERTE, Génération numérique ou d’institutions comme la CNIL.
Comment s’est passée la collaboration avec Camille Bonneau, votre co-autrice ?
Avec Camille, nous avons écrit à quatre mains, nous partageant les idées reçues selon nos affinités. Une faisait les recherches, on faisait le plan à deux, puis une rédigeait une V1 que l’autre étoffait et inversement pour l’idée suivante ! Nous avons passé des longues soirées à travailler, mais c’était un plaisir : non seulement Camille écrit super bien mais en plus, elle rigole à mes blagues les plus nulles !
Et avec Zelda Zonk, l’illustratrice ?
Je connais Zelda depuis très longtemps et elle a illustré Je suis qui ? Je suis quoi ? chez Casterman, documentaire sur les questions d’identité LGBTQI+ écrit par Jean-Michel Billioud, que j’ai conçu. J’adore son travail et quand j’en ai parlé à Camille, elle était emballée. Aude Sarrazin a confirmé notre choix ! Zelda est capable de distiller à la fois de l’humour et de l’intelligence dans ses images, et ce, lors du premier crayonné ! Ce qui est drôle, c’est que c’est la personne la moins connectée au monde ! Imaginez tout le travail qu’elle a dû faire pour nous suivre dans cette aventure !
Un livre sur les jeunes LGBTQI+, un livre sur le coming out, un podcast sur les veuves, un groupe Facebook d’idées pour les parents… vous ne manquez pas d’idées et vous avez toujours des projets originaux et variés. Comment vous viennent vos idées et surtout… Vous dormez quand ?
Je ne dors pas assez ! Je suis souvent en train de mouliner, et je pense que mon métier d’éditrice a encouragé ma curiosité. Je suis une boulimique d’informations, je fais ma revue de presse tous les matins. Il faut rajouter à cela que j’essaie d’être à l’écoute de mes contemporain·es. J’ai la chance de savoir faire un livre alors quand je peux tendre le micro ou le stylo à une personne pour qu’elle raconte son histoire, je le fais. Je me dis que cela peut aider d’autres personnes dans le même cas. Enfin, sur certains sujets, j’ai envie de m’engager pour que mes enfants puissent vivre dans une société pas trop mal…
Cerise sur le gâteau : Étant éditrice freelance et de plus en plus autrice, j’ai la liberté de n’avoir aucune ligne éditoriale !
Qui sont vos premier·ères lecteur·rices ?
De mes dix années passées chez Nathan Jeunesse, j’ai gardé quelques amies très proches. C’est souvent à elles que je parle de mes projets, c’est sur elles que je teste des choses.
Ma mère lit tous mes livres aussi ! De l’autobiographie de Clarisse Agbégnenou (que j’ai accompagnée dans l’écriture, Rageot) à Parents Orphelins (sur le deuil périnatal, Hachette), en passant par mes premières lectures chez Lito, elle lit tout ! Et je peux vous dire qu’elle est parfois plus intransigeante que les critiques du Masque et la Plume !
Enfin, mes enfants sont très fiers d’apporter certains des ouvrages sur lesquels j’ai travaillé à l’école.
Je sais que vous lisez beaucoup, auriez-vous quelques coups de cœur à nous faire partager ?
Dernièrement, j’ai beaucoup aimé Ama, le souffle des femmes, une BD de Franck Manguin et Cécile Becq. En BD, jeunesse, je suis fan des Mini bulles la nouvelle collection BD lancée par Karine Leclerc chez Nathan.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Après un DESS Édition à Villetaneuse, un CDD de quelques mois chez Bayard Presse, j’ai travaillé dix ans chez Nathan Jeunesse, à la fiction des 3-8 ans et sur le programme de Dokéo TV.
Depuis 2015, je vis à Toulouse, je suis freelance et je fais de moins en moins de commandes, je travaille à 90 % de mon temps sur les livres que je propose aux maisons d’édition.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Enfant, je lisais tout : La comtesse de Ségur, Martine, Pagnol, mais aussi les Femme actuelle de ma mère, les Ici Paris de ma mamie ou les Dingodossiers de mon grand frère ! Il fallait que je lise. Une bibliothécaire de la ville de banlieue où je vivais m’a fait découvrir Marie-Aude Murail, Susie Morgenstern, Gudule aussi. Mon amour pour les livres jeunesse est né là, je pense.
Je suppose que vous avez encore plein de projets sur le feu, pouvez-vous nous parler de quelques-uns ?
Dans la même collection que Parents orphelins, je suis en train de recueillir les témoignages pour un livre sur la PMA, les FIV, etc. Et le podcast Veuves va être lancé en avril 2023, le livre devrait paraître en octobre. Il y aussi une série premières lectures chez Lito, un livre sur le genre très très fort dont je suis l’éditrice, le travail sur le nouveau livre de Charline Vermont, sans oublier un beau livre de photos féministe… Bref, c’est pas en 2023 que je vais dormir !
Bibliographie jeunesse sélective :
- 10 idées reçues sur Internet. Et comment les décrypter pour être mieux connecté, co-écrit avec Camille Bonneau, illustré par Zelda Zonk, Glénat (2022).
- Histoires de coming-out, co-écrit avec Baptiste Beaulieu, Albin Michel (2021).
- Mon imagier pour signer avec bébé, illustré par Sang Mi Cha, Larousse (2022).
- Série Louca, co-écrite avec Marie Euverte, illustrée par Bruno Dequier, Rageot (4 tomes, 2021-2022).
- Corps, amour, sexualité. Les 100 questions que vos enfants vont vous poser, accompagnement, écrit par Charline Vermont, Albin Michel Jeunesse (2021).
- Combattre pour être soi. Les conseils d’une championne, accompagnement, écrit par Clarisse Agbégnénou, illustré par Oriol Vidal, Rageot (2021).
- Série Tourne la roue et dessine !, illustrée par Zelda Zonk et Éric Veillé, Larousse (2019).
- Je suis qui ? Je suis quoi ?, conception, écrit par Jean-Michel Billioud, illustré par Zelda Zonk et Terkel Risbjerg, Casterman (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Croire en ses rêves !. Le journal d’une championne, accompagnement, écrit par Amandine Henry, Rageot (2019).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Maurèen Poignonec
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Maurèen Poignonec qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule…
Mon coup de cœur de 2022, en comparaison à mon coup de gueule 2022, est très mignon et digne d’une illustratrice jeunesse qui passe ses journées à dessiner des poussins-madeleine vagabondant la plume au vent. Mon coup de gueule 2022, est un peu moins mignon.
La littérature jeunesse permet des prouesses en matière d’espoir et d’imaginaires pour créer des univers non pollués, où l’égalité, le respect et la justice règnent, où les animaux et les humains cohabitent, où on ne détruit plus, où on n’extrait plus sans limite des énergies fossiles.
Mon coup de cœur 2022, c’est ça :
l’imaginaire,
l’art dans un monde qui est malade
et la résilience des enfants.
Des choses que j’observe et interprète à ma façon avec peut-être justement ma sensibilité d’illustratrice.
Je me suis rendu compte très tardivement de la chance que j’ai de faire ce métier et de pouvoir dessiner ce qui m’enchante et m’enchantera toujours.
De voir du beau là où la société actuelle érode ce beau.
Et en lien avec ça, vient la notion de résilience des enfants, qui voient du beau partout. Pendant que je transpirais à grosse goutte durant les trois canicules de cet été : des enfants, j’en ai vu jouer, hilares, sur l’herbe jaune, 40° à l’ombre.
Des parents m’ont également confié que leurs enfants jouaient sous cette chaleur abominable, et qu’ils étaient heureux.
Je me nourris continuellement d’images d’illustrateur·ices jeunesse représentant des arbres gigantesques gonflés d’eau, des petites créatures sylvestres, des plantes luxuriantes, des ciels bleus, roses et oranges. Qui aimerait regarder des images de mondes pollués, tout gris et fidèles à notre actualité ?
Si des imaginaires enviables apparaissent dans nos esprits ou sur papier, c’est qu’on souhaite les voir exister dans notre réalité.
Mon coup de gueule 2022, c’est la réalité.
Je suis de nature optimiste, mais l’actualité fait qu’il m’arrive de temps à autre, de douter sur un hypothétique dénouement heureux pour l’espèce humaine.
Parce qu’on vit dans un monde où les
inégalités font rage, où la politique de l’autruche s’exerce sans limite et donc naturellement sans s’interroger sur ses décisions dévastatrices sur les écosystèmes et les droits humains.
Je ne comprends pas l’inaction politique de nos dirigeants.
Je ne comprends pas que la richesse soit plus importante que la vie des plus précaires, qui sont précarisés chaque jour de plus en plus.
Je ne comprends pas la mentalité des décideurs politiques, des ultra-riches et des PDG des multinationales : je rêverais d’un goûter en tête-à-tête avec eux, échanger pour comprendre ce qui est incompréhensible pour n’importe quel humain·e qui désire un monde comme on en voit dans les livres pour enfants.
Maurèen Poignonec est illustratrice. Son dernier album, Hibou chou, dont le texte est signé Sandra Le Guen, est paru chez Little Urban en août dernier.
Bibliographie sélective
- Hibou chou, illustration d’un texte de Sandra Le Guen, Little Urban (2022).
- Mais où j’ai mis mon chlip ?, illustration d’un texte de Jean-Marc Derouen, Frimousse (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Ma poupée, illustration d’un texte d’Annelise Heurtier, Talents Hauts (2021), que nous avons chroniqué ici.
- 10 idées reçues sur le climat, illustration de textes de Myriam Dahman et Charlotte-Fleur Cristofari, Glénat Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Tortue express, illustration d’un texte de Sandra Le Guen, Little Urban (2021), que nous avons chroniqué ici.
- C’est pas moi !, illustration d’un texte d’Arnaud Tiercelin, Kilowatt (2020), que nous avons chroniqué ici.
- À la recherche du petit chaperon rouge, illustration d’un texte de Nadine Brun-Cosme, Little Urban (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Copain et moi, illustration d’un texte de Yvan Demuy, Les 400 coups (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Pourquoi les princesses devraient-elles être tirées à quatre épingles ?, illustration d’un texte de Jo Witek, Talents hauts (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Taxi Baleine, illustration d’un texte de Sandra Le Guen, Little Urban (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Une petite place, illustration d’un texte de Céline Claire, La Palissade (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Y’en a qui disent, illustration d’un texte d’Émilie Chazerand, L’élan vert (2017) que nous avons chroniqué ici.
- Le doudou de la directrice, illustration d’un texte de Christophe Nicolas, Didier Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- La grande inconnue, illustration d’un texte de Pog, Maison Eliza (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Tout le monde sait faire du vélo, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, Kilowatt (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Les tourterelles, illustration d’un texte de Karine Guiton, La palissade (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Série La Famille Cerise, illustration de textes de Pascal Ruter, Didier Jeunesse (2016-2017), que nous avons chroniqué ici.
-
Chrysalide, illustration d’un texte de Pog, Cépages éditions (2016), que nous avons chroniqué ici.
- 10 petites souris cherchent une maison, illustration d’un texte de Pog, Gautier-Languereau (2015).
Son site : http://www.maureenpoignonec.com
Son book : http://maureenpoignonec.ultra-book.com
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !