Aujourd’hui, on reçoit tout d’abord l’autrice-illustratrice Soyung Lee à l’occasion du très beau Quand arrive l’hiver, que viennent de publier les éditions L’élan vert. Puis, c’est l’autrice Nathalie Wyss qui est l’invitée de la rubrique Quand je crée à l’occasion de la sortie de Le temps fuit chez Milan.
L’interview du mercredi : Soyung Lee
Votre album Quand arrive l’hiver est sorti en fin d’année dernière aux éditions L’élan vert. De quoi parle-t-il ?
Le livre parle de la solitude d’un garçon. J’ai voulu lier ses sentiments et l’atmosphère supposée de l’hiver : la pénombre, le froid, la nuit, l’engourdissement, etc. Mais quand je réfléchis sur l’hiver, j’y trouve l’ambivalence : c’est une saison où la vie s’interrompt afin de se préparer à la re-naissance ; celle où on s’isole pour mieux être ensemble ; celle où il fait sombre afin d’inviter la lumière. Pour mettre en avant la clarté de l’hiver, j’ai tenté d’exprimer la nature de cette saison à travers l’histoire du garçon qui se sent abandonné.
J’aimerais aussi que vous nous disiez quelques mots sur Ce n’est pas grave mon crapaud, sorti en 2021 aux Éditions des Éléphants.
Cette histoire est partie de mon expérience personnelle. Un dimanche où il faisait beau, j’ai eu envie de sortir avec ma famille. Mais mon mari a refusé. Je me suis un peu fâchée et suis donc sortie toute seule pour finalement me rendre à mon atelier. J’étais déçue, et pour évacuer cette déception, j’ai imaginé que je me mettais très fort en colère. Pendant ce temps, mon ordinateur diffusait une chanson qui racontait l’histoire de deux poissons dans un étang. Un jour, ils se sont engueulés et l’un d’eux est mort. Ah mince, voilà que son corps remonte à la surface, l’étang devient noir, et plus personne ne vit autour de cet étang…
En écoutant cette chanson, j’ai eu envie de changer la fin en happy end. J’ai voulu savoir pourquoi les deux poissons se sont chamaillés, et aussi comment le reste du vivant pouvait continuer à exister.
La colère elle-même n’est pas mauvaise en soi. Elle est naturelle. La colère attend le bonheur comme moi. Toutefois, elle se transforme parfois violemment quand ce dont elle a envie s’envole loin. Puis, elle amène un résultat plus dur, plus misérable, plus irréversible. Je suis tellement contente de ne pas m’être mise en colère ce dimanche-là. Si je m’étais mise en colère, je l’aurais regretté. Imaginant me mettre en colère pour apaiser ma colère, j’ai créé cette histoire, ensuite, ma colère est redevenue gentille. J’espère que mon expérience anodine sera bien transmise aux enfants à travers ce livre.
Sorti en France en 2021, il a été traduit l’année dernière en Corée. J’ai donc eu beaucoup d’occasions de rencontrer des lecteurs coréens et d’échanger avec eux sur le thème de l’amitié et de la colère. Cependant, la plupart des lecteurs qui s’intéressent à cette histoire me demandent si c’est une histoire de « couple ».
Quoi qu’il en soit, j’aime bien l’idée que ce livre puisse être interprété de tant de façons différentes par les lecteurs. En outre, les couleurs vives ont remplacé celles, très sombres, des émotions négatives, et les personnages « mignons » suscitent un sentiment amical. Tout ça, c’est grâce aux Éditions des Éléphants qui m’ont aidée et soutenue pour arriver à ce résultat.
Parlez-nous de votre processus d’écriture, comment naissent vos histoires ? Où trouvez-vous votre inspiration ?
Concernant mon inspiration, l’histoire sort généralement de mon esprit inconfortable et mal à l’aise que je souhaite apaiser. Tout le monde veut le bonheur et la liberté, moi aussi. Je crée souvent des histoires avec ce genre de sentiment. En revanche, les histoires naissent par hasard, comme par magie, dans ma vie quotidienne. Dans le cas du crapaud, comme je l’ai déjà mentionné, c’est une histoire qui est née de façon dramatique dans ma vie quotidienne. Cependant, il y a aussi des histoires qui ont commencé par une question pointue à laquelle il n’était pas facile de répondre. C’est le cas du prochain livre que je prépare avec Les Éditions des Éléphants.
Qu’est-ce qui arrive en premier, les dessins ou l’histoire ?
En général, les dessins arrivent d’abord. Parfois, ils créent eux-mêmes les histoires. De ce fait, je profite bien de mon carnet de croquis où j’écris et dessine chaque jour.
Parlez-nous de votre parcours.
Après avoir étudié la communication visuelle à Séoul et à Paris, j’ai travaillé comme graphiste. En parallèle, j’ai eu envie d’inventer une histoire avec laquelle développer mon propre univers graphique, sans limite. Grâce à ma motivation, j’ai réussi à publier mon premier album jeunesse. Ensuite, je me suis concentrée sur l’illustration et l’écriture d’histoires en tant qu’autrice-illustratrice. Jusqu’à aujourd’hui, cela me plaît beaucoup.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Quand j’étais petite, il n’y avait pas assez d’albums. Je me souviens surtout des Miffy. Quand j’étais un peu plus grande, je me rappelle que mes choix de lecture ont sauté d’un coup vers des romans comme Jane Eyre de Brontë, Les quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott, Crime et Châtiment de Dostoïevski, Sa Majesté des mouches de William Golding, etc. J’adore le roman et le drame classique.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
J’utilise des techniques différentes en fonction des histoires : le crayon, la lithographie, la sérigraphie, l’aquarelle, le monotype, etc. Mais en général, à la base, je me sers d’aquarelle avec des crayons de couleur. Pour Ce n’est pas grave, mon crapaud, la technique dont je me suis servi est le monotype qui accentue bien la trace et la couleur vive du crayon aquarellable. Par contre, pour le livre Quand arrive l’hiver, j’ai utilisé seulement l’aquarelle pour rendre l’atmosphère humide hivernale et l’émotion poétique.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Oui, j’aime beaucoup Kitty Crowther, Wolf Erlbruch et Jean-Jacques Sempé. Ils ont leur propre humour dans leur style graphique et je les admire depuis longtemps. Quand mon premier enfant était très petit, j’ai acheté L’Ogresse en pleurs de Valérie Dayre et Wolf Erlbruch. L’histoire est très forte et l’illustration a été un grand coup de cœur pour moi. (D’ailleurs, mon mari a halluciné et il l’a caché en haut pour que mon enfant ne puisse pas le prendre.) En fait, une scène de mon livre Ce n’est pas grave, mon crapaud rend hommage à une scène de ce livre. Ça montre à quel point j’aime son univers et le travail des auteurs sur ce livre.
Quelques mots sur les prochaines histoires que vous nous proposerez ?
Ce sera une histoire d’inquiétude ou de trouble que l’on ne peut pas surmonter tout seul. Mais grâce à la rencontre de deux amis par hasard, on trouve une porte vers la liberté. Cette histoire est née à partir d’une question sur la chance. La chance existe-t-elle vraiment ? Si la chance nous arrive, est-ce vraiment une coïncidence ou bien est-ce une fatalité ? Avons-nous un destin prédéterminé ? Souhaiter une bonne chance dans n’importe quelle situation, cela signifie qu’il y a une difficulté que nous voulons surmonter ou que nous avons un désir plus grand qu’actuellement. Mais on ne peut pas seulement attendre de rencontrer la chance pour avancer de quelques pas comme nous voulons, c’est trop passif. Bref, cette histoire a commencé autour de ces questions, et j’espère que ce sera un livre qui proposera des réponses appropriées.
Bibliographie :
- Quand arrive l’hiver, texte et illustration, L’élan vert (2022).
- Ce n’est pas grave mon crapaud, texte et illustration, Les Éditions des Éléphants (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Ici, ensemble et maintenant, texte et illustration, Thierry Magnier (2020).
Retrouvez Soyung Lee sur Instagram.
Quand je crée… Nathalie Wyss
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour celles et ceux qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Nathalie Wyss qui nous parle de quand elle crée.
6h28 je quitte mon village de campagne à bord d’un bus pour me rendre dans la librairie où je travaille. Je dois prendre deux cars pour y arriver et effectuer un trajet qui dure une heure quinze mais qui prendrai 20 minutes en voiture. C’est un choix presque délibéré, car c’est le seul moment où je peux écrire, lire ou flâner sur La mare aux mots et uniquement sur La mare aux mots…
À la maison, mes deux (adorables) bambins en bas âge n’aiment pas vraiment l’idée de me laisser écrire, même si c’est pour les enfants. Alors, avec mon ordinateur sous le bras, je grimpe la haute marche du bus en espérant trouver une place esseulée ou les conversations alentour ne seront ni trop intéressantes ni trop bruyantes.
Je baisse toujours la luminosité de mon écran au maximum par peur que les gens zyeutent et lisent le chantier que je suis en train d’écrire, comme si cela pouvait être plus intéressant que le contenu de leurs portables.
Je n’écoute pas de musique, cela a trop d’influence sur moi et risquerait de changer du tout au tout mon histoire.
Il m’arrive aussi d’écrire le soir dans mon lit, quand les enfants sont endormis. Mais bien souvent je suis trop fatiguée pour ça. Sans les transports je ne sais pas quand je pourrais écrire. Mais un jour mes enfants iront à l’école. J’ai toute la vie pour écrire, heureusement que je ne suis pas tenniswoman.
Quand j’arrive à la fin d’un projet, je DOIS le lire à voix haute et pour cela le bus ne fonctionne pas, comme vous pouvez l’imaginer. En général pour des textes « longs » je prends congé au travail et chez moi afin de m’exiler dans la maison de mes parents (qui travaillent). Chez eux, il y a un bureau, une table, mais je suis incapable de rester assise, cela m’ennuie, j’ai besoin d’être installée confortablement, alors je m’allonge sur le canapé sous un amas de couverture.
J’imprime toujours mes textes, car sur le papier, tout est différent.
Lorsque j’estime que mon projet est terminé, mon mari me le lit à voix haute et ça c’est vraiment l’épreuve ultime…
Quand j’ai une idée au fil de la journée et que je n’ai pas mon ordinateur sous la main, je m’envoie un mail.
Je n’écris pas à la main, je suis beaucoup trop impatiente pour ça. Je le faisais jeune, durant mes voyages sac à dos au bout du monde, mais je ne suis plus aussi jeune et je ne voyage plus au bout du monde.
Bon je vous laisse, j’arrive à destination et quand je traîne trop à sortir, je me retrouve coincée à l’intérieur du bus (histoire vraie).
Merci de m’avoir lue : ) !
Nathalie Wyss est autrice. En octobre dernier est sorti son roman Le temps fuit aux éditions Milan.
Bibliographie sélective :
- Le temps fuit, roman illustré par Raphaël Beuchot, Milan (2022), que nous avons chroniqué ici.
- L’arrêt de bus, album illustré par Juliette Lagrange, Kaléidoscope (2022).
- Le livre perdu, album co-écrit avec Bernard Utz, illustré par Laurence Clément, Helvetiq (2021).
- Le pays du grand ciel, album illustré par Jérémy Pailler, Kaléidoscope (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Le chat, la barque et l’enfant, album illustré par Caroline Dalla, L’initiale (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Onze ours, album illustré par Pascale Breysse, L’initiale (2019), que nous avons chroniqué ici.
- De quelle taille est ton cœur ?, album co-écrit avec Bernard Utz, illustré par Jamie Aspinal, Helvetiq (2019).
- Un marron dans la poche, album illustré par Cécile Deglain, L’initiale (2019), que nous avons chroniqué ici.
- L’allumeur de réverbères, roman, Oskar Jeunesse (2018).
- L’enfant qui avait oublié sa peur, album illustré par Béatrice Boutignon, Le baron perché (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les esprits de Taïga, roman illustré par Emna, Limonade (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Au cœur de l’Himalaya, roman illustré par Emna, Limonade (2012), que nous avons chroniqué ici.
- L’étoile des Himba, roman illustré par Emna, Limonade (2012).
- L’œil du tigre, roman illustré par Emna, Limonade (2011), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Nathalie Wyss sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !