Aujourd’hui, on reçoit deux invité·es lié·es par un même livre, C’était un matin (sorti en fin d’année dernière chez La Joie de lire). C’est avec l’autrice Sylvie Neeman que l’on commence avec son interview, puis on continue avec l’illustrateur, Pierre-Emmanuel Lyet, pour le En vacances avec.
L’interview du mercredi : Sylvie Neeman
Pouvez-vous nous parler de C’était un matin ?
C’est l’histoire de Millie. L’histoire d’une attente. Millie vit sa petite vie de souris. Elle cuisine, lit et écrit, sur son ordinateur. Elle observe et elle raconte : le merle, le lapin, la fougère, la chouette, la rivière. Elle fait des conserves, mais pas de fruits.
Peu à peu, on comprend que Millie est dans l’attente de son amoureux, mais aussi, mais surtout d’un heureux événement. Combien seront-ils, tous ces souriceaux à naître ? Comment seront-ils ? Que deviendront-ils ? Quelle vie s’ouvre à eux ? Que leur réserve le vaste monde ? Comment les en protéger — mais surtout pas trop…
Il y a le dedans et le dehors, le chaud et le froid, il y a le connu et l’inconnu, le proche et l’illimité. Et puis l’enfance, qui déboule et chamboule tout. Il y a une envie que l’imaginaire chemine tout à côté du réel, que hier et aujourd’hui se blottissent dans le même creux d’arbre. Et aussi un désir de travailler particulièrement la langue, de m’offrir des libertés… C’est Pierre-Emmanuel Lyet qui a si délicatement illustré cette histoire parue en octobre dernier à La Joie de lire : ses tonalités, l’expressivité des personnages, ses atmosphères, ce sont des merveilles.
Comment naissent vos histoires en général et celle-ci en particulier ?
Je crois qu’il n’y a jamais de généralité. Mes histoires naissent d’un mot, d’une phrase, d’une chose vue ou imaginée derrière une fenêtre, elles naissent d’une envie, d’un souvenir, d’une discussion, d’une silhouette, d’un manque… À chaque fois il doit s’agir d’une évidence. Sinon il n’y a pas d’histoire. Je crois que C’était un matin est né de sa première phrase. Ça m’était déjà arrivé pour Il faut le dire aux abeilles. Une phrase s’immisce, s’impose, elle me dit en quelque sorte « tu ne vas pas pouvoir faire sans moi », puis elle tire derrière elle d’autres mots, elle tire derrière elle le sens lui-même, c’est comme s’il naissait du cocon des mots qu’on déroule peu à peu. Et moi je me laisse porter par ça, j’entre dans le jeu avec bonheur, avec attention, avec assiduité. Je dois me montrer à la hauteur !
Qui sont vos premier·ères lecteur·rices ?
Ce sont souvent mes éditrices, parfois je demande à une ou un de mes proches, mais je crois plus en leur gentillesse qu’en leur objectivité. Et puis, surtout, c’est moi. Je me lis mes textes à voix haute (mais pas trop), c’est important, pour le rythme, la mélodie.
Vous avez longtemps chroniqué des livres pour un grand quotidien et donc lu énormément d’albums. Est-ce que lire autant d’albums jeunesse a influencé votre écriture et si oui de quelle façon ?
Toutes ces lectures m’ont nourrie, c’est une évidence. Mais au même titre que tant d’autres choses. Je dirais surtout que j’ai remarqué que l’image est si importante, dans les albums — parfois elle prend toute la place, toute l’attention — que j’ai eu envie, comme toujours mais peut-être un peu plus spécialement pour ce livre, de travailler la langue, de raconter aux enfants, en plus de l’histoire elle-même, qu’on peut jouer avec les mots, les lancer en l’air et regarder comment ils retombent, qu’on peut arrêter des phrases en plein milieu et ne rien perdre du sens, qu’on peut déguiser des adverbes en adjectifs, des adjectifs en noms. Les enfants reconnaîtront toujours une girafe, même si elle est verte, même si ses taches sont carrées, même si elle joue de la guitare. Alors si mes phrases jouent parfois un peu de guitare, ça ne leur pose pas de problème non plus.
Parlez-nous de votre parcours.
J’ai étudié les lettres à l’Université : la littérature, la philosophie, la linguistique, c’était une période merveilleuse, j’ai adoré faire ces études-là, mais je ne sais pas si ça m’a vraiment servi. J’imagine que oui.
Par la suite j’ai un peu enseigné, écrit pour des revues, j’ai eu deux filles, je me suis mariée, j’ai commencé à collaborer à la revue Parole de l’ISJM et quelques années plus tard j’en ai pris la direction ; et parallèlement j’ai écrit, pendant vingt ans, des chroniques pour le quotidien Le Temps. Mais depuis un peu plus d’une année, je ne fais plus qu’écrire des histoires, des textes, écrire « pour moi », c’est-à-dire en espérant que les textes seront publiés et lus.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Oh mes lectures d’enfant étaient celles de tous les enfants nés dans les années 1960 : les Oui-Oui, Clan des sept et autres Club des cinq. Mais avec une préférence pour les Bennett et Mortimer. Je me souviens de notre bonheur, à mon frère et moi, lorsque notre maman revenait de la ville avec le dernier opus, on ne se battait même pas pour le lire, parce qu’un livre pas encore lu reste… un livre à lire ! J’ai aussi adoré Le 35 mai d’Erich Kästner, j’ai dû le lire dix fois. Plus tard, à l’adolescence, c’est Marguerite Duras qui m’a complètement subjuguée. Puis Philippe Jaccottet, Nancy Huston, Erri De Luca, Paul Auster…
Quelques mots sur les prochaines histoires que vous nous proposerez ?
Quelques mots ? « C’était un petit roi. Comment je sais ça ? Eh bien, il avait une couronne sur la tête. Même qu’il l’avait faite lui-même. »
Ce petit roi auto-proclamé voudrait dès lors inventer des choses, mais les chats ont déjà des moustaches et la chaise s’appelle déjà chaise, pas de chance ; il va chercher à expérimenter l’autorité, mais il aura des désillusions. Jusqu’à ce qu’il découvre que le plus beau des pouvoirs, c’est peut-être l’imagination. Le petit roi sera, tout comme C’était un matin, illustré par Pierre-Emmanuel Lyet (quel bonheur !) et édité à La Joie de lire.
Bibliographie :
- C’était un matin, album illustré par Pierre-Emmanuel Lyet, La Joie de lire (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Monsieur Paul et le poisson Alfred, roman illustré par Serge Bloch, L’école des loisirs (2022).
- Les mystères du temps, album illustré par Rémi Farnos, La Joie de lire (2021).
- Toute une vie à écrire, album illustré par Albertine, La Joie de lire (2020).
- Ils arrivent !, album illustré par Albertine, La Joie de lire (2018), que nous avons chroniqué ici.
- L’homme qui faisait peur aux oiseaux, album illustré par Pierre Pratt, La Joie de lire (2018).
- Le voyage au bord du monde, album illustré par Barroux, Mango (2018).
- Le petit bonhomme et le monde, album illustré par Ingrid Godon, La Joie de lire (2016).
- La mer est ronde, album illustré par Albertine, La Joie de lire (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Quelque chose de grand, album illustré par Ingrid Godon, La Joie de lire (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Il faut le dire aux abeilles, album illustré par Nicolette Humbert, La Joie de lire (2011).
- Mercredi à la librairie, album illustré par Olivier Tallec, Sarbacane (2007).
En vacances avec… Pierre-Emmanuel Lyet
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un·e, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… Cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte avec nous que ces choses-là, on ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… Sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’iel veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Pierre-Emmanuel Lyet que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse :
- Michka (Marie Colmont et Feodor Rojankovsky, 1941)
- Porculus (Arnold Lobel, 1969)
- Le Plus Grand Livre du Monde ! (Richard Scarry, 1981)
- Zagazoo (Quentin Blake, 1998)
- Max et les Maximonstres (Maurice Sendak, 1967)
Mais comme ma valise est grande je prends aussi Le Tour du Monde de Mouk (Marc Boutavant, 2002)
5 romans
- Mon chien Stupide, John Fante
- Ubik, Philip K Dick
- Harry Potter et la Coupe de feu, JK Rowling
- La Fée Carabine, Daniel Pennac
- Le Dahlia noir, James Ellroy
Mais comme ma valise est vraiment grande je prends aussi Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry
5 BD
- Tintin au Tibet, Hergé
- Transat, Aude Picault
- Gus, intégrale de Christophe Blain
- La Légèreté, de Catherine Meurisse
- Broderies, Marjane Satrapi
Génial, cette valise extensible. J’ai donc de la place pour Watchmen de Allan Moore !
5 DVD
Je n’ai plus de DVD, mais en voyage j’ai ma tablette, chouette !
Je peux donc en prendre plus !
- E.T l’extra-terrestre, de Steven Spielberg
- Daguerréotypes, d’Agnès Varda
- Le Ballon rouge, de Albert Lamorisse
- Mon voisin Totoro, de Hayao Miyasaki
- 2001, l’Odyssée de l’espace, Stanley Kubrick
ET
- À l’abordage, de Guillaume Brac
- Le Roi et l’Oiseau, de Paul Grimault
- Mulholland Drive, de David Lynch
- The Place Beyond the Pines, de Derek Cianfrance
- Arizona Dream, Emir Kusturica
- Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma
5 CD
- José Gonzalez, Veneer
- Maurice Ravel, Œuvre complète au piano
- Agnès Obel, Philharmonics
- Chet Baker, Chet
- Radiohead, In Rainbows
Dis donc, Gabriel, il me semble qu’il te reste de la place dans ta valise ? Allez :
- Miriam Makeba et Harry Belafonte, An evening with Belafonte/Makeba
- Miles Davis, Kind of blue
- Sufjans Stevens, Carrie & Lowell
- Rage Against the Machine, Rage Against the Machine
- LCD Soundsystem, This is Happening
- The Beatles, Let it be
5 artistes
- Paul Rand
- Aurore de la Morinerie
- Saul Leiter
- Claire Tabouret
- David Hockney
Et bien sûr
Jean-Jaques Sempé et Saul Bass
5 lieux
- Le Parc des Buttes Chaumont à Paris
- Les Quais de la Seine à Paris
- La Isla del Sol en Bolivie
- Washington Square à New York
- Le désert d’Atacama au Chili
Pierre-Emmanuel Lyet est auteur et illustrateur. Son dernier album paru, C’était un matin (voir l’interview de Sylvie Neeman, autrice de l’album, ci-dessus) est paru aux éditions La Joie de lire en 2023.
Bibliographie :
- C’était un matin, illustration d’un texte de Sylvie Neeman, La Joie de lire (2023).
- Renata sait tout faire, illustration d’un texte de Mélanie Delloye, Gallimard Jeunesse (2023).
- Ce jour-là, texte et illustration, Seuil Jeunesse (2022).
- Le petit creux, illustration d’un texte de Pierre Delye, Didier Jeunesse (2022).
- Le bonheur, illustration d’un texte de Benoît Reiss, A2MIMO (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Renata petite aventurière, illustration d’un texte de Mélanie Delloye, Gallimard Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Mona Lisa, ma vie avec Léonard, illustration d’un texte d’Éva Bensard, Amaterra (2020).
- Le Retour du loup, illustration d’un texte de Nicolas Vannier, avec Gordon, Hélium (2016).
- Pierre & le loup, illustration d’un texte de Sergueï Prokofiev, avec Gordon, Hélium (2014).
Retrouvez Pierre-Emmanuel Lyet sur son site et sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !