Aujourd’hui, on a d’abord rendez-vous avec Valentine Laffitte, qui vient de sortir un album tout en collage aux éditions Versant Sud, Aux quatre coins du monde, puis on va se glisser dans l’atelier du peintre Olivier Desvaux, qui vient d’illustrer Les plus beaux airs de ballets chez Didier Jeunesse, afin de voir comment il crée ! Bon mercredi.
L’interview du mercredi : Valentine Laffitte
Racontez-nous votre parcours
C’est à la fin de mon secondaire en option art appliqué au lycée Cantau à Anglet (Pays basque) que j’ai choisi de me diriger vers l’illustration. J’ai intégré le lycée Auguste Renoir à Paris et j’ai découvert l’illustration dans une école qui mettait l’accent sur la recherche et l’expérimentation. Après avoir obtenu mon DMA illustration, j’ai continué mes études à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, dans l’atelier d’illustration d’Anne Quévy où j’ai pu approfondir le rapport texte-image. C’est avec mon projet de master que je suis allée vers le collage.
En parallèle à mon travail de l’image, j’ai entamé une formation en art-thérapie à l’hôpital Erasme, obtenu une licence en art plastique à la Sorbonne à Paris et une agrégation qui m’a permise d’enseigner les arts plastiques dans le secondaire à Bruxelles.
Ces formations m’ont permis d’enrichir mon expérience de l’animation en tant qu’illustratrice et d’aller à la rencontre d’autres publics et de nouveaux cadres.
Pouvez-vous nous présenter votre dernier album, Aux quatre coins du monde sorti chez Versant Sud ?
Il s’agit d’une balade aux quatre coins du monde menée par une ourse blanche, une abeille, une tortue et un orang-outan. Chacun des personnages se fait le porte-parole d’un environnement — banquise, plaine, monde sous-marin et forêt — devenu fragile et parfois hostile.
Le livre est une invitation à regarder le monde à travers les yeux des animaux et à découvrir d’autres quotidiens. J’ai eu envie de mettre en avant la notion de vivant, d’interdépendance et d’équilibre des espèces avec leur environnement. Difficile de ne pas conclure en revenant à l’Homme et d’insister sur son appartenance à ce même monde.
Cet album parle d’écologie et de l’avenir de la planète, ce sont des sujets qui vous préoccupent particulièrement ?
Oui évidemment, ce sont des sujets importants et préoccupants. Ce qui comptait surtout c’était de m’approprier ces thématiques à travers une histoire, de créer une proximité avec les quatre coins du monde en invitant le lecteur à quitter le point de vue humain et à se plonger dans l’univers et la réalité d’autres habitants.
Ce projet a justement permis de faire des ponts entre les disciplines et de collaborer avec Krystel Wanneau qui est chercheuse, et qui a fait un précieux travail de recherche autour de la problématique de chacun des animaux ; matière sur laquelle j’ai pu m’appuyer pour bâtir l’histoire et le texte.
Votre technique d’illustration est très particulière, originale, j’aimerais que vous nous racontiez comment vous travaillez.
Je travaille à partir de papiers peints puis je me lance souvent directement dans la découpe. Je commence généralement plusieurs choses à la fois pour ne pas me sentir coincée à un moment. Ça me permet d’apporter des précisions, des détails, de revenir dessus avec un regard neuf.
Et puis le choix du collage s’est fait au moment de mon projet de master, après avoir expérimenté plusieurs techniques pendant mes études. Il y a un côté direct et brut qui me plaît beaucoup et qui me permet de dessiner plus librement.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
J’observe énormément. Je rassemble et collecte en permanence dans mon quotidien, dans mon environnement, ça peut-être une histoire que j’entends, une scène dans un film, un décor, une image, une interview à la radio, une phrase soulignée dans un livre…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Il y avait ce livre en pop-up de Pierre et le loup illustré par Barbare Cooney, un livre comme un théâtre. Enfant, c’était fascinant de voir l’image fixe qui s’anime par la manipulation : l’oiseau qui vole, le loup qui essaye de grimper dans l’arbre, et l’imaginaire qui fait le reste. L’univers onirique et tendre de l’illustratrice, les couleurs douces, le trait naïf en ont un fait un livre qui m’a vraiment marquée et que j’ai toujours avec moi.
J’adorais la collection des Où est Charlie, je trouvais ça fantastique d’avoir ces grandes pages avec tous ces détails minuscules, des scènes partout et des milliers d’histoires en même temps. Ça m’a vraiment donné ce goût de passer du temps dans les images.
Et puis, j’ai gardé cet intérêt pour les détails et d’avoir dans une même image toujours plusieurs d’histoires en parallèle et plein de choses à voir.
Vous avez sorti deux albums chez Versant Sud, pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec cette belle maison ?
C’est avec Petite peur bleue, que nous avons démarré notre collaboration. Je devais proposer une histoire pour la collection des pétoches, leur super collection autour de la peur. Il y a eu un suivi très soutenant dans la construction du projet jusqu’à la maquette finale, un regard extérieur précieux autour du texte et de la narration par Fanny Deschamps (éditrice de chez Versant Sud Jeunesse).
Il y a eu ensuite Aux quatre coins du monde où graphiquement j’ai expérimenté de nouvelles choses : il y a eu tout à coup beaucoup plus d’épaisseurs de papiers, de couches de couleurs et de matières dans mes planches, ça n’était pas vraiment prévu et elles ont accueilli tout ça en cours de route. Il y a une relation de confiance qui s’est installée et c’est très précieux. Là aussi les réunions de suivi du projet ont aidé à l’aboutissement de la maquette, cette disponibilité-là aussi elle est précieuse.
Il y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche particulièrement ?
Mari Kanstad Johnsen, pour la liberté de son dessin, de son trait et ses compositions vivantes. Il y a une énergie et un rythme dans ses livres qui me surprennent à chaque fois, tiraillée entre l’envie de passer du temps dans l’image et l’impatience à découvrir la suivante.
Jockum Nordström, pour son travail du collage, la narration et la poésie de ses compositions. L’univers brut et naïf, fort et doux de ses images.
Enfin Loïc Froissart, j’ai découvert son travail en achetant son livre paru aux éditions du Rouergue Le jour où les ogres ont cessé de manger des enfants. J’ai été immédiatement séduite par son trait libre et spontané, par sa manière de dessiner les personnages qui m’a vraiment marquée.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le projet KidZone Lab ?
Le projet réunit Ivonne Gargano artiste et illustratrice, Margaux Vaghi qui s’occupe du développement, Aria Ann qui est designer et qui travaille le bois, Cécile Massou qui est scénographe… C’est un projet « laboratoire » pour enfant et adulte qui continue d’évoluer. On propose des installations pour les tout-petits (dès 6 mois) qui permettent d’inclure les parents et de créer un moment en famille dans un environnement stimulant le sensoriel. On anime des ateliers pour les plus grands et même pour les adultes depuis cet été, avec un club de dessin mené par Ivonne.
On a envie d’ouvrir et de pouvoir proposer des ateliers aux techniques variées pour faire rencontrer le savoir-faire d’artistes aux enfants. On croit beaucoup en l’atelier comme espace de jeu, de rencontre et de partage d’expérience.
Travaillez-vous sur un nouvel album et pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Il va y avoir normalement un projet d’édition avec la revue Dot to dot autour d’une sélection de plantes locales. Ça va être une collaboration avec l’équipe du magazine, Charlotte Staber qui est herboriste et qui écrira les textes et je vais travailler sur les illustrations.
C’est encore assez vague, mais j’aimerais faire un livre autour de la maison.
Il y a eu plein de signes ces derniers mois qui m’ont amenée à prendre ce lieu comme décors à une nouvelle histoire : je suis tombée par hasard sur une photographie en noir et blanc intitulée « the house of nonsense », j’ai proposé un atelier en ligne à des enfants confinés qui devaient partir en voyage depuis leur lieu de confinement… Pendant le premier confinement, j’ai justement travaillé sur une petite histoire à la lueur d’une allumette et où les pièces de la maison se laissent voir différemment et je crois que ça a enclenché quelque chose.
Bibliographie sélective :
- Aux quatre coins du monde, texte et illustrations, Versant Sud (2020).
- Grandir, texte et illustrations, Fédération Wallonie-Bruxelles (2018).
- Petite peur bleue, texte et illustrations, Versant Sud (2017), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Valentine Laffitte sur son site : https://valentinelaffitte.com.
Quand je crée… Olivier Desvaux
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Olivier Desvaux qui nous parle de quand il crée.
J’aime me rendre à vélo à mon atelier, je longe la Seine sur 4 km, de Villequier à Caudebec-en-Caux, la tête tournée vers les reflets et la lumière du fleuve. C’est une découverte et un émerveillement chaque matin. C’est pour moi la meilleure façon de commencer la journée, sentir l’air frais dans mes poumons et prendre un bain de nature.
Parfois je me déplace en voiture car j’emmène mes trois enfants à l’école. C’est aussi ce qui rythme ma journée de travail (9 h – 17 h / je ne travaille jamais le weekend, ni pendant la nuit !).
Arrivé à l’atelier, je m’installe sur ma grande table de dessinateur industriel, elle est haute et me permet d’avoir beaucoup de matériel dessus : une grande palette, une forêt de pinceaux, mes tubes de peintures à l’huile, les essences, l’huile de lin, le vernis damar, des crayons, du papier, de la toile de lin… et mon ordinateur qui cache dans son ventre les textes que je vais illustrer.
De ma fenêtre, je vois le ciel, la Seine, les cimes de la forêt de Brotonne. De temps à autre, un porte-conteneurs passe entre les immeubles de la petite ville, semblant toujours gigantesque.
J’ouvre souvent les portes-fenêtres même quand il fait froid car j’ai besoin de sentir les éléments auprès de moi, d’avoir le ciel et l’horizon présents pour que mon esprit s’évade.
Je lis le texte sur l’écran, des images naissent dans mon imaginaire. Je fais de tout petits croquis et je cherche, j’essaie différentes pistes. J’ai besoin de silence et de concentration, car cette phase de travail est très importante, c’est ce qui va déterminer tout le reste. Je cherche des idées, des compositions, des jeux de lumière pour chaque double page.
Après cette phase de travail, je vois flou à la fin de la journée.
Je laisse mûrir, me documente, reviens sur mes dessins, les améliore, et le chemin de fer monte petit à petit.
J’échange avec l’éditeur et une fois que tout le chemin de fer est en place, j’attaque la couleur. Je réalise d’abord une recherche colorée sur ordinateur. Je scanne mon dessin et le colorie numériquement, je travaille les rapports de couleurs, les contrastes, les lumières. Cela me permet de savoir où je vais avant de passer à la peinture à l’huile.
Puis c’est l’exécution, la palette remplie de couleurs, les odeurs de peintures se baladent dans l’atelier, c’est le moment de mettre du jazz et de s’amuser. Poser les premiers aplats, des jus, un empâtement, un glacis, un éclat de lumière. C’est de la peinture, c’est très sensoriel et j’adore ça !
Je commence 4 ou 5 illustrations en même temps, laisse un temps de séchage pour quelques jours et termine l’illustration dans un second temps.
De temps à autre, je quitte l’atelier pour une petite récréation. Je fais mes gammes colorées. J’emporte mon chevalet et je vais peindre dans la rue, au bord de la Seine ou ailleurs dans un autre pays ! Ce sont des études qui me permettent d’aiguiser mon regard, mieux comprendre la lumière, la subtilité des couleurs. Je suis à la recherche de nouvelles lumières pour revenir à l’atelier avec de nouvelles inspirations.
Deux vidéos qui nous permettent encore mieux de nous glisser dans l’atelier d’Olivier Desvaux :
Bibliographie sélective :
- Les plus beaux airs de ballets, illustration d’un collectage de David Pastor, Didier Jeunesse (2020).
- La petite danseuse, illustration d’un texte de Géraldine Elschner, Élan vert (2020).
- Gisèle, illustration d’un texte de Pierre Coran, Didier jeunesse (2019).
- Un jour particulier, illustration d’un texte de Michel Séonnet, l’élan Vert (2019).
- Cosette, illustration d’un texte de Victor Hugo, Belin Jeunesse (2019).
- Le Lac des cygnes, illustration d’un texte de Pierre Coran, Didier jeunesse (2017).
- La Fille de la toundra et l’esprit maléfique, illustration d’un texte de Maria Diaz, Belin Jeunesse (2016).
- Sylphide, fée des forêts, illustration d’un texte de Philippe Lechermeier, Gautier-Languereau (2015).
- Le Magicien d’Oz, illustration d’un texte de Jean-Pierre Kerloc’h, Didier jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le Pirate et le Gardien de phare, illustration d’un texte de Simon Gauthier, Didier jeunesse (2013).
- Petit papa Noël, illustration d’un texte de Tino Rossi, Casterman (2011).
Retrouvez Olivier Desvaux sur son site : https://www.olivierdesvaux.com.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !