Chaque mois, nous mettons un coup de projecteur sur un·e auteur·rice, un·e illustrateur·rice ou une maison d’édition. Ce mois-ci, c’est à Marie Chartres que nous consacrons cette rubrique.
« Je crois toujours qu’il existe des fils invisibles entre les êtres et que ceux-là, ceux qui se reconstruisent forment une communauté silencieuse et invisible qui s’entraident et s’élèvent. » (Interview La Voix du Livre)
Parfois, au détour d’un couloir, dans une bibliothèque ou une salle de classe, un livre accroche notre regard. Il n’est pas particulièrement beau. La couverture est simple. On ne connaît pas l’autrice. Mais les mots, les mots du titre, résonnent en nous.
Comme un feu furieux.
Les petits orages.
Marie Chartres écrit les mots qui sont enfouis en nous, ceux qu’on n’ose pas dire, ceux qui restent coincés, ceux qu’on voudrait ignorer. Elle les écrit et soudain, tout apparaît sous un nouveau jour.
Morgan
Tino vit sur une petite île, qui n’est pas plus grande qu’un caillou, « une petite miette de pain sur une carte géographique ». Ce petit bout de terre est peuplé de vieillard·es qui se ressemblent tous et toutes ; et uniquement six enfants se rendent chaque jour à l’école. Ici, Tino se sent seul. Bien sûr, il y a les mouettes avec qui discuter, mais il est souvent déçu de leurs conversations. Tino attend. Il attend quelqu’un, il attend qu’il se passe quelque chose ; sait-on jamais, une vraie belle aventure, bien plus palpitante que son exploration quotidienne de l’île et des rochers. Enfin, un après-midi, la maîtresse annonce une grande nouvelle : le lendemain, une classe du continent va venir visiter leur territoire. Tino est surexcité. Et si c’était le moment qu’il espérait tant ?
Marie Chartres nous propose un petit roman pour aventurier·ères en herbe, rappelant au passage qu’il n’est pas nécessaire d’avoir la carrure d’un Indiana Jones pour se voir petit·e explorateur·rice ou grand·e scientifique. Tino est un petit garçon solitaire, qui ne trouve pas forcément sa place parmi les autres enfants de son âge, mais la rencontre qu’il fera ce jour-là et surtout l’amitié qui en découlera, lui donneront une force nouvelle. Il apprendra que la patience est une vertu, qu’il faut toujours garder espoir, mais surtout croire en ses rêves. Cette rencontre l’amènera également à s’émerveiller, face à son île, à redécouvrir ce qu’il avait sous les yeux, et qu’il ne voyait même plus. Les petits lecteurs et les petites lectrices n’auront, quant à eux, qu’une envie : aller poser leurs valises sur l’île de Sein. Les illustrations de Jean-Luc Englebert apportent du dynamisme à l’ensemble de l’histoire. Avec ce livre entre les mains, chacun·e aura la sensation d’entendre le son des vagues, de respirer l’air iodé, et de sentir l’odeur des crêpes.
Carole
Ismaël sait qu’il a un pouvoir magique, il vole en dormant. Il le sait, car le matin quand il se réveille il n’est plus dans son lit, mais dans celui de sa mère. Son pouvoir a commencé quand sa mère s’est retrouvée seule, après le départ de son père lassé de vivre avec une femme frappée par la mélancolie.
Dans Les nuits d’Ismaël, Marie Chartres s’attaque à un sujet très délicat, la dépression d’un des parents, mais elle le fait avec une infinie délicatesse et beaucoup de poésie. Si ici l’histoire est tragique (je ne vais pas vous divulgâcher l’histoire, mais je peux néanmoins vous prévenir que les choses ne vont pas être roses…), Marie Chartres arrive à faire que ça ne soit pas extrêmement plombant (bon, ce n’est pas non plus léger…) notamment grâce à cette croyance d’Ismaël qui voit dans sa téléportation nocturne un super pouvoir. Elle exprime avec justesse comment un enfant peut vivre (et voir) la dépression de l’un de ses parents. Un très joli roman.
Gabriel
Rose est une ado de 15 ans, solitaire et renfermée sur elle-même. À l’école, elle ne parle à personne et reste dans son coin, coupée des autres par un poids qui la fait grandir trop vite, une injustice qui l’arrache à l’innocence de son âge.
Elle appréhende le soir, quand elle rentre à la maison, que la nuit tombe et que les couleurs semblent disparaître… Car c’est là que le noir s’empare des poumons de Nathan, son frère aîné atteint de mucoviscidose. Enfin, c’est surtout à ce moment qu’elle assiste au spectacle de ses parents totalement impuissants face aux crises de toux, ces instants où tout semble à la fois plus aiguisé et plus fragile. Où tout peut basculer. En parallèle, il y a son père qui est souvent au chômage et sa mère qui porte tout ce monde à bout de bras. Et Rose s’oublie, face à cette maladie qui monopolise toute l’attention et l’énergie, la sienne et celle de ses proches. Elle est en colère car elle vit, alors son frère se contente de survivre.
Marie Chartres explore la thématique sensible de la maladie d’un proche, pendant la période déjà très complexe qu’est l’adolescence. Rose, la narratrice, est pleine d’émotions contradictoires qui s’entrechoquent, créant un tableau à la fois poétique et touchant. Elle n’a plus le goût des choses, plus l’envie de s’intéresser aux autres et elle se sent en décalage constant. Mais elle va assister à un renouveau avec l’apparition de deux personnages, porteurs d’une douleur faisant écho à la sienne.
Il s’agit de Zeus et de sa sœur Iris, aux côtés de qui l’horizon semble un peu moins sombre. Rose redécouvre la vie et un semblant de légèreté, prend appui, et apaise ainsi un peu toute cette culpabilité qui la ronge.
Bleu de Rose est écrit à hauteur d’ado, avec des mots simples et percutants, où l’on sent la maladresse d’une jeune fille sensible et à fleur de peau. Celle-ci tente de tout faire pour redonner le sourire à son frère, tout en souhaitant fuir sa maladie : la tension y est constante car la fin peut survenir à tout moment. De ce fait, l’écriture est saccadée, retranscrivant la colère, la peur, tout cet empressement de noter pour s’alléger et se souvenir avant que le soir ne tombe. Elle ressemble aux battements d’un cœur, transmet plein d’émotions brutes.
L’autrice joue avec les respirations : celle empressée de sa narratrice et celle étouffée de Nathan. Le souffle que l’on retient au fond du bleu d’une piscine ou celui qui s’affole au milieu d’une nuit noire. Il y a beaucoup de couleurs et de pensées dans ce roman, qui sonne juste et bouscule.
Caroline
Depuis son accident, Moses n’est plus le même. Son corps bouleversé n’est que la partie émergée de l’iceberg : c’est en-dedans qu’il est le plus changé. Il n’arrive plus à (s’)aimer, il se renferme, il s’apitoie… À la maison, son père évite son regard, ne lui parle presque plus ; sa mère, en fauteuil roulant à cause de l’accident, se renferme dans une nonchalance et un humour qu’elle surjoue. L’adolescent se rabat sur l’autodérision et le fatalisme. Et ça semble parti pour durer… jusqu’à l’arrivée de Ratso, un grand et gros Indien qui l’emmènera sur les routes dans sa voiture défoncée, direction la réserve de Pine Ridge où les attend sa sœur.
L’humour cynique de Moses, la gentillesse brute de Ratso nous transportent dans un roman subtil et drôle, qui touche profondément son⋅sa lecteur⋅ice. Les deux adolescents, portés par la plume sensible de Marie Chartres, savent atteindre en nous des recoins tristes et sombres et les éclairer. Durant leur road-trip entre Canada et États-Unis, les garçons vont se découvrir l’un l’autre, se mettre à nu pour en ressortir plus sains, comme décapés. Moses l’enfant sage et triste se débat avec ce qu’on lui a pris et ce qu’il lui reste ; Ratso, de son vrai nom Sticky Bear, est une force de la nature, mais il se débat tout pareil, même si leur façon d’aborder les problèmes — frontale pour Ratso, en louvoyant pour Moses — sont aux antipodes l’une de l’autre. C’est poétique, drôle, absurde, mélancolique, ça dépasse les clichés et réconforte, bref : en lisant Les petits orages, on s’allège d’un poids et l’on repart avec de l’espoir plein le cœur.
Morgan
Suzie écrit à Mine, sa vraie mère. Lettre après lettre elle lui explique comment elle a su la vérité, ce qui lui a fait comprendre que ceux qui prétendent être ses parents ne le sont pas, et elle imagine qui est cette Mine, celle qui est sa vraie mère.
Beaucoup d’enfants sont persuadés, à un moment de leur enfance ou de leur adolescence, que leurs parents ne sont pas les bons, qu’ils ont été adoptés. Marie Chartres, à travers le personnage de Suzie, raconte ça avec beaucoup de justesse. La jeune fille de bientôt 10 ans écrit de longues lettres à celle qu’elle imagine être sa mère, elle qui, comme elle, doit avoir de belles anglaises, tandis que ses « faux parents » ont les cheveux si lisses… L’écriture de Marie Chartres est extrêmement littéraire, chaque mot semble pensé, chaque phrase réfléchie. Mais le format lettre, avec ses chapitres courts, devrait ne pas rebuter les jeunes enfants qui ne sont pas de gros lecteurs.
Gabriel
Un chien du nom d’Hortensia est attaché dans la minuscule cour d’une maison perdue au milieu des champs. Il passe ses journées seul, sous la pluie ou dans le froid à aboyer, en colère contre le vent et l’oiseau. Car eux sont aussi rieurs et libres que lui est triste et enchaîné.
Une hirondelle, une souris, un chat et un mouton passent tour à tour vers lui, gambadant à travers la campagne. Le chien les appelle, leur proposant de leur apprendre à japper, en échange de leur aide pour se libérer de sa chaîne. Cependant, aucun·e ne semble intéressé·es par ce troc et tous et toutes continuent leur chemin, laissant le chien de nouveau seul. Jusqu’au jour où un âne voit au-delà de l’aspect méchant et grognon de la pauvre bête et entend sa détresse.
Hortensia évoque le sujet assez peu abordé dans la littérature jeunesse de la maltraitance animale, à travers ce petit chien délaissé par ses humain·es que tout le monde fuit au lieu de l’écouter. On s’en occupe au minimum, lui apportant de la nourriture mais aucune forme d’attention, comme s’il s’agissait d’un simple objet de garde.
Au premier abord, même les différentes bêtes qui viennent à lui le fuient presque aussitôt, s’arrêtant aux préjugés qu’il leur inspire : Hortensia leur fait tout simplement peur et ne leur donne pas envie de le secourir, car ils ne comprennent pas qu’il a besoin de réconfort et d’attention.
Mais c’est surtout l’entraide et la solidarité qui éclairent ce court récit, où chaque mot est choisi avec soin. En effet, les sentiments d’Hortensia évoluent subtilement au fil du texte, passant de la colère à la solitude, de l’emprisonnement à la peine puis finalement de la joie, à la cohésion et à la délivrance.
Les dessins appuient ces changements grâce aux traits très expressifs du personnage principal, auquel on s’attache immédiatement. De plus, l’allure même de la maison renforce l’impression de grande solitude et de chagrin éprouvée par Hortensia : longue et étroite, isolée au milieu des champs de blé seuls les volets qui s’ouvrent et se ferment au gré des jours laissent sous-entendre un signe de vie…
La liberté est si proche et pourtant inaccessible, du moins sans l’aide d’une oreille à l’écoute et d’un coup de patte.
Un album sur l’isolement et la condition des animaux domestiques, mais surtout sur la force et le bonheur qu’entraînent solidarité, capacité d’écoute et considération.
Caroline
Être adolescent·e à Tiksi n’est pas chose aisée. N’y restent que les gens d’un autre âge qui ont pris racine autour de ce port dans lequel quelques rares navires de passage viennent s’amarrer le temps d’une escale. Mais pour Lazare, Gavriil et Galya, bien que cette ville sombre soit leur quotidien et il leur semble encore trop tôt pour prendre racine dans cette ville de glace et de neige. Si cette fratrie a l’âge des envies d’ailleurs, chacun·e de ses membres semble manquer cruellement de légèreté pour oser imager un jour s’offrir une échappée belle. Et pourtant, la vie les appelle. Ailleurs, comme tant d’autres auparavant. Mais partir, c’est accepter de laisser derrière soi un père lunatique et taiseux, un homme fragile qui aime avec maladresse dans le silence de ses regrets. Rempli de douleurs inconsolables, il refuse de quitter cet endroit où plane un fantôme qui n’est jamais parvenu à se faire discret. Et si une partie de la famille a fait du silence un art de vivre, c’est toutefois sans compter sur la jeune Galya qui déborde de questions qui peinent à trouver les réponses pourtant indispensables pour aller de l’avant…
Comme un feu furieux est un roman gorgé de peine et de tristesse. Elles s’exprimeront différemment chez chaque personnage. Quand l’un se noiera dans sa douleur et sa mélancolie, une autre voudra rompre le silence en verbalisant ses colères. Au fil des pages de ce roman d’une beauté époustouflante, une famille en lambeaux, attendra que renaissent les jours moins sombres. Porté·es par la plume délicate et poétique de Marie Chartres, une fois habitué·es à l’austérité de Tiksi, nous nous permettrons — à l’instar de l’impertinente Galya, d’envisager de sortir de la torpeur polaire qui éteint les êtres. Parfois, les beaux jours ne sont pas si lointains… Une magnifique histoire de famille et de secrets qui doivent se briser comme la glace.
MokaMilla
Le prochain livre de Marie Chartres paraîtra en août et en quelques mots, je peux déjà vous dire que c’est un superbe roman choral dont les voix sont singulières et sensibles.
Rachel, Saul, Temple. Trois adolescent·es, trois voix, donc, qui convergent vers une même ville, Chicago.
Saul et Rachel sont amish, et pour les deux ados, l’âge des possibles c’est ce moment traditionnel dans la vie de leur communauté où il leur est possible de découvrir ce qui se passe ailleurs, dans le monde tel que nous le connaissons, et qui leur est inconnu, avant de revenir avec les leurs.
Pour Temple, que l’inconnu terrifie, les choses sont différentes. Ce voyage pour rejoindre sa sœur à Chicago est un vrai défi.
Saul et Rachel forment un duo inséparable dont le ciment n’est pas seulement leur appartenance à la communauté amish. Au milieu de la si grande, si nouvelle et si effarante Chicago, le regard de l’un·e sur l’autre pourrait tout aussi bien se perdre que se révéler encore plus fort.
À travers leur errance dans la ville, et plus que la question de la tradition, c’est la question de l’éveil (ou du réveil) au monde que Rachel, Saul et Temple seront amené·es à se poser.
L’écriture de Marie Chartres, ciselée, littéraire, offre à ses personnages une forme d’hypersensibilité, comme une pellicule photographique que l’on développe en chambre noire et qui révèle petit à petit toutes ses subtilités et ses secrets.
L’Âge des possibles sortira en librairie le 18 août.
Amélie
Un caillou dans la poche![]() ![]() de Marie Chartres, illustré par Jean-Luc Englebert l’école des loisirs, dans la collection Neuf 12,50 €, 151×280 mm, 128 pages, imprimé en France, 2018. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Les nuits d’Ismaël![]() ![]() de Marie Chartres l’école des loisirs, dans la collection Neuf 8,20 €, 190×130 mm, 75 pages, imprimé en France, 2011. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Bleu de rose![]() de Marie Chartres l’école des loisirs, dans la collection Médium 8,50 €, 125×185 mm, 122 pages, imprimé en France, 2009. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Les petits orages![]() de Marie Chartres l’école des loisirs, dans la collection Médium+ 7.80 €, 150×220 mm, 278 pages, imprimé en France, 2016. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Les anglaises![]() ![]() de Marie Chartres l’école des loisirs, dans la collection Neuf 8,70 €, 190×130 mm, 99 pages, imprimé en France, 2010. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Hortensia![]() ![]() de Marie Chartres, illustré par Jean-Luc Englebert l’école des loisirs, dans la collection Pastel 12 €, 177×248 mm, 40 pages, imprimé en Belgique, 2018. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Comme un feu furieux![]() de Marie Chartres l’école des loisirs, dans la collection Médium+ 14 €, 140×217 mm, 165 pages, imprimé en France, 2014. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |

Jeune homme aimant les puces qui grattent, l’herbe qui pique et les livres qui brûlent.
Adorant Stéphane Servant et ces mots, qui sont de lui :
« Les livres sont des terriers / Les livres sont des phares.
Il y brûle de petits feux / Qui me tiennent le cœur au chaud / Quand il pleut sous mon toit. »
Marie Chartres, c’est la discrétion, l’humilité derrière une immense sensibilité. C’est l’artiste qui met son œuvre au devant d’elle. Et non l’inverse. Le genre d’artiste que j’aime et qui m’inspire. Merci Marie. Dominique Lahaut