Le premier album du jour nous plonge dans la jungle en compagnie d’un père et de ses enfants ; le second nous emmène en Irlande, à la rencontre de deux sœurs qui possèdent un don unique et ancestral.
Un père et ses trois enfants s’enfoncent dans une jungle luxuriante, quelques gros sacs à dos pour seuls bagages. Après une très longue marche, apparaît enfin une rivière. C’est là, au milieu de la jungle et au pied de cette source de vie, que la famille va pouvoir s’installer et vivre de manière apaisée, alors que la jungle se teinte de mille et une couleurs : la mousse verte, dense et confortable, les insectes et les oiseaux multicolores, les pelages d’animaux tous plus beaux les uns que les autres, et puis les couleurs de la nuit, qui plonge la jungle dans un bleu profond. Attirées par cet éden, d’autres familles venues « du Nord » viennent s’installer. De nouveaux arbres sont coupés pour construire des maisons. Tout un village se construit, grignotant peu à peu le vert de ce paradis de nature. Pendant ce temps, le tigre, roi de la jungle craint et respecté, semble repoussé sans cesse plus loin, perdant peu à peu ses droits.
Vert est de ces albums dont on tombe instantanément amoureux, tant ils sont visuellement étonnants : des doubles-pages mangées par le vert, profond, puissant, de la jungle. Du vert partout, puis du bleu, des touches de jaune, de noir, et le blanc, enfin, qui grignote la page à mesure que la présence humaine se fait plus invasive. L’histoire est racontée par l’un des enfants. C’est une voix d’avenir, qui nous alerte avec beaucoup de poésie sur le poids que l’être humain fait porter à la nature.
Un album sur le monde sauvage d’une très grande puissance visuelle.
Partons à présent en Irlande. Dans la chaumière du titre, qui surplombe la mer, vivent Shannon et Sinéad, deux vieilles sœurs musiciennes. Elles sont les magiciennes de la mer : chaque matin, elles allument le feu dans leur cheminée et descendent sur la plage pour jouer une musique qui fait vibrer la lande, se réveiller les moutons, les mouettes… et qui fait surtout monter et descendre la mer, marée rythmée par leurs notes. Après des jours de pluie, impossible d’allumer le feu : tout le bois est humide. Les deux sœurs partent en quête de bois sec mais le vent dans la lande leur glace les os, elles se perdent, rebroussent chemin, et finissent par décider d’aller au village. Là-bas plus personne ne les connaît, car elles vivent reculées depuis si longtemps. Les villageois les craignent, et elles n’ont toujours pas trouvé de bois. Le coup de pouce du destin viendra d’un petit garçon avec une flûte (tiens, encore un musicien), qui pourrait bien aider les magiciennes et surtout rompre leur solitude.
À la lecture de cet album, on entend presque les musiques irlandaises résonner à nos oreilles, le vent souffler sur la lande, et l’on pourrait sentir l’odeur des embruns. Le graphisme aux couleurs douces, les silhouettes rondes des deux sœurs, les yeux rieurs du garçon, les genêts qui font comme une mer… Tout dans cet album est d’une grande douceur, même si le chemin des magiciennes n’est pas sans embûche. C’est un joli conte qui débute dans une atmosphère hostile et qui se termine dans la lumière, de la solitude et l’ennui à l’espoir qui renaît.
Un très bel album qui nous emporte entre tradition et modernité, pour parler des rencontres qui réchauffent et rompent les solitudes.
Vert, Une histoire dans la jungle de Stéphane Kiehl De La Martinière Jeunesse 16 €, 290×270 mm, 32 pages, imprimé en Slovénie, 2019. |
Chaumière Texte d’Aurélia Coulaty, illustré par Toni Demuro La Palissade 14,50 €, 280×200 mm, 40 pages, imprimé en France chez un imprimeur écoresponsable, 2019. |
« Un instant, un seul, lui fait déserter son corps : le temps des livres. Le corps de l’enfant qui lit n’est plus qu’un tas de vêtements qu’il a jetés n’importe où. Le livre est ouvert sur la moquette. Les vêtements glissent du lit ou font les pieds au mur. Il est en train de lire. […] Il n’y a plus personne dans la chambre. L’enfant est très loin de là, dans un corps plus ample, au milieu des vagues, loin de nous. » Timothée de Fombelle, Neverland.