Les deux livres du jour sont fantaisistes, farfelus et drôles, et ce sont deux réussites !
Sacrée histoire, que celle de cet homme qui monte dans le métro, tout sourire, sous les yeux médusés et méfiants des autres voyageurs et voyageuses, qui, de leur côté, font une tête de six pieds de long… Que fait-il dans ce wagon à sourire ainsi ? À coup sûr, il mijote quelque chose. Après une phase d’observation où tout le monde regarde l’énergumène du coin de l’œil, guettant le moindre geste qui pourrait le trahir, quelqu’un tire le signal d’alarme et la police embarque manu militari cet hurluberlu qui se permet d’être de bonne humeur de bon matin. Après un procès vite expédié, l’homme est envoyé en prison. Mais continuant d’afficher un large sourire, il contamine toute la prison, et fait même s’évader la bonne humeur par-delà les murs. C’est maintenant toute la ville qui sourit en grand… L’homme est relâché par la force des choses, et pour fêter ça, décide de s’acheter quelques caramels avant de reprendre le métro.
Je ne vous dévoilerai pas ici la chute de cette histoire rocambolesque, qui est absolument délicieuse, mais je vous invite à embarquer vous aussi dans la rame de métro en compagnie de cet homme fort malchanceux, il faut bien le dire… La réussite de cet album tient dans le décalage entre le texte, court, sobre, factuel, et l’ambiance foutraque des illustrations.
Un grand personnage dégingandé, des scènes toutes plus loufoques les unes que les autres, des couleurs vives et mille détails à relever. Alors, « toute une histoire pour un sourire », vraiment ? Pas si sûr… parce que l’anecdote a le mérite d’interroger notre regard sur les autres, ce qui peut surprendre, faire peur, et qui peut vite devenir une traînée de poudre qui musèlerait vite fait bien fait la fantaisie au quotidien.
Un homme de bonne humeur, une rame de métro bondée de bon matin, et voilà un album loufoque à souhait qui nous raconte « toute une histoire » pour une affaire de sourire contagieux et de fantaisie du quotidien. Délicieux.
La Route du lait grenadine, c’est une course au nom étrange, forcément pas très sérieuse. Comme avant toutes les courses, les concurrent·e·s se préparent sur la ligne de départ. Ce sont surtout leurs véhicules, engins et autres machines volantes qui vont attirer notre attention ! Ça y est, c’est le départ, donné depuis l’Arbre-Château. Mais évidemment rien ne se passe comme prévu et la course va connaître un démarrage quelque peu chaotique. Entre les rails mous du train-fantôme qui refusent d’avancer, Pétard-Mouillé dont la trajectoire s’emballe, la Montgolfière de la Mort qui se coince dans les branches de l’arbre… il est très difficile de suivre tout ce qui se passe ! Mais certain·e·s concurrent·e·s vont s’associer afin de pouvoir se remettre en route au plus vite. Une série d’incidents survient à nouveau, retardant encore le convoi. La route est longue, et la nuit surprend les participant·e·s. C’est enfin une gigantesque explosion qui va achever de tout mélanger : pièces détachées et concurrent·e·s se retrouvent pour se compter. Et la ligne d’arrivée, au fait, où peut-elle bien être ?
D’emblée, avec ce nom, La route du lait grenadine, nous voilà fixé·e·s : nous sommes les spectateurs et spectatrices d’une course étonnante et surtout très fantaisiste. L’intérêt ici n’est pas tant de savoir qui gagnera la course,
mais plutôt de se perdre dans les décors, et pourquoi pas de perdre nous-mêmes le sens exact de ce qu’est une course. Les illustrations de Charles Dutertre sont suffisamment riches et détaillées pour que l’on ait envie d’étudier d’un peu plus près ces machines loufoques et pas très performantes. On en oublierait presque qu’il y a une ligne d’arrivée à franchir, et qu’il y a un livre à finir.
Une course folle où les participant·e·s cheminent sur des machines extravagantes mais pas très rapides. Un album qui invite à se perdre dans les détails et à ne surtout pas mener la course en tête.
Toute une histoire pour un sourire![]() ![]() Texte de Frédéric Marais, illustré par Emilie Gleason Les fourmis rouges 16,50 €, 320×240 mm, 32 pages, imprimé en Italie, 2019. |
La Route du lait grenadine![]() Texte d’Alex Cousseau, illustré par Charles Dutertre Rouergue 16 €, 310×220 mm, 44 pages, imprimé en Belgique, 2019. |

« Un instant, un seul, lui fait déserter son corps : le temps des livres. Le corps de l’enfant qui lit n’est plus qu’un tas de vêtements qu’il a jetés n’importe où. Le livre est ouvert sur la moquette. Les vêtements glissent du lit ou font les pieds au mur. Il est en train de lire. […] Il n’y a plus personne dans la chambre. L’enfant est très loin de là, dans un corps plus ample, au milieu des vagues, loin de nous. » Timothée de Fombelle, Neverland.


