Pour bien commencer l’année, je vous propose deux albums originaux qui mettent à l’honneur les luttes et les rêves des années 68. Dans le premier, on découvre le parcours de vie atypique d’une militante syndicaliste de l’usine Renault Flins. Dans le second, Chloé Pince nous raconte de manière intime et poétique la lutte du Larzac.
Après le mouvement de mai 68, la révolution est dans l’air et la question se pose dans certains milieux gauchistes : comment convaincre la classe ouvrière de participer au renversement de la société ? Chez les maoïstes, la réponse est claire : il faut envoyer des militant·es travailler en usine pour faire bouger les choses « de l’intérieur ». C’est ce qu’on appellera le mouvement des établis. Fabienne Laurent est l’un·e d’elleux. En 1972, elle entre à l’usine Renault à Flins dans les Yvelines. Et c’est au cœur de cet espace tentaculaire et fermé qu’elle livrera, pendant près de vingt ans un combat politique et féministe, humainement intense.
Une féministe révolutionnaire à l’atelier retrace avec une grande justesse le parcours de vie hautement politique de Fabienne Lauret. Ce récit de vie sous forme de bande dessinée nous plonge dans le bouillonnement des années 1970, dans cette décennie haute en couleur où le militantisme est érigé en art de vie et où l’on pense encore que le Grand Soir est proche.
Ce « journal d’usine » revient sur les combats de Fabienne : l’espoir d’améliorer les conditions de vie des ouvrier·ères, le rêve autogestionnaire porté par la CFDT, l’engagement féministe, le combat pour les ouvrier·ères immigré·es, mais fait aussi la part belle aux désillusions — conflit d’intérêt, rigueur qui s’impose en 1983… Toutefois, l’ouvrage ne se veut jamais misérabiliste ou défaitiste. Bien au contraire. Tout à la fois intime et collectif, personnel et historique, le récit est accessible par sa forme et son souci de pédagogie aux adolescent·es de découvrir cette période et l’action militante. C’est un message puissant et beau que porte Fabienne Laurent. Elle nous dit la nécessité du vivre ensemble, de se battre pour la dignité humaine. En somme, que l’engagement est encore aujourd’hui essentiel : vive la sociale !
C’est un espace vierge, un haut plateau composé de roches karstiques et de causses. Entre 1971 et 1981, le plateau du Larzac, alors seulement habité par quelques berger·ères et une poignée de militaires devient le théâtre d’une lutte à la portée nationale : un mouvement de désobéissance civile non violent contre l’extension du camp militaire. « Gardarem lo Larzac » chantent les militant·es. C’est à une sorte de voyage autour de ce mouvement que nous invite Chloé Pince.
Le 21 février 2021, Chloé Pince se voit, au cours d’une soirée, exposer la théorie des « bactéries moutons ». Il faut réhabiliter le mouton, songe-t-elle. Avec Tant qu’on l’aura sous les pieds, c’est chose faite. C’est un superbe album, hybride, à la croisée du documentaire, du récit de voyage et de la poésie que nous propose ici l’autrice-illustratrice. Les illustrations sobres et épurées nous plongent, en quelques traits, dans ce paysage quasi désertique du Larzac et nous racontent cette épopée utopique singulière dans l’histoire du militantisme français. Là, sur ces causses où l’on vote plutôt à droite par tradition, les paysan·es voient déferler des milliers de jeunes gauchistes, mais aussi un disciple de Gandhi, des voisin·es qui préfèrent les moutons aux canons. C’est un bras de fer qui s’annonce entre un gouvernement qui refuse de plier et une population bigarrée, colorée et créative qui invente un nouveau mode de fonctionnement : libre et autogestionnaire. Il serait malhonnête de résumer l’album de Chloé Pince au seul prisme du documentaire historique. Car là n’est pas la volonté de l’autrice et l’ouvrage est bien plus que cela. Le texte, intime et poétique, lie le parcours initiatique de Chloé Pince — ses certitudes, ses interrogations, ses rencontres — à la grande histoire. Cette enquête sur le mouvement du Larzac est aussi et surtout un moyen pour l’autrice d’ébranler nos certitudes. « Ne vous endormez pas », nous dit-elle. Un autre mode de vie est possible, et c’est à nous de l’inventer, encore. Des luttes et des rêves sont encore permis !
Une féministe révolutionnaire à l’atelier![]() Scénario de Philippe Guillaume d’après le récit de Fabienne Lauret, illustré par Elena Vieillard La boîte à bulles 19 €, 166×240 mm, 144 pages, imprimé en France, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |
Tant qu’on l’aura sous les pieds![]() de Chloé Pince CotCotCot Éditions 19,90 €, 240×170 mm, 92 pages, imprimé en France, 2022. Achetez ce livre* via LesLibraires.fr, LaLibrairie.com ou Place des libraires. |

Née au début des années 90s, tour à tour professeure, amoureuse de la vie, de la littérature, de la musique, des paysages (bourguignons de son enfance, mais pas que…), des films d’Agnès Varda, des vers de Cécile Coulon et des bulles de Brétecher. Elle a fait siens ces mots de Victor Hugo “Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent”.


