Aujourd’hui, je vous présente trois bandes dessinées, mais des bandes dessinées « pavés », riches de 200, 300, voire 500 pages !
Dans un diner de New York, David Smith, non pas le célèbre sculpteur américain, mais un autre sculpteur, jeune et anonyme, se lamente sur ses échecs, sa solitude et son nom si commun. Son oncle Harry, passant par hasard dans le coin, tente de lui remonter le moral en lui montrant une bd que David avait dessinée petit et dans laquelle il imaginait un personnage s’appelant « Supersculpteur », un super héros pouvant tout sculpter rien qu’avec ses mains. Et cela semble fonctionner, jusqu’à ce que David se rappelle que son oncle est mort, depuis de nombreuses années… La mort, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, lui propose alors un pacte : devenir ce « Supersculpteur » pendant 200 jours, en échange de son âme.
Réécriture moderne du mythe de Faust, Le Sculpteur est de ces grandes œuvres qui marquent l’histoire et l’évolution de la bande dessinée. En plus d’écrire une histoire fantastique parfaitement construite (rappelons que la définition du fantastique, en littérature, est l’intrusion du surnaturel dans un cadre réaliste – et c’est exactement ce qu’on a là), aboutie, fouillée, mettant en scène des personnages sensibles et incroyablement vrais, Scott McCloud nous montre également à quel point il maîtrise l’art de la bande dessinée. Avec les cases, d’abord, qu’il manipule avec brio : sur une page, 3 cases de tailles différentes, qui se superposent, car elles représentent le même moment et, ensemble, recréent une ambiance ; sur la page suivante, 30 petites cases, dont certaines sont coupées car ce qu’elles montrent est moins important que leur accumulation, qui s’enchaînent comme s’enchaînent les évènements de la soirée en question ; plus loin, pas de case du tout, si ce n’est les limites de la double page sur laquelle se tient un plan large. Avec l’illustration, ensuite : uniquement en noir, blanc et bleu, les dessins, magnifiques, alternent gros plan sur un regard plein d’angoisse, plan large de New York, zooms, représentations du mouvement, de la vitesse et de la lumière… Avec la narration, enfin : voilà 500 pages qui se dévorent, ménageant le suspense, enchaînant les rebondissements, les introspections, les scènes d’actions. Il y aurait mille choses à dire sur cette œuvre, mais la meilleure chose à dire reste ceci : lisez-la !
Des extraits sur le site de l’éditeur.
1934, Irmina, jeune Allemande qui a l’ambition d’étudier, de travailler et de vivre avec les mêmes droits et la même liberté que les hommes, arrive à Londres pour suivre une formation de secrétaire bilingue. À une soirée mondaine où on lui conseille de trouver un mari parmi les beaux partis présents, Irmina fait la rencontre d’Howard, un jeune homme noir boursier d’Oxford. Très vite, ils tombent amoureux. Face au racisme de l’époque, Irmina défend avec véhémence son compagnon, tandis que celui-ci le subit, résigné. Pourtant, quand Irmina est obligée de rentrer en Allemagne en 1935 et que tous deux se perdent de vue, elle finit par oublier ses idéaux de jeunesse et par se marier avec un architecte employé par le régime nazi, régime sur lequel elle préfère fermer les yeux pour éviter d’en voir les horreurs.
Inspirée d’une histoire vraie, la bande dessinée Irmina donne à voir le destin d’une Allemande, de son adolescence jusqu’à sa retraite. Très vite, on s’attache à cette jeune fille en soif de liberté et d’égalité, puis on reste perplexe et méfiant face à son engagement envers le régime nazi – le fait-elle par conviction, pour éviter la misère, pour protéger sa famille ou juste parce c’est comme ça, sans se poser de questions ? – et enfin, on retombe en amour avec cette vieille femme qui espère retrouver son amour de jeunesse. Les illustrations très sombres semblent mimer la noirceur du quotidien de l’époque, le racisme, le machisme, et surtout le nazisme, si terrifiant, si dévastateur. C’est sensible et subtil.
Irmina a reçu le prix Artémisia 2015.
Le même vu par La Soupe de l’Espace et Livresse des Mots.
Mario est un tout petit bonhomme qui tient une boutique de pianos. Il n’a qu’un ami, un manchot (l’animal) mélomane : quand il s’installe et se met à jouer, son piano avance, littéralement, devenant un moyen de transport assez incroyable !
Mario fait partie d’une famille de mafieux, menée d’une main de fer par son neveu Enzo, un bébé qui marche, qui parle, qui joue au billard et qui gère tout un clan de catcheurs et de catcheuses. Même s’il ne partage pas les valeurs de son neveu, pour Mario, la famille, c’est sacré. Mais quand Enzo lui demande de jouer les postiers et qu’il se retrouve pourchassé par une tête montée sur une arme à roulettes dans une usine labyrinthique peuplée de monstres étranges, Mario découvre que, pour son neveu, il n’est pas aussi précieux qu’il le pensait…
Je n’ai certes pas lu tout Nicolas de Crécy, mais de ce que je connais, celui-ci est indubitablement son meilleur ! Tout en nuances de gris (et non de Grey), cette bande dessinée est complètement barrée, et c’est pour ça que c’est génial ! On passe de scènes drôles à des scènes d’action, de scènes de contemplation à des scènes de suspense. Ça foisonne d’idées complètement loufoques à la limite de l’absurde, et pourtant, tout se tient : c’est d’une maîtrise graphique et narrative assez bluffante. Bref, c’est génial. Comment ça, je l’ai déjà dit ?
Quelques pas de plus…
Nous avons déjà chroniqué un ouvrage de Nicolas de Crécy (Le roi de la piste).
Le Sculpteur De Scott McCloud (traduit par Fanny Soubiran) Rue de Sèvres 25€, 185×255 mm, 485 pages, imprimé en France, 2015. |
Irmina De Barbara Yelin Actes Sud dans la collection L’AN 2 26€, 192×240 mm, 290 pages, imprimé en France, 2014. |
La République du catch De Nicolas de Crécy Casterman 20€, 170×225 mm, 220 pages, imprimé en Espagne, 2015. |
À part ça ?
Le 29, 30 et 31 mai, c’est le festival BD de Puteaux. Si vous aimez la bande dessinée, c’est l’occasion de découvrir les dernières sorties, de faire dédicacer vos coups de cœur et de participer à des ateliers.
Marie
Mariée, 1763 livres et 1 canevas de Claude François