Cet été, on vous propose encore une nouvelle rubrique pour nos invité.e.s du mercredi. Après les questions sur les métiers et les questions des enfants, on a proposé cet été à des auteur.e.s et des illustrateurs.trices de poser trois questions à un auteur.e ou une illustrateur.trice de leur choix. Puis à l’interviewé.e d’en poser une à son tour à son intervieweur.euse d’un jour. Après Jean-Luc Englebert et Benjamin Chaud, Fred Bernard et Loïc Clément, Marine Carteron et Clémentine Beauvais, Clément Lefèvre et Matthieu Maudet, Dorothée de Monfreid et Clothilde Delacroix cette semaine c’est à Élice qu’Annelise Heurtier a choisi de poser des questions.
Annelise Heurtier : Je me pose toujours la question (indiscrète ?)… pourquoi un pseudo ?
Élice : Va savoir pourquoi, ça me paraissait évident d’avoir un pseudo pour ce genre de métier. Peut être parce que certains de mes profs, qui étaient des dessinateurs de BD, avaient un pseudo. Un jour à l’école, il a fallu que je dessine une hélice de bateau à 3 pales, en perspective. J’ai bien galéré. Alors on a commencé à délirer sur « Alice qui dessine une hélice »… Et c’est de là qu’est partie naturellement l’idée d’en faire un pseudo. L’idée d’un mot court avec lequel on peut jouer, ça me plaisait. Le concept de l’hélice aussi.
Mais récemment, je me suis posé la même question que tu me poses là. Et je me suis demandé pourquoi je n’utilisais pas mon vrai nom. Le pseudo, c’est un peu une mini création (ou le caprice de choisir son nom, yeaaah !), ça me paraissait assez logique dans un métier créatif. Mais je crois que c’est surtout une prise de distance par rapport à ma vie privée. Mon nom et mon prénom réfèrent à mon identité. Mon pseudo caractérise ce que je crée, mon travail, pas qui je suis. Même si, forcément, c’est un peu lié. La limite est souvent floue et c’est pas toujours facile de s’y retrouver. Mon lieu de travail est le même que mon lieu de vie, les horaires pas bien définis. Mais c’est justement pour ça que j’aime bien l’idée de tenter de séparer vie perso et boulot. C’est peut-être un moyen d’éviter la névrose. Et puis, si un jour je sors un gros navet que je n’ai pas envie d’assumer, je changerai de pseudo. Ahah !
Annelise Heurtier : Qu’est-ce qui t’a amenée au dessin ? Voulais-tu devenir illustratrice quand tu étais petite ? Raconte-nous comment tu en es arrivée là…
Élice : J’ai voulu être beaucoup de choses quand j’étais petite. Institutrice, fauconnière, vétérinaire, garde forestier… mais illustratrice, je n’y avais pas pensé. Je passais du temps à dessiner, mais comme beaucoup d’enfants je crois. J’aimais surtout les travaux manuels, les activités créatives, fabriquer des trucs, bricoler. Au lycée, j’ai un peu slalomé : première S, Terminale L, club ciné. J’ai commencé une fac de cinéma, mais j’ai vite laissé tomber. Je ne savais pas trop quoi faire en fait, mais je voulais être dans un domaine créatif. S’il fallait bosser 40 ans de sa vie, autant que ce soit un peu intéressant. Mon frère suivait une formation de 3D dans une école d’art sur Bordeaux. J’ai regardé de plus près les sections proposées. Comme je ne dessinais pas réellement (j’avais bien pris option BD en fac de cinéma, mais ça se limitait à un cours une fois de temps en temps, on étudiait les ombres et les lumières sur des capuchons de stabilo…), je n’avais pas grand-chose à montrer lors de l’entretien, mes autres dessins remontaient à l’époque du collège ! J’ai fait une année de prépa pour me remettre à niveau, dans l’idée de poursuivre sur un BTS communication visuelle. En cours d’année, j’ai découvert la section illustration/BD. À la fin de mon année de prépa, j’avais le niveau suffisant pour y entrer. C’était une bonne surprise ! J’ai beaucoup appris dans les deux années qui ont suivi.
Mais du coup, je suis loin d’être une grosse tueuse en dessin, j’ai des lacunes certaines, je m’arrache les cheveux pour que ce qu’il y a dans mon cerveau atterrisse sur le papier, mais je fais mon petit truc et ça a l’air de fonctionner… En tous cas, ça me laisse une bonne marge de progression ! 🙂
Annelise Heurtier : Comment conçois-tu ton métier ?
Élice : Je crois que le but de l’illustration c’est d’accompagner un texte. Arriver à trouver un équilibre pour servir le propos de l’histoire sans être redondant, mais sans être complètement à côté de la plaque non plus (sauf quand c’est un parti pris, ça peut être marrant). Je trouve ça plus ou moins évident selon les projets. J’adore les livres dont les images et le texte créent une vraie synergie, lorsqu’ils se complètent, qu’on ne peut pas les dissocier sans perdre du sens.
L’auteur est souvent à l’origine de l’histoire. C’est sa création, son idée au départ. Les illustrations viennent se greffer ensuite au projet, mais ne sont pas indispensables à la compréhension de l’histoire. C’est mon expérience en tous cas. C’est ça qui est difficile je trouve, faire en sorte que les images apportent quelque chose en plus, qu’elles aient une raison d’être.
Je vois mon travail d’illustration comme une interprétation, une adaptation de cette histoire filtrée par mon regard. Quand je commence à illustrer un livre, j’aime échanger avec l’auteur, confronter nos points de vue, et arriver à un équilibre pour rester fidèle au propos tout en dessinant ce qui me fait plaisir. De l’échange naissent aussi les idées.
J’attache beaucoup d’importance à la composition et au cadrage, et à la place du texte dans l’image. Peut-être que ça vient de mon petit bout de chemin en cinéma, ou bien de ma formation qui était plus orientée BD ? C’est là-dedans que je trouve la plus grosse part de créativité, que j’ai le plus de liberté et de choix. On peut suggérer beaucoup par le cadrage. Quand je regarde mon chemin de fer avec toutes mes petites vignettes représentant chaque page esquissée, ça me donne une vue globale du livre, ça ressemble à une petite BD. Il faut qu’il y ait une certaine fluidité et une cohérence de cet ensemble, et pas trop de répétitions.
Je pense qu’il y a toujours moyen de se faire plaisir en illustrant, même si c’est un travail de commande ou un boulot « chiant ». Puisque c’est une interprétation, je crois qu’on peut presque toujours l’orienter dans un sens qui nous correspond. J’aime le détail, les petits trucs que l’on découvre souvent à la deuxième lecture, les personnages qui n’existent pas dans le texte, mais qui vivent leur vie en parallèle de l’histoire qui se raconte, le « background ».
Je pense aussi que chaque projet est une occasion de tester et de découvrir de nouvelles choses. Je n’ai pas de style bien défini, ça me permet d’expérimenter, de tester des techniques que l’histoire m’inspire. Je me nourris aussi beaucoup de ce que je vois, de ce que font les autres. J’ai tendance à accumuler pas mal de photos et d’images de références, ça me permet d’encrer mes illustrations dans des univers plus crédibles.
Élice : À mon tour de te poser une question ! Il y a une partie du métier (dont je n’ai pas du tout parlé) qui m’impressionne beaucoup, c’est la rencontre avec le public (enfants et adultes). La création, c’est une étape plutôt solitaire, et d’un coup tu te retrouves à parler face à ceux qui lisent tes histoires. Je suis curieuse de savoir comment tu le ressens, comment tu vis cette partie de ton métier ?
Annelise Heurtier : J’imagine que ces temps de rencontres sont appréhendés de manières différentes en fonction des auteurs/illustrateurs… Personnellement je suis d’un naturel plutôt bavard et ouvert, donc je trouve ces journées très récréatives ! Elles sont très importantes pour moi : elles cassent la solitude du métier et me permettent de me confronter aux réactions directes des lecteurs. Dialoguer avec un lecteur, c’est tout de même différent que de lire sa chronique en ligne, aussi dithyrambique soit-elle 😉
Je conçois ces journées comme une partie intégrante de mon travail d’auteur. À ce titre, je passe toujours beaucoup de temps à les préparer, en fonction des besoins et des souhaits de l’équipe pédagogique. Les enseignants et les établissements scolaires investissent en temps et en argent pour nous recevoir, j’estime donc que nous nous devons d’apporter une vraie valeur ajoutée. Pour ma part, j’ai mis au point plusieurs animations autour de la chaîne du livre, que je propose quand je sens que le besoin est latent. Je peux aussi animer des petites « conférences » lorsque le sujet du roman s’y prête (pour Sweet Sixteen, par exemple, j’ai mis au point un diaporama qui a pour but de bien resituer le contexte politique et social de l’époque). J’apporte aussi souvent des « matériaux » pour rendre mes propos plus concrets (brouillons, corrections de l’éditeur, contrats, différentes éditions d’un même texte, traductions….). J’aime que ces rencontres soient interactives, alors je m’efforce de faire participer les lecteurs en les questionnant aussi !
Bibliographie d’Élice :
- Mazort Fugus, album, illustration d’un texte de Perrine Joe, Auzou (2015).
- Danse Hinatea, album, illustration d’un texte d’Annelise Heurtier, Au vent des îles (2015).
- Des enfants A-DO-RA-BLES !, album, illustration d’un texte de Sandrine Beau, Limonade (2014).
- Série Je suis un autre, romans, illustration de textes d’Anne-Gaëlle Balpe, Alice Jeunesse (2012-2014).
- Le secret de Madame Tannenbaum, album, illustration d’un texte d’Amélie Billon-Le Guennec, Des ronds dans l’O (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Le fenouil et le marron, album, illustration d’un texte d’Emmel, Lilly Jeunesse (2013).
- La super chouette histoire de Ginette, album, illustration d’un texte d’Emmel, Lilly Jeunesse (2013).
- La vieille dame toute ratatinée, album, illustration d’un texte de France Quatromme, Planète Rêvée (2013).
- Inspecteur Sauciflard, album numérique, illustration d’un texte d’Olivier Dupin, Square Igloo (2012).
- Bertille au chocolat, roman, illustration d’un texte d’Annelise Heurtier, Alice Jeunesse (2012).
- Série Les potions de Papi-Guérit-Tout, romans, illustration de textes d’Anne-Gaêlle Balpe, Les lucioles (2011).
- L’été où mon grand-père est devenu jaunophile, roman, illustration d’un texte de Sandrine Beau, Les lucioles (2011), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Élice sur son site : http://www.elice-illustration.com.
Bibliographie sélective d’Annelise Heurtier :
- Le complexe du papillon, roman, Casterman (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Danse Hinatea !, album illustré par Élice, Au vent des îles (2015).
- Refuges, roman, Casterman (2015)
- Série Charly Tempête, romans, Casterman (2013-2014), que nous avons chroniqués ici, là et ici.
- Là où naissent les nuages, roman, Casterman (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Combien de terre faut-il à un homme ?, album illustré par Raphaël Urwiller, Thierry Magnier (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Babakunde, album illustré par Mariona Cabassa, (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Sweet Sixteen, roman, Casterman (2013), que nous avons chroniqué ici.
- On n’a rien vu venir, roman collectif, Alice Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Bertille au chocolat, roman illustré par Élice, Alice Jeunesse (2012).
- La fille aux cheveux d’encre, roman illustré par Princesse Camcam, Éditions Casterman (2012) que nous avons chroniqué ici.
- Le carnet rouge, roman, Casterman (2011), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez la bibliographie complète d’Annelise Heurtier sur son blog.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Chouette mercredi une fois de plus.
J’aime beaucoup l’idée que le pseudo permet aussi de différencier la vie personnelle et professionnelle.
Comme j’aimerais assister à une intervention scolaire d’Annelise Heurtier…