Cet été, on vous propose encore une nouvelle rubrique pour nos invité.e.s du mercredi. Après les questions sur les métiers et les questions des enfants, on a proposé cet été à des auteur.e.s et des illustrateurs.trices de poser trois questions à un.e auteur.e ou un.e illustrateur.trice de leur choix. Puis à l’interviewé.e d’en poser une à son tour à son intervieweur.euse d’un jour. Après Jean-Luc Englebert et Benjamin Chaud, Fred Bernard et Loïc Clément, Marine Carteron et Clémentine Beauvais, Clément Lefèvre et Matthieu Maudet, Dorothée de Monfreid et Clothilde Delacroix, Élice et Annelise Heurtier, Michaël Escoffier et Laure Monloubou, cette semaine, pour cette avant-dernière de l’été, c’est à Francesco Pittau que Célia Chauffrey a choisi de poser des questions.
Célia Chauffrey : En tandem ou en solo, vous avez désormais publié une centaine d’albums, dans différentes maisons d’édition. En tant qu’auteur, qu’attendez-vous d’un éditeur ou d’un directeur de collection ? Vos attentes ont-elles évolué ? Vous avez vous même parfois ce rôle, quel intérêt créatif y trouvez-vous et en quoi cela influence votre propre travail ?
Francesco Pittau : D’un éditeur ou d’un directeur de collection j’attends d’abord qu’il me publie, qu’il accepte mon projet globalement et qu’il en dise le moins possible sur les projets. Ou s’il parle, qu’il le fasse dans le sens du projet que nous pouvons, que je peux avoir, détourné de son objectif premier. Comme on dit communément « quand on a la tête dans le guidon…». Jusqu’à présent, j’ai eu du bol, de la chance, une bonne fée, ou je ne sais quoi d’autre, mais je suis toujours tombé avec des éditeurs qui sont plus à l’écoute qu’avec la volonté d’imposer leur vision. Je me souviens qu’un jour, au Seuil Jeunesse, du temps fastueux de Jacques Binzstok, je lui ai fait cette remarque : « Tu ne dis trop rien sur nos livres… » Il m’a regardé puis il a dit : « Tu crois que tu connais ton boulot ? » Moi j’ai répondu que oui, bien sûr, je savais où je voulais aller, ce que je voulais faire ou pas. Et lui : « Ben, voilà. » Je ne raconte pas cette anecdote avec l’intention de me mettre en avant, mais surtout pour souligner l’extrême intelligence de Jacques Binzstok, qui savait se faire discret quand il tombait face à des auteurs indépendants, et très présent avec d’autres. Dans tous les cas, c’était basé sur une confiance réciproque.
Chez Gallimard, avec Coline Faure-Poirée, c’est assez pareil dans l’ensemble : elle travaille sur la confiance et le respect des auteurs. Elle ne considère pas les auteurs comme des bébés auxquels il faut tenir la main, mais tout comme Binzstok elle sait moduler son comportement et comprendre ce qu’on lui montre.
Tous les bons éditeurs pour la jeunesse veulent être émerveillés. Ils sont les premiers lecteurs et ils ont des enthousiasmes qui nous surprennent parfois tellement ils sont pleins de bonne santé. L’édition est un milieu où de l’argent circule, puisqu’il y a travail, mais c’est surtout un milieu d’enthousiasmes partagés.
Bien sûr, il y a des livres qui demandent une plus grande attention de la part de l’éditeur, ne serait-ce que pour les coûts de fabrication. Ainsi, les livres pop-up sont susceptibles de transformations en raison du prix de la fabrication. Dans ce cas-là, l’objet sera discuté avec l’éditeur et donc son élaboration sera influencée par l’éditeur.
Célia Chauffrey : Pouvez-vous nous parler de votre processus d’écriture ? Partez-vous d’une image, d’une idée, ou d’un thème ? Bientôt paraîtra un album dont vous avez conçu seul le texte et l’image, quelles difficultés et quels plaisirs particuliers y avez-vous rencontré ?
Francesco Pittau : Pour l’écriture, je pars toujours d’une envie de faire, puis cette envie se définit au fur et à mesure que je la cerne. Souvent, je n’ai aucune idée, ou alors une ombre d’idée, si fugace que je ne pourrais pas la formuler. C’est plus comme un prurit, un petit frémissement qui trahit un quelque chose de bouillonnant. Il m’est arrivé de construire des albums avec des images disparates que je rassemblais et auxquelles je donnais un sens ; j’ai commencé des albums par la fin pour « remonter » le fil de l’histoire… puis il y a des livres qui ont répondu à un « flash » une image dont je ne savais pas ce qu’elle contenait… Du coup je me suis penché dessus et je l’ai « habillée ». En fait, il n’y a pas de méthode.
Pour l’album réalisé en solo, j’ai fait comme je fais d’habitude : je n’écris jamais une histoire, je la dessine ou je dessine des éléments qui vont la composer. Après pour la réalisation, la finalisation des dessins, j’ai mis du temps pour trouver la technique qui collait avec l’histoire… la mise en couleurs a été un problème à résoudre. J’ai beaucoup hésité. J’imagine que ce sont des difficultés que tous les illustrateurs rencontrent. Cela dit, il y a une énorme différence entre « écrire » une histoire et la dessiner. Quand on écrit, on part de rien et l’angoisse, ou le stress est plus grand (du moins pour moi) ; dans l’acte de dessiner, même s’il y a une tension nécessaire, au fond, c’est un acte plutôt apaisant… C’est comme cela que je l’ai ressenti.
Célia Chauffrey : Pour finir, pouvez-vous nous parler de deux ou trois auteurs/illustrateurs qu’il vous ferait plaisir d’évoquer maintenant ?
Francesco Pittau : J’ai quelques admirations bien marquées et notamment pour Shel Silverstein qui écrivait, dessinait, enregistrait des chansons et a même interprété des sketches… Passer de L’arbre généreux à une chanson pour les Rolling Stones, c’est quand même une variété créative que j’apprécie beaucoup.
Ensuite Arnold Lobel, pour l’extrême intelligence poétique de ses récits… Ne parlons pas de ses dessins qui sont ce qu’il y a de plus beau.
Il y a un autre auteur que j’aime beaucoup pour sa liberté de trait et d’esprit : James Stevenson. Cartoonist, bédéiste (qui s’est vu éjecté du milieu parce que trop libre d’esprit), auteurs de livres pour la jeunesse qui respirent et qui vivent comme des enfants.
Je m’aperçois que je n’ai cité que des auteurs anglo-saxons. Alors, pour faire bonne mesure, je vais aligner quelques Européens : Rodari (auteur fabuleux qui a réfléchi comme peu sur les structures narratives des livres pour la jeunesse), Munari (le créateur protéen par excellence), Lionel Koechlin (un artiste véritable), Philippe Dumas (dont le trait me ravit), et tant d’autres que je n’aurai jamais la place de les citer tous.
Francesco Pittau : J’ai vu certains de vos dessins destinés juste à la préparation d’un projet. Des dessins extrêmement aboutis à mes yeux. J’ai appris plus tard qu’ils n’étaient qu’un passage vers autre chose… je suis intrigué par la finition apportée à ce qui devait n’être qu’une sorte de pense-bêtes… Alors, quels sont vos critères pour déterminer qu’un dessin est arrivé à son juste aboutissement ?
Célia Chauffrey : Oui, je vois les dessins dont vous parlez… Il arrive en effet que je pousse beaucoup les dessins préparatoires, quand j’ai le temps et pour le plaisir. Avec les esquisses de ce projet je cherchais à explorer une technique à l’encre noire. Lorsque je me sentirais plus à l’aise avec cette écriture, je m’en servirai pour des images finalisées.
Sinon la plupart du temps mon travail sur les esquisses consiste à décrire très précisément la composition et obtenir une fluidité dans le dessin. Je ne cherche pas à les rendre jolies.
Quand est-ce que je considère être arrivée au bout de la réalisation d’une image ? C’est difficile à expliquer… quand j’ai le sentiment d’une mayonnaise montée peut-être. J’essaye de traiter chaque élément à sa juste valeur pour aboutir à un ensemble cohérent qui dialogue au mieux avec le texte. C’est très abstrait comme réponse je m’en rends compte, mais le bon moment pour poser le pinceau est en fait assez instinctif…
Bibliographie sélective de Francesco Pittau :
- ABC en relief, texte illustré par Bernadette Gervais, Les grandes personnes (sortira en novembre).
- Au secours, un monstre !, texte et illustrations , Gallimard Jeunesse (sortira en octobre).
- Maman veille, texte illustré par Bernadette Gervais, Gallimard Jeunesse (2016).
- Mordre la neige, illustrations de textes d’Anna de Sandre, Les Carnets Du Dessert De Lune (2015).
- Visitons la maison, texte illustré par Bernadette Gervais, Gallimard Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Tête dure, texte et illustrations, Les Carnets Du Dessert De Lune (2014).
- Dinorauses, texte illustré par Bernadette Gervais, Les grandes personnes (2014).
- Succulentes sucreries, texte illustré par Bernadette Gervais, Gallimard Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Les brosses à dents, texte illustré par Bernadette Gervais, Gallimard Jeunesse (2012).
- Pipi ! Crotte ! Prout !, texte illustré par Bernadette Gervais, Seuil Jeunesse (2012).
- Les contraires, texte illustré par Bernadette Gervais, Seuil Jeunesse (2012).
- L’imagier des saisons, texte illustré par Bernadette Gervais, Gallimard Jeunesse (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Oxiseau, texte illustré par Bernadette Gervais, Les grandes personnes (2010).
- J’ai pas fait exprès, texte illustré par Bernadette Gervais, Gallimard Jeunesse (2010).
- Axinamu, texte illustré par Bernadette Gervais, Les grandes personnes (2010).
- Une faim de crocodile, texte illustré par Bernadette Gervais, Gallimard Jeunesse (2007).
- C’est dingue !, texte illustré par Bernadette Gervais, Belem Editions (2005).
- Interdits des petits et des grands, texte illustré par Bernadette Gervais, Seuil Jeunesse (2003).
- Le pays gris, texte illustré par Bernadette Gervais, Mango Jeunesse (1996).
Retrouvez Francesco Pittau sur son blog : http://maplumesurlacommode.blogspot.fr.
Bibliographie de Célia Chauffrey :
- Le parfum des feuilles de thé, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, De la Martinière (sortira en octobre).
- Sven et les musiciens du ciel, illustration d’un texte de Pierre Coran, L’école des loisirs (2014).
- Matachamoua, illustration d’un texte de Céline Sorin, L’école des loisirs (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Mademoiselle Tricotin, illustration d’un texte d’Alice Brière-Haquet, Les p’tits bérets (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Les Voyages de Gulliver, illustration d’un texte de Jonathan Swift, Gründ (2011).
- Pierre la lune, illustration d’un texte d’Alice Brière-Haquet, Auzou (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Celui qui voulait changer le monde, illustration d’un texte de Juliia, Auzou (2010).
- Hibiscus, illustration d’un texte de Céline Sorin, L’école des loisirs (2010).
- Quatre fois vite un chuchotis, illustration d’un texte de Jacqueline Persini-Panorias, Soc et Foc (2009).
- Grand, Moyen, Petit, illustration d’un texte d’Alice Brière-Haquet, Frimousse (2009).
- La fille du géant, illustration d’un texte de Céline Sorin, Pastel (2010).
Retrouvez Célia Chauffrey sur son blog.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !