Cet été encore, on vous propose à nouveau la rubrique du berger à la bergère tous les mercredis. Cette rubrique vous avait tellement plu les deux derniers étés, nous nous devions de la reprendre (il faut dire qu’à nous aussi elle plaît beaucoup) ! Donc tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trice·s et des illustrateur·trice·s qui posent trois questions à un·e auteur·trice ou un·e illustrateur·trice de leur choix. Puis c’est à l’interviewé·e d’en poser trois à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Rémi Courgeon et Albertine, Martin Page et Éric Pessan, Alexandre Chardin et Lucie Pierrat-Pajot, Franck Prévot et Hélène Delbart on continue ces mercredis de l’été avec Jonathan Garnier qui a choisi de poser des questions à Mélanie Allag.
Jonathan Garnier : Comment as-tu vécu ton passage de l’illustration à la BD et, entre ces deux médias, lequel préfères-tu ?
Mélanie Allag : J’avais délaissé la BD depuis ma sortie des Beaux-arts d’Angoulême au profit de l’illustration jeunesse pour des raisons de temps, de motivation et aussi car le rythme de l’illustration en presse et édition me convenait très bien à l’époque et me permettait de gagner correctement ma vie.
Quand je me suis finalement décidée à me lancer sur un album BD, avec Aurélien Ducoudray et L’Anniversaire de Kim Jong Il (Delcourt) c’est parce que je voyais ce que mon expérience dans l’illustration jeunesse pouvait apporter à son histoire. C’était un peu le récit idéal pour s’y remettre. L’histoire était très dure mais vue par les yeux d’un enfant. Et mon dessin amenait la distance et le décalage dont le récit avait besoin.
Ça a été un véritable marathon, durant lequel j’ai énormément appris, je ne m’étais jamais attelée à un si gros chantier, et j’ai pris un plaisir énorme sur le découpage. Je resterai éternellement reconnaissante à Aurélien de m’avoir laissée aussi libre et de m’avoir fait confiance pour dessiner cette histoire. Ce qui est génial sur un album aussi long (140 pages) c’est à quel point on progresse, alors forcément après une expérience comme ça, on a envie de recommencer même si c’est hyper dur, crevant, exigeant et j’en passe…
Je continue pourtant à trouver mon compte en illustration. C’est juste que pour moi ce sont deux manières différentes de réfléchir.
En illustration, il faut avoir l’esprit de synthèse, arriver en une seule image à évoquer plusieurs choses, et ça c’est vraiment quelque chose qui m’amusera toujours.
La BD c’est plus laborieux dans mon cas, l’image séquentielle permet de jouer avec le temps d’une autre manière, c’est moins instinctif, mais je suis têtue, du coup j’aime assez ce côté casse-tête chinois. Alors aujourd’hui je ne pourrais pas dire ce que je préfère, je suis très heureuse d’avoir la chance de faire les deux.
En ce moment je suis sur la BD, j’ai le nez dedans, je suis repartie sur un nouveau projet avec Aurélien Ducoudray (Le repas des Hyènes, chez Delcourt aussi) mais j’ai pour la suite, des projets jeunesse en attente, très motivants aussi, alors je resterai je pense aussi longtemps que possible, un agent double.
Jonathan Garnier : Depuis quelques mois tu postes sur ton instagram (https://www.instagram.com/melallag) des dessins assez dingues (je suis super fan !) dans des univers assez éloignés des livres que tu as pu publier. Est-ce que tu portes ces univers depuis longtemps ou te sont-ils venus en réaction à un travail et des commandes dans l’illustration jeunesse peut-être un peu trop sages à ton goût ?
Mélanie Allag : C’est un peu les deux je pense, je fais de l’illustration jeunesse depuis une dizaine d’années, et plus précisément de la commande, les choses se sont enchaînées comme ça et cela m’a permis de dessiner des choses très variées dans des genres et des techniques très différentes, sans jamais m’ennuyer mais cela reste quand même de la commande et donc forcément assez éloigné de mon univers personnel. J’ai essayé de garder une pratique de dessin libre dans les carnets mais j’ai eu une grosse période où je ne trouvais plus le temps, et l’énergie pour ça.
Ma première BD, m’a permis de retrouver de l’aisance et du plaisir alors que j’étais un peu en pilote automatique, et dessiner des choses horribles ça peut être un vrai bonheur…
Et sur cette lancée, j’ai fait le Inktober (un dessin à l’encre par jour, en suivant une liste de mots imposés). La contrainte est simple et efficace, ça oblige à sortir de ses habitudes.
Pour moi ça a été un peu comme ouvrir la boîte de pandore, et j’ai recommencé à dessiner pour moi tous les jours. Je pense que j’avais accumulé un monstrueux et envahissant tas de choses et d’histoires qui n’avaient pas pu s’exprimer dans mon travail avant et que c’était le bon timing pour faire sortir tout ça. Donc étant habituée aux contraintes de travail, je m’en suis mise plein, mais de mon propre chef : 1 dessin par jour, changer de support, changer d’outils, etc. Et puis je suis devenue un peu accro à cette gymnastique. Le dessin est une puissante drogue.
Jonathan Garnier : Si l’envie d’écrire te prenait (peut-être est-ce déjà le cas), pourrais-tu nous citer un livre, un film et une chanson, qui t’accompagnerait dans cet exercice, comme source d’inspiration ou de motivation.
Mélanie Allag : Oulala ! Alors je vais botter en touche sur cette question car j’écris très peu. (Sauf mes rêves que je dessine le plus souvent mais que je dois écrire quand ils sont trop compliqués.) Je dessine avec de la musique en permanence, je regarde des films et des séries en dessinant. Mais quand je story-board, ou quand j’écris des bouts d’histoires, j’ai besoin de tout mon processeur, alors le silence est mon allié. La musique peut jouer un rôle préparatoire, pour me mettre dans une ambiance particulière de travail mais j’écoute trop de choses différentes, je n’arriverais pas à citer juste une chanson et du coup cet entretien ferait 10 pages, et me demanderait un mois de réflexion, même problème pour les films et les livres.
Mélanie Allag : Tu es scénariste mais connaissant un peu ton parcours et pour avoir eu l’occasion de dédicacer à tes côtés, tu es aussi un très bon dessinateur, as-tu parfois l’envie d’illustrer un de tes récits, ou si non, te semble-t-il que le fait de dessiner apporte quelque chose de particulier à ta manière d’écrire pour la BD ?
Jonathan Garnier : Très bon dessinateur, je n’irai pas jusque-là ! J’ai avant tout un bagage d’illustrateur/graphiste, je n’ai commencé à écrire qu’il y a peu. J’avais un certain niveau technique en dessin mais je n’étais pas satisfait par mon graphisme et ce que j’en faisais. Du coup, j’ai finalement lâché le dessin, notamment pour me mettre à la photographie.
Mais j’avoue que le fait de gérer un récit de A à Z, du scénario au dessin, me tente bien. J’ai en tête un projet de one shot qui pourrait s’y prêter, un huis clos à la Robinson Crusoé qui m’offrirait l’occasion d’être moins dans la technique et plus dans l’ambiance. Maintenant il me faut trouver le temps et vu mon planning… ce sera peut-être pour mes vieux jours !
En tout cas, savoir dessiner m’aide à facilement visualiser les scènes que je souhaite écrire et à les retranscrire précisément aux dessinateurs avec qui je travaille. Cela me permet aussi d’avoir un outil de plus pour communiquer avec dessinateurs et éditeurs, un petit croquis étant parfois plus parlant qu’une longue explication !
Mélanie Allag : L’écriture a-t-elle toujours fait partie de ta vie, ou est-ce par le dessin (le tien ou celui des autres) ou par d’autres sources que l’envie d’écrire est née ?
Jonathan Garnier : Lorsque j’étais jeune, j’avais déjà en tête de devenir auteur BD mais en tant que dessinateur car je considérais que l’écriture n’était pas pour moi. Finalement, comme je le disais, je n’étais pas satisfait par mon dessin. L’envie d’écrire ne m’est donc pas venue du souhait de développer des personnages, des univers que j’aurais visuellement créés. Par contre, le fait de perdre un moyen d’expression a peut-être provoqué une frustration chez moi qui a pu, inconsciemment, me pousser vers l’écriture.
Accompagner des auteurs dans l’écriture de leurs projets, lorsque j’étais éditeur, de parler avec eux de méthode, de narration, m’a aussi permis de me préparer à cette pratique.
Le premier déclencheur visuel a été une série de photographie d’une petite japonaise, Mirai-chan, par Kotori Kawashima. Elle était tellement photogénique, expressive, que j’ai voulu lui donner vie au-delà de ces photos, sachant que j’avais déjà l’envie d’écrire sur l’enfance. Momo était née.
Pour Bergères Guerrières, tout est parti de dessin d’Amélie Fléchais. L’image a donc une grande importance dans mon processus d’écriture.
Mélanie Allag : As-tu un petit cérémonial, des conditions particulières pour te mettre à travailler sur un récit, ou arrives-tu à travailler un peu partout et n’importe quand ?
Jonathan Garnier : En journée j’ai du mal à bosser. Je me disperse pas mal avec toutes les sollicitations que je peux recevoir par mails, téléphone… En tant que scénariste, je travaille sur plusieurs projets en même temps, je cumule donc les co-auteurs et maisons d’édition qui peuvent me contacter à tout moment de la journée.
L’après-midi j’ai donc surtout la tête dans les mails, l’organisation de mes déplacements (ateliers, dédicaces), le travail de relecture de scénarios, de découpages et de planches. Je me consacre vraiment à l’écriture la nuit. Là je peux rester focus des heures sans être déconcentré par des éléments extérieurs. Je me couche souvent vers 4 h du mat, des fois plus tard quand je suis lancé et me lève en fin de matinée. Mais j’ai conscience que le jour où j’aurai un enfant, tout cela va changer !
Je peux travailler n’importe où et j’aime particulièrement travailler dans le train ! Pas de connexion internet, rien pour me déconcentrer, juste moi face à mon ordi portable, c’est parfait.
Mélanie Allag : As-tu, en tant qu’auteur, envie d’explorer d’autres médias que celui de la bande dessinée ?
Jonathan Garnier : J’adorerais faire du documentaire photo ou vidéo. L’audiovisuel m’intéresse beaucoup, que ce soit pour de l’animation ou pour du live, de la série ou du long-métrage. Avoir l’occasion de travailler sur l’adaptation en long-métrage animé de Bergères Guerrières me permet déjà de mettre un pied dans ce média, c’est chouette !
À terme, j’aimerais me frotter à la réalisation, tout en continuant la bande dessinée, car cela reste mon premier amour et c’est un média dans lequel on a une énorme liberté.
Bibliographie sélective de Mélanie Allag :
- L’équipage le plus terrible du monde, illustration d’un texte de Richard Petitsigne, P’titGlénat (2018).
- Série Les animaux de Lou, illustration de textes de Mymi Doinet, Nathan (2010-2018), que nous avons chroniqué ici.
- Pendant que le loup n’y est pas, illustration d’un texte de Bénédicte Rivière, L’élan Vert (2017).
- Série Les grandes années, illustration de textes de Mymi Doinet, Nathan (2017).
- Série Les contes du CP, illustrations de texte de Magdalena, Père Castor (2014-2016), que nous avons chroniqué ici.
- L’anniversaire de Kim Jong-Il, dessins d’après un scénario d’Aurélien Ducoudray, Delcourt (2016)
- Mon parc d’attractions, illustration d’un texte de Myriam Ouyessad, L’élan vert (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Série Mode d’emploi, illustration de textes d’Alice Brière-Haquet, P’tit Glénat (2012-2014), que nous avons chroniqué ici.
- Défends-toi !, illustration d’un texte de Géraldine Collet, L’Élan Vert (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Dis-moi pourquoi ?, collectif, Larousse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- L’écologie des petits, illustration d’un texte d’Yvette Barbetti, Lito (2012), que nous avons chroniqué ici.
Bibliographie de Jonathan Garnier :
- série Momo (2 tomes), scénario illustré par Rony Hotin, Casterman (2017), que nous avons chroniqué ici et là.
- série Bergères guerrières (1 tome), scénario illustré par Amélie Fléchais, Glénat (2017), que nous avons chroniqué ici.
- DoggyBags – tome 8, collectif, Ankama (2015).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !